J'ai terminé l'article précédent, consacré à Marianne Alphant et à son très beau L'atelier des poussières, par cette référence qu'elle donne de Sebald : "L’écrivain W.G. Sebald qui n’aimait pas les maisons trop propres où l’on maintient un ordre froid, trouvait réconfortant celles dont les occupants laissent la poussière s’installer. Il a raconté dans un entretien l’expérience de paix, de sérénité merveilleuses éprouvée dans une bibliothèque pleine de poussière en attendant un rendez-vous. "
Or, il m'avait été donné, peu de temps auparavant, de tomber sur cette même association de la bibliothèque et de la poussière. C'était à la lecture de L'Ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafón, livre choisi par R., l'un des deux détenus que j'accompagne à la centrale de Saint-Maur dans le cadre de Lire pour en sortir. L'histoire commence à Barcelone, aux premiers jours de l'été 1945, le père du personnage principal, le jeune Daniel Sempere, le conduit au Cimetière des livres oubliés, une gigantesque bibliothèque secrète, dont la description ne peut manquer de faire penser à celle de l'abbaye du Nom de la Rose, d'Umberto Eco. Selon la coutume, celui qui vient ici pour la première fois doit choisir un livre pour faire en sorte qu'il ne disparaisse jamais. Daniel commence alors par déambuler dans "les mystères de ce labyrinthe qui sentait le vieux papier, la poussière et la magie." Bientôt l'idée s'empare de lui qu'un univers infini s'ouvrait derrière chaque couverture : "Est-ce à cause de cette pensée, ou bien du hasard ou de son proche parent qui se pavane sous le nom de destin, toujours est-il que, tout d'un coup, je sus que j'avais déjà choisi le livre que je devais adopter. Ou peut-être devrais-je dire le livre qui m'avait adopté." (Hasard et destin, ce couple d'opposés me faisait revenir en mémoire à ce chapitre Hasard et destin du livre d'Etienne Klein, Courts-circuits, que j'ai traité naguère dans Il ne faut jamais éclaircir le mystère.) Ce livre, relié en cuir lie-de-vin, c'était L'Ombre du vent, de Julián Carax. On ne s'étonnera pas de retrouver la poussière au moment de son exfiltration du rayonnage : "Libéré de sa geôle, il laissa échapper un nuage de poussière dorée."
Plus tard, menacé par un inquiétant personnage qui veut s'emparer du livre, il revient au Cimetière des livres oubliés pour y dissimuler L'Ombre du vent, et évidemment on n'évite pas la mention de la poussière : "Dans des nuages de poussière, diverses comédies de Moratin et un superbe Curial § Güelfa alternaient avec le Tractatus theologico-politicus de Spinoza. En guise d'ultime pied-de-nez, je choisis de faire reposer le Carax entre un annuaire de 1901 des jugements des tribunaux civils de Gerona et une collection de romans de Juan Valera." (p. 99) Ce moment est réévoqué à peu près cent pages plus loin : Daniel, dans l'appartement de son père (lui-même libraire d'ancien), ouvre une boîte en fer-blanc où il range, selon ses dires, toutes sortes de bricoles inutiles mais dont il est incapable de se séparer : "Au milieu de tout ce fatras surnageait le coin de journal sur lequel Isaac Monfort m'avait noté l'adresse de sa fille Nuria, la nuit où je m'étais rendu au Cimetière des livres oubliés pour y cacher L'Ombre du Vent. Je l'étudiai à la lumière poussiéreuse qui passait entre les étagères et les cartons empilés." (p. 190)
Et il semble bien qu'il soit impossible que le livre ne soit pas corrélé à la poussière. Page 231, Daniel revient encore une fois au fameux Cimetière, accompagné par Beatriz, son amoureuse : "Je m'agenouillai près de la dernière étagère et cherchai mon vieil ami caché derrière les rangées de volumes ensevelis sous une couche de poussière brillant comme du givre à la lueur de la lampe. Je pris le livre et le tendis à Bea.
- Je te présente Julián Carax.
- L'Ombre du Vent, lut Bea en caressant les lettres à demi effacées de la couverture. Je peux l'emporter ? "
Bibliothèque et poussière, j'en trouvai encore hier une autre occurrence en lisant l'entretien avec l'anthropologue écossais Tim Ingold dans Télérama :
Enfin, pour conclure sur une note plaisante, je vous invite à visionner La vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder. A 7'20'', une petite altercation entre Sherlock Holmes et sa gouvernante, Mme Hudson (encore une histoire de domestique) vaut franchement le détour (Merci mille fois à Nunki Bartt, qui m'a envoyé le lien).
1 commentaire:
Le second volet de la "trilogie" de Ruiz Zafon est superbe, "Le jeu de l'ange", hélas les numéros 3 et 4 ne m'ont pas convaincu.
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