vendredi 1 septembre 2017

# 209/313 - Carpe diem

"Catulle, Horace l'ont dit mémorablement après les Grecs. Comment les poètes humanistes, et Ronsard, ne s'en souviendraient-ils pas ? Notre vie est comparable à une journée, illuminée d'un bref soleil ; l'ombre tombe vite. Faut-il rappeler Du Bellay : "Si notre vie est moins qu'une journée"?..."
Jean Starobinski, Ronsard, in La beauté du monde, p. 274

"Pour celui qui touche à la fin de sa vie, poursuit Jean Starobinski, celle-ci, presque indifféremment, peut être représentée par la série des ans révolus, ou par le cycle unique d'une seule année ou d'un seul jour. Quand Ronsard regarde vers le passé, la vie parcourue, dans toute sa diversité et sa violence, n'est qu'une brève succession de jours, et l'histoire humaine se réduit à la répétition indéfinie du matin et du soir, à la succession des "météores", à l'infortune des nations :
Ja du prochain hyver je prevoy la tempeste,
Ja cinquante et six ans ont neigé sur ma teste,
Il est temps de laisser les vers et les amours,
Et de prendre congé du plus beau de mes jours.
J'ai vescu, Villeroy, si bien que nulle envie
En partant je ne porte aux plaisirs de la vie [...]
J'ay veu lever le jour, j'ay veu coucher le soir,
J'ay veu greller, tonner, esclairer et pluvoir,
J'ay veu peuples et Rois, et depuis vingt années
J'ay veu presque la France au bout de ses journées [...]
[...] J'ay veu que sous la Lune
Tout n'estoit que hazard, et pendoit la Fortune.₁ "
Ce constat s'accompagne d'un renoncement résigné. Ailleurs, comme nous devons nous y attendre, le cours du temps, la puissance de mort inscrite dans le laps d'une seule journée constituent, au gré d'un raisonnement pseudo-syllogistique, l'une des prémisses dont la conclusion sera le carpe diem, selon l'une ou l'autre de ses innombrables variantes :

[...] Les beautez en un jour s'en vont comme les roses.₂
[...] ainsi qu'un bouquet se flestrit en un jour.
J'ai peur qu'un mesme jour flestrisse votre amour.₃"



Dans ce même temps de juin où je lisais ces lignes, il se trouve que je découvrais sur Mubi un des chefs d’œuvre d'Akira Kurosawa : Vivre (Ikiru), sorti en 1952. Il y est question aussi de quelqu'un qui "touche à la fin de sa vie", en l'occurrence un petit chef de bureau, Watanabe, qui apprend qu'il a un cancer de l'estomac et qu'il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Lui qui a passé presque trente ans à tamponner des formulaires sans une seule journée d'absence, il prend soudain conscience de la vacuité de son existence. Bouleversé, il abandonne son poste, se met à boire, découvre les plaisirs nocturnes en compagnie d'un écrivain nihiliste, tombe sous le charme d'une jeune collègue de travail, avant de trouver véritablement sa voie : consacrer tout ce qui lui reste de temps et d'énergie pour créer un parc pour les enfants d'un quartier populaire, réclamé en vain jusque-là par une poignée de mères de famille. C'est une variante de la philosophie du carpe diem que Kurosawa explore ici, comme le souligne la présentation du DVD sur le site des éditions Wildside : "L'incroyable passage musical avec la chanson Life is brief (monument du film) ajouté à la performance de l'acteur principal, Takashi Shimura, témoignent du désir de Kurosawa de toujours privilégier le fait d'agir,, surtout d'agir pour les autres : un hommage fulgurant à la philosophie du carpe diem - profiter de l'instant. Une morale qui tranche véritablement avec l'individualisme moderne. « Vivre ce n'est pas attendre la mort » Kurosawa

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1. A.N. de Neufville, t. I, p. 279.
2. Sonnets pour Hélène, Premier Livre, t.1, p. 241.
3. Ibid. Second Livre, t.1,p. 268.

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