Il y avait donc un peu de temps que l'attracteur ne s'était pas montré lorsque j'ai ouvert sur l'étal d'une librairie le nouveau livre de Christian Garcin, Borges, de loin, publié dans la belle collection L'un et l'autre, chez Gallimard. Or, je l'ouvre sur la page 40, début du chapitre III, intitulé "Parenthèse a posteriori, en forme de "coïncidence faramineuse".
De quoi s'agit-il ? Ce chapitre a été ajouté après la rédaction du livre, tout entier consacré à Borges, écrivain-référence pour Christian Garcin, non pas étude savante, mais plutôt approche labyrinthique, tournoyante, de l’œuvre et de l'auteur. Garcin raconte que deux mois après avoir remis à l'éditeur le manuscrit du présent livre, il relut Les Anneaux de Saturne de Sebald, dont il avait tout oublié ou presque. Il se trouve que dès le début il est question de Sir Thomas Browne, et il faut savoir que c'est grâce à un article de l'espagnol Javier Marias évoquant une curieuse traduction borgésienne de l'auteur anglais (il aurait traduit un passage absent du texte original) que Christian Garcin s'est plongé dans l’œuvre de l'auteur argentin. "Or, explique-t-il, par une sorte de coïncidence qui n'en est peut-être pas vraiment une, voici que tout de suite après avoir évoqué Browne, Sebald se met à citer Borges - et ce, non en référence à sa traduction du chapitre V de Burial Urns, mais à propos de son Libro de los seres imaginarios (Livre des êtres imaginaires), dans lequel il évoque Baldanders, un être protéiforme présent dans le livre VI du Simplicissimus de Grimmelshausen." Se reportant à son édition de Simplicissimus, Garcin ne trouve pas trace de livre VI et il croit un instant à une autre supercherie littéraire, ce qui au final ne sera pas avéré. Il conclut ainsi :
"J'ajoute enfin que le fait que cette coïncidence multiple (en l'espace de quelques minutes, Sebald mentionne Browne qui me fait penser à Borges qui alors cité par Sebald, évoque Grimmelshausen et un possible principe de supercherie qui me renvoie à Browne traduit par Borges), m'ait été révélé par l'intermédiaire d'un auteur comme Sebald, si attentif aux collusions étranges et inattendues, ne laisse pas de m'enchanter. "Dans l'esprit faramineux d'une telle coïncidence, écrivait-il dans Vertiges, il croit voir à l’œuvre une loi inaccessible à toute pensée, si claire soit-elle, et à laquelle il par conséquent il se soumet." Et dans Les Anneaux de Saturne : "J'ai beau me dire [...] que de tels hasards se produisent par conséquent bien plus souvent qu'on le croit en général, il n'en reste pas moins vrai que ma raison ne peut rien contre les fantômes de la répétition qui me hantent de plus en plus fréquemment." On en saurait être plus borgésien."J'ajoute pour ma part que le fait d'ouvrir ce livre sur cette notation de coïncidence, mettant en scène des auteurs déjà repérés comme des "experts" de la coïncidence, ne laisse pas également de m'enchanter. Ceci me conduisit d'ailleurs à relire le premier chapitre des Anneaux de Saturne, que j'avais tout autant oublié que Christian Garcin, fors le souvenir du bonheur de lecture que j'y avais trouvé au printemps 2003.
Premier chapitre qu'évoquait récemment Norwich l'excellent blog consacré au temps et aux lieux chez Sebald (et quelques autres).
Puis un autre livre, d'un auteur jusque là encore inexploré, prolongea la coïncidence faramineuse. (A suivre)
Ciel depuis la fenêtre de ma chambre |
3 commentaires:
"non pas étude savante, mais plutôt approche labyrinthique, tournoyante, de l’œuvre et de l'auteur" : peu surprenante que cette approche labyrinthique, à propos de Borges dont le thème du labyrinthe est si présent dans l'oeuvre...
Bien sûr, d'ailleurs les chapitres du livre de Garcin se présentent clairement comme des entrées dans le labyrinthe borgésien, par exemple chapitre 1, le SEUIL (piétiner devant le labyrinthe), ou dans l'épilogue, où il écrit : "J'ai donc osé. J'ai écrit sur Borges. (...) J'ai longuement tourné autour du labyrinthe des citations, correspondances, fausses pistes, équivoques, pseudonymes, dénégations, symétries, apparitions et jeux de miroirs, puis j' y ai pénétré : à peine, sans trop oser avancer - pour en sortir dès que je me suis senti englué dans le risque de m'y égarer, de sautiller à l'infini de référence en référence, d'occurrence labyrinthique en indices déposés là par un Borges à la fois Dédale, Astérion et Thésée, à la fois bâtisseur, prisonnier et arpenteur de son propre labyrinthe, probablement pour encourager - ou décourager- les exégètes futurs de son œuvre." (p. 165)
J'ai justement relu hier soir à nos enfants le mythe de Thésée, dans la magnifique version d'Yvan Pommaux (EDL) juste achetée pour le collège... Ils n'en reviennent pas (moi non plus d'ailleurs...) que Thésée, cette andouille, ait pu oublier de changer la voile du bateau à son retour victorieux de Cnossos.. Un léger "oubli" qui a juste provoqué la mort de son père, Egée...
Enregistrer un commentaire