Il me faut revenir un peu en arrière. A cette constellation de signes qui s'était imposée autour de cette date de la Toussaint dernière, et que j'ai exposée dans La maison vide et Bon pour les filles. Un troisième élément s'y rattachait que je n'ai pas mentionné alors, et qui m'était apparu dans une des lectures du moment, le Compléments à la théorie sexuelle et sur l'amour, de Pascal Quignard (Seuil, Fiction&Cie, 2024). Il s'agit de la troisième section du neuvième chapitre, Qu'est-ce qu'un auctoramentum ? (version nouvelle d'une postface à la réédition en 2014 de son essai sur Leopold von Sacher-Masoch). Section intitulée La plage d'Ostie, et qui commence ainsi :
L'assassinat commandité de Pier Paolo Pasolini, à l'âge de cinquante-trois ans, roué de coups par trois personnes, mis à mort la veille de la Toussaint, puis écrasé par sa propre voiture, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, dans un terrain vague situé près de la mer, à Ostie, renvoie-t-il à un pacte ? (p. 115-116)
J'avais évoqué récemment Pasolini dans mon article L'odore dell' l'India, livre découvert à la suite des Rencontres de Chaminadour *consacré à l'écrivain italien.
Un mois plus tard, j'apprends la publication du livre du même nom, associant le texte de Pasolini et les images que le photographe Paolo Roversi a prises en Inde en 1989. Un soir de janvier de cette année-là, Paolo Roversi fit une halte à l’hôtel Malabar de Cochin, dans la région du Kerala. Entamant la lecture de L’Odeur de l’Inde de Pier Paolo Pasolini, il réalisa qu’il résidait exactement dans l’établissement où séjourna presque trente ans plus tôt son compatriote italien. Laurent Rigoulet, dans Télérama, écrit que "l’on vogue de l’un à l’autre, de l’écrit à la photo, de l’image au récit, comme en rêvait Paolo Roversi, qui souhaitait publier ce recueil depuis une trentaine d’années. Le photographe s’est coulé dans les pas de son aîné, il a cherché, parmi la multitude, des figures que celui-ci aurait pu croiser. Il s’est surtout frotté aux mêmes interrogations, celle d’un homme italien dont l’enfance fut dominée par le catholicisme et qui découvre une autre religion, une autre lumière, un autre rapport au monde : « L’hindouisme est une religion magnifique, professait l’athée Pasolini. Elle a rendu les hommes modestes, doux, raisonnables. C’est cet esprit de quiétude qui a rendu possible la remarquable action politique de Gandhi : la non-violence. »
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| Paolo Roversi (L'Odeur de l'Inde, Atelier EXB, Paris, 2025) |
On peut bien sûr s'interroger sur la clairvoyance de Pasolini par rapport à l'hindouisme, quand on sait ce qui se passe aujourd'hui avec Narendra Modi (par exemple, le nombre de crimes de haine contre les minorités musulmanes et chrétiennes a augmenté de 300 % depuis l’arrivée de Modi au pouvoir selon une étude de 2023 de l’université américaine du Massachussets, et l'Inde a constamment reculé dans le classement sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières ; en 2023, elle pointe à la 161e place sur 180 pays). Mais en 1961, date du voyage de l'écrivain, les choses étaient bien différentes, et il n'a séjourné que quelques mois dans le pays.
Dans un entretien avec Philippe Séclier, Paolo Roversi confie le souvenir suivant : « Lorsque j’étais étudiant à Ravenne. Ma professeure de latin, chez qui j’allais souvent pour des cours privés, n’était autre que la tante de Pasolini. Un jour, on sonne à sa porte : c’était Pier Paolo. Elle lui demande ce qu’il fait là et il répond aussitôt qu’il a besoin de s’éloigner de Rome et de fuir la persécution dont il est victime : les procès, critiques et attaques de toutes sortes. Je l’ai vu s’appuyer sur la table, la tête dans ses bras, et il a commencé à pleurer. Voilà l’image qui me reste de Pier Paolo Pasolini. Celle d’un très grand poète en larmes, à qui l’on a fait beaucoup de mal. »
Mais il faut revenir maintenant sur cette question posée par Pascal Quignard : L’assassinat de Pier Paolo Pasolini renvoie-t-il à un pacte ? De quel pacte veut-il parler ?
Suite au prochain épisode.
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* A Chaminadour, j'ai découvert aussi que Pasolini avait écrit des sonnets. J'avais alors commencé à en écrire de mon côté (j'en donne un exemple dans l'article sur La maison vide). Et cela m'a conforté dans mon élan.


