samedi 20 août 2022

2.2.1. J'ai rêvé d'Helen Mirren

Suite de 2.2. Apeirogon ou La huppe et le cratérope écaillé

Le 2 mai dernier, j'ai rêvé d'Helen Mirren. Mais je devrais être plus précis, car je ne suis pas certain que dans ce rêve, l'actrice anglaise ait été présente, je veux dire, que son image ait été présente. Pour la bonne raison que je ne la connais pour ainsi dire pas. Non, ce qui fut présent fut son nom : Helen Mirren. D'où venait-il ? Je n'en savais rien. La réponse me fut donnée lors de la rédaction du dernier article,  consacré au livre de Colum McCann, Apeirogon. Rappelez-vous, j'y évoquais la tournée africaine de Peter Brook, en décembre 1972, jouant La Conférence des oiseaux dans le Sahara : 

"Dans la pièce, chaque oiseau incarne un défaut humain qui empêche l’homme d’atteindre les lumières. Le plus sage d’entre eux, la huppe, propose qu’ils essaient tous ensemble de trouver le Simorgh, la légendaire créature perse, afin qu’ils puissent accéder aux lumières.
Le texte, adapté par Brook et Jean-Claude Carrière, faisait une place aux sons et aux mouvements aléatoires. Pendant le spectacle, les acteurs – dont Helen Mirren et Yoshi Oida – poussaient des chants d’oiseaux exotiques et sautaient dans des cartons vides répartis autour du tapis : une danse de la poussière." (C'est moi qui souligne)

Or, cet extrait d'Apeirogon, je l'avais épinglé le 30 avril. Pour je ne sais quelle raison, l'inconscient avait enregistré le nom d'Helen Mirren, et l'avait recyclé dans un rêve* deux jours plus tard. Ce même 30 avril, j'avais aussi noté qu'un article du Monde, daté du 27 avril, avertissait de la reprise, au Théâtre des Bouffes du Nord, de La Tempête de Shakespeare, par Peter Brook. C'était donc peu de temps avant sa mort, survenue le 2 juillet. A vrai dire, il ne s'agissait pas tout à fait d'une nouvelle mise en scène de la pièce (qu'il avait réalisée à trois reprises, en 1957, 1968 et 1990, déjà aux Bouffes du Nord), mais d'un projet (Tempest Project) issu de plusieurs ateliers avec des acteurs, en anglais et en français. "Le théâtre, écrit Fabienne Darge, est une île, à l’image de celle de La Tempête, « pleine de bruits, de sons et d’airs mélodieux » – le lieu par excellence où peuvent s’incarner, de la manière la plus aérienne qui soit, les forces de l’esprit. Pour peu qu’elles soient convoquées par un mage à même de les animer. La Tempête est bien une métaphore du théâtre, et surtout du théâtre qu’a cherché Peter Brook tout au long de sa vie."

Dans une vidéo associée à l'article, Peter Brook précisait que dans La Tempête, "il y a des résonances, des échos qui traversent toutes les pièces de Shakespeare." Il insistait sur les thèmes de l'injustice et de la liberté sociale, politique et individuelle. La Tempête ne finit-elle pas sur le mot "free" ? (Let your indulgence set me free)**.

Plus tard, le 9 mai, je tombe sur un article du Guardian, du 6 mars 2011, consacré à Helen Mirren (article que je ne cherchais nullement, et dont j'ai oublié comment il est apparu dans mon champ de vision). Philip French y rend compte du film The Tempest, de Julie Taymor, où Helen Mirren joue Prospera (Taymor a féminisé le rôle du mage Prospero).

Helen Mirren (Prospera), The Tempest

Le film est par ailleurs cité par Margaret Atwood, dans les remerciements de la fin de son roman Graine de sorcière (10/18, 2020), que j'avais lu peu de temps auparavant, dans le cadre de mes interventions à la centrale de Saint-Maur. Remarquable roman, où La Tempête joue un rôle majeur. Il n'est que de lire la présentation de l'éditeur :

"Injustement licencié de son poste de directeur du festival de Makeshiweg, au Canada, alors qu’il mettait en scène La Tempête de Shakespeare, Felix décide de disparaître. Il change de nom et s’installe dans une maisonnette au coeur de la forêt pour y panser ses blessures, pleurer sa fille disparue. Et préparer sa vengeance.
Douze années passent et une chance de renaître se présente à Felix lorsqu’on lui propose de donner des cours de théâtre dans une prison. Là, enfin, il pourra monter La Tempête avec sa troupe de détenus, et tendre un piège aux traîtres qui l’ont détruit. Mais la chute de ses ennemis suffira-t-elle pour qu’il s’élève de nouveau ?"

L'épilogue du livre de Atwood a d'ailleurs pour titre Délivrez-moi, reprenant donc à la lettre le dernier vers de la pièce. Celle que Félix délivrera, ce sera sa petite fille disparue, Miranda.

"Il se saisit de la photo de Miranda dans son cadre argenté, Miranda qui rit joyeusement sur sa balançoire. La voilà, à trois ans, perdue dans le passé. Mais non, car elle est aussi ici et le regarde se préparer à quitter la pauvre cellule où elle a été piégée avec lui. Déjà, elle s'estompe, perd de sa substance : c'est à peine s'il la perçoit. Elle lui pose une question. Exige-t-il qu'elle l'accompagne jusqu'au terme de son voyage ?
A quoi pensait-il donc - en la gardant attachée avec lui tout ce temps ? En l'obligeant à obéir à ses ordres ? Quel égoïste il a fait ! Oui, il l'aime : sa chérie, son enfant unique. Mais il sait ce qu'elle veut, au fond, et ce qu'il lui doit.
"Dans les éléments sois libre", lui dit-il.
Et enfin elle l'est." (p. 346)

 


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* Du rêve lui-même, je n'ai noté au matin qu'une seule autre caractéristique : il était question d'un film qui évacuait "toute idée de transcendance". 

Pour être complet, il me faut ajouter que j'avais fait un second rêve cinématographique cette nuit-là. Je ne le cite que pour mémoire, ne voyant pas pour l'heure comment le raccorder aux thématiques abordées supra. Je tournais, tenez-vous bien, un téléfilm avec Gérard Depardieu (il avait une caméra à la main). Il y avait une foule de curieux et de la neige sur les toits au début du rêve. Je ne connais pas le texte, Depardieu me parle d'un pull, et quand je lui demande comment il doit être, il me répond en somme que c'est mon travail que de le dénicher. Je dis aussi : "Ce n'est parce qu'on répète ici que le film se fera ici." Les déclarations d'intention légèrement obscures de Gégé me font penser à un ami metteur en scène.

** "Mais d'abord délivrez-moi", dans la traduction d'Yves Bonnefoy.

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