mercredi 24 octobre 2012

D'où vient qu'un verger clos de murs

Dans Les Hautes Falaises (pages 182 à 184) : cette seule phrase interrogative, longue, très longue, où apparaît le verger de Chenecé.

Si souvent je suis incapable sur le moment, lorsque quelque chose m'advient, d'éprouver quoi que ce soit, incapable de discerner d'emblée ce qui ne me paraîtra qu'après coup avoir été alors tellement intéressant ou riche de sens ou émouvant - et s'agissant de ces heures passées avec Bastien à faire le tour de l'île, de ses bâtiments et de ses jardins, c'est bien encore ce qui m'est arrivé puisqu'il m'a fallu attendre de me retrouver seul, le lendemain matin, d'aller marcher au pied de la falaise et de m'asseoir dans l'une de ses petites grottes voûtées en cul-de-four comme une absidiole, je vais vous dire -, si souvent je en sais rien et ne vois rien de ce qui bientôt saura me toucher puissamment, que les choses qui parviennent à m'émouvoir aussitôt qu'elles m'apparaissent ajoutent à leurs qualités propres celles du ravissement : ce n'est pas d'hier que m'émerveillent ces escaliers où les grands architectes des prémontrés ont poussé la science de la taille de pierres et la science des forces contraintes à un sublime degré de maîtrise et de beauté, du moins leurs parfaites œuvres d'art ne sont pas sans rapport avec les intérêts de mon métier, mais d'où vient qu'un verger clos de murs, avec sa porte au fond prise dans l'épaisseur du mur et qui a un linteau comme une porte intérieure, d'où vient que m'émerveille toujours dès qu'elle m'apparaît cette chose si simple : une étendue bien plane d'herbe verte qui forme un carré ou un rectangle dans l'enceinte de ses murs de pierre, quelques travées d'arbres fruitiers rangés en ligne, et cette porte, au fond, tellement troublante, cette porte du clos qui a les dimensions d'une porte de chambre et qui donne pourtant accès au-dehors, à un champ, à un bois, à cette autre partie du jardin dont elle isole le clos -, cette petite porte du clos qui est peut-être tellement troublante par le fait qu'elle bouleverse les catégories communes de l'intérieur et de l'extérieur, soit que l'on considère qu'étant déjà dehors dans le verger, il y a derrière la porte un autre dehors, un extérieur plus extérieur encore, soit que, pris qu'on est dans l'enceinte intérieure du clos, sa porte vous donne à penser que vous êtes dedans tout en étant dehors, sous le ciel extérieur et à l'intérieur du verger dont vous pouvez ou non sortir ? [C'est moi qui souligne]

D'où vient qu'aux images suscitées par le roman se mêlent, et souvent s'imposent, celles de La Font du Four ? Je pose la question mais je crois connaître la réponse.

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