Après avoir vu Le Havre de Kaurismaki, à l'Apollo, avec Pauline, le cinéma toujours avec ce formidable documentaire de Jérôme Prieur sur Arte :
mardi 27 décembre 2011
Vivement le cinéma
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mardi 20 décembre 2011
Sale temps pour les poètes
Je me demande si je ne vire pas à un certain sadisme, car je me vois conduit à prolonger cette série de billets réjouissants axés sur la mort, le suicide et la grande déprime. C'est que décembre est plus que jamais le temps de la grande Camarde. Voilà qu'après Dubillard, ont disparu Cesaria Evora, dont la saudade continuera longtemps de donner couleur à nos mélancolies, Vaclav Havel, le moins connu Jean-Jacques Lévêque, qui connaissait si bien les surréalistes, le dessinateur Eduardo Barreto, qui a donné vie à Superman et Batman, Joe Simon, co-créateur de Captain America, le poète Georges Jean et le « Dirigeant bien-aimé » Kim Jong Il (tiens, il y a un intrus dans la liste, saurez-vous le trouver).
Une hécatombe.
Et je viens de terminer le recueil de Kiki Dimoula, une grande poétesse grecque traduite par Michel Volkovitch. Dimoula dont un commentateur grec, Nìkos Dìmou, dit de sa poésie qu'elle n'a qu'un sujet : le néant. «L'unique thème de Dimoula, c'est le passage — progressif ou soudain — de l'être au non-être. Ce passage qui s'appelle temps, usure ou mort.»
Allez, un petit exemple (on se reportera à la page de Volkovitch pour en lire davantage ):
BULLETIN DE SABLE
Une hécatombe.
Et je viens de terminer le recueil de Kiki Dimoula, une grande poétesse grecque traduite par Michel Volkovitch. Dimoula dont un commentateur grec, Nìkos Dìmou, dit de sa poésie qu'elle n'a qu'un sujet : le néant. «L'unique thème de Dimoula, c'est le passage — progressif ou soudain — de l'être au non-être. Ce passage qui s'appelle temps, usure ou mort.»
"En effet, poursuit Michel Volkovitch, : chacun de ses poèmes reprend à neuf,
obsessionnellement, l'inventaire de ce qui est perdu, de ce qui n'est
plus. La mort d'un mari bien-aimé, qui hante les recueils suivant
celui-ci, ne fera que cristalliser cette obsession, la rendre plus vive
encore.
Pas de personnages ici. Une voix est là qui parle, seule
mais entourée d'absents qu'elle interpelle : êtres chers disparus, ou
soi-même autrefois, ou encore Dieu — un Dieu dont on ne sait trop s'il
faut y croire. Si des formes humaines se laissent voir, c'est sous forme
de sculptures ou de peintures, ou figées par la photographie, cette
invention bienfaisante et cruelle qui rend le passé à jamais présent, et
en même temps plus que jamais hors d'atteinte."
Par bonheur, ce n'est pas si simple. Je laisse encore la parole au traducteur :
"La perte, la mort, le néant, tout cela parfaitement
vrai, mais on pourrait tout aussi bien dire le contraire. Les poèmes de
Dimoula sont grouillants de vie à leur façon. Un torrent d'images les
irrigue, le plus souvent inattendues, audacieuses, se chassant par
moments l'une l'autre à toute allure. L'humble réalité qu'elles
décrivent acquiert une vie intense, presque angoissante, vue à travers
ces verres grossissants qui en la métaphorisant la métamorphosent.
Pas de personnages ici, sans doute, mais précisons : pas
de personnages humains. Seulement voilà, chez Dimoula tout devient
vivant : les objets qu'elle met en scène, et même des abstractions qui
elles aussi, placées dans les situations les plus concrètes,
apparaissent ici dotées de sentiments, capables de paroles et d'actes,
promues acteurs de la tragi-comédie.
Car — autre paradoxe, mais chez Dimoula, le paradoxe est
perpétuel — la mélancolie si noire et si lourde qui rôde sur ses pages
est sans cesse relevée, allégée par un humour plus ou moins diffus, une
espèce de vivacité guillerette. Les images incongrues, les entrechocs de
ces images, les personnifications saugrenues, la syntaxe et le
vocabulaire allègrement bousculés, tout cela prend des allures de jeu.
Cette poésie très sombre scintille de tous ses mots, d'une éclatante
vitalité. Existants ou non — Dimoula néologise avec entrain —, ils
rebondissent de vers en vers, légers comme des balles de jongleur et
lourds de doubles-sens, car on va jusqu'au calembour, lequel fait naître
un sourire et en même temps jette une ombre, car ce double fond a
quelque chose d'obscur, d'incertain, d'inquiétant."
BULLETIN DE SABLE
Nouvelles intérieures :
Les bruits bien sages dans la maison.
Leur vertu fatiguée
a sommeil.
Le corps a enfilé son âme de nuit
et s'apprête à sombrer.
Les ombres ont bu leur tonique
et grandissent aux murs.
Quelques lueurs soudaines
au bout rouge de la cigarette
sont apaisées par la cendre psychiatre.
Tes lunettes sur le bureau assises en tailleur
bouddha plongé dans l'autocontemplation.
Une importante découverte
de la loupe : sous son regard
la poussière se déchaîne, grossit
comme du sable et l'on a vu déserte
une mer sablonneuse
courir sur tes affaires.
Nouvelles de l'étranger :
Nous avons eu aujourd'hui un temps
un peu meilleur que le temps perdu.
Mais moi que les petits progrès
épuisent je ne l'ai pas essayé.
On a encore fêté l'anniversaire hier
du dimanche, invivable tous les six jours.
On a trouvé un phare, on a perdu son sens
avec les brisants.
Ta démission est acceptée.
Dommage.
Tu avais tant à perdre encore ici.
dimanche 18 décembre 2011
Vous aimez le gaz, vous ?
Avant-hier, je titrais "C'est foutu" pour parler un peu du Tampographe Sardon et montrer ses délicieuses gaufrettes déprimantes. Les productions et les écrits de Sardon sur son blog produisent en moi le même genre d'effet que la prose de Cioran, dont j'avais découvert à l'adolescence les Syllogismes de l'amertume. J'avais adoré. C'était d'une noirceur quasi absolue, mais l'humour et la verve, le bonheur de langue et le ciselé des formules emportait tout, et finalement vous détournait de ce à quoi on aurait pu penser que ce genre de textes ne pouvait que vous entraîner : le suicide. Cioran lui-même aimait à dire que certaines personnes l'avaient remercié d'être tombées sur un de ses livres à un moment difficile de leur vie : elles en avaient trouvé contre toute attente des ressources pour continuer à vivre.
Aujourd'hui, après passage à la médiathèque, j'ai lu le dernier roman, court (120 pages), de Philip Roth, Le rabaissement. Le titre augure bien du propos : cette histoire d'un acteur flamboyant qui du jour au lendemain perd toute sa magie, et ne parvient plus à jouer, devient lamentable et ridicule (une prémisse que j'ai de la peine à avaler, car un grand acteur, même s'il perd son génie, sa fraîcheur, sa capacité d'invention, s'en sort toujours plus ou moins par son métier, mais passons), cette histoire est une descente dans les ténèbres, expression de la quatrième de couverture qui d'ailleurs, faisant fi du suspense, raconte presque tout. La solitude au bout du compte, et le suicide quand il finit par se faire larguer par l'ex-lesbienne avec qui il jouait les Pygmalion. C'est sec, vigoureux, nettoyé à l'Ajax. Pas de tendresse pour le personnage, on ne peut pas accuser Roth de tomber dans le sentimentalisme. Mais l'absence de toute poésie me gêne (il me semble que je n'avais pas ressenti un tel malaise dans l'autre petit roman de lui que j'ai lu l'an dernier, Un homme, et pourtant ce n'était pas non plus la joie ce bouquin-là).
J'ai lu les critiques de Télérama et des Inrocks. Elogieuses, forcément, mais elles ne m'ont pas vraiment convaincu. Il s'y déploie une sorte de rhétorique un peu creuse. Nelly Kapriélan finit par ces mots :
Bon, toujours est-il qu'à propos de suicide, je trouve dans une chronique de Rue89 sur la mort de Roland Dubillard (évoquée dans Les Misérables 62), cet extrait jubilatoire d'un des Diablogues : le suicide de Georges.
Aujourd'hui, après passage à la médiathèque, j'ai lu le dernier roman, court (120 pages), de Philip Roth, Le rabaissement. Le titre augure bien du propos : cette histoire d'un acteur flamboyant qui du jour au lendemain perd toute sa magie, et ne parvient plus à jouer, devient lamentable et ridicule (une prémisse que j'ai de la peine à avaler, car un grand acteur, même s'il perd son génie, sa fraîcheur, sa capacité d'invention, s'en sort toujours plus ou moins par son métier, mais passons), cette histoire est une descente dans les ténèbres, expression de la quatrième de couverture qui d'ailleurs, faisant fi du suspense, raconte presque tout. La solitude au bout du compte, et le suicide quand il finit par se faire larguer par l'ex-lesbienne avec qui il jouait les Pygmalion. C'est sec, vigoureux, nettoyé à l'Ajax. Pas de tendresse pour le personnage, on ne peut pas accuser Roth de tomber dans le sentimentalisme. Mais l'absence de toute poésie me gêne (il me semble que je n'avais pas ressenti un tel malaise dans l'autre petit roman de lui que j'ai lu l'an dernier, Un homme, et pourtant ce n'était pas non plus la joie ce bouquin-là).
J'ai lu les critiques de Télérama et des Inrocks. Elogieuses, forcément, mais elles ne m'ont pas vraiment convaincu. Il s'y déploie une sorte de rhétorique un peu creuse. Nelly Kapriélan finit par ces mots :
On ne lit pas Philip Roth pour sa joie de vivre - on le lit parce que ses livres sont sexuels, car, comme le sexe, tiraillés entre plaisir et inquiétude, purs moments où l'on se confronte à l'éclat jouissif, blessant, de la vérité alors que l'on tentait de se perdre.Je veux bien qu'on m'explique l'éclat jouissif, blessant, de la vérité alors que l'on tentait de se perdre. Faut-il comprendre que le sexe, en libérant un flux de plaisir masochiste, nous dépouille de nos illusions ?
Bon, toujours est-il qu'à propos de suicide, je trouve dans une chronique de Rue89 sur la mort de Roland Dubillard (évoquée dans Les Misérables 62), cet extrait jubilatoire d'un des Diablogues : le suicide de Georges.
« UN –Vous aimez le gaz, vous ?
DEUX- Oui, j'aime bien. A chaque fois que je veux me suicider, j'ouvre le gaz en grand.
UN- Et ça vous réussit ?
DEUX –Assez bien, oui. Mais ma femme ne peut pas supporter l'odeur du gaz, alors elle le referme tout de suite. Et puis elle me dit : toi, tu t'en fiches , mais qui c'est qui qui paiera la note du gaz ?
UN- C'est vrai qu'un suicide au gaz ça doit revenir cher. »
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jeudi 15 décembre 2011
C'est foutu
De temps en temps, pour se requinquer, faire un tour sur le blog du Tampographe Sardon.
Bel entretien ici.
lundi 12 décembre 2011
Portico Quartet
Depuis l'été 2010, cette musique de ce quartet m'accompagne.Un envoûtement.
vendredi 2 décembre 2011
Seul avec les géants
Hier soir, à l'Apollo, seul, absolument seul, pour voir le film de Bouli Lanners, Les Géants. Singulière sensation de ce cinéma juste pour soi, cette vaste salle dont j'occupai à peu près le centre géométrique. Le projectionniste invisible, que je rencontrai à la sortie, me dit n'avoir pas vu le film. Qu'avait-il fait après avoir lancé les bobines ? Fumé sa clope dans la courette de l'entrée ? Lu ses mails dans le bureau ? Discuté le coup avec E. qui tenait la caisse ? Ces images n'avaient donc été que pour moi. Le film était-il si austère et si ennuyeux pour que le castelroussin s'en détourne aussi radicalement ? Non, pourtant. Je crois plutôt qu'il n'a bénéficié d'aucune promotion, que ce n'est pas une comédie, et pas non plus un film intello, que c'est un film belge mais que Poelvoorde ne joue pas dedans, que c'est l'histoire de trois ados en rupture de famille, trois garnements lâchés dans un monde de brutes, et que les adultes se foutent des histoires d'ado et que les ados ne foutent les pieds à l'Apollo que traînés par leurs profs. C'est en tout cas trois jeunes acteurs étonnants de justesse et de fraîcheur, trois incarnations wallonnes d'Huckleberry Finn. C'est une sorte de conte, cruel et sanglant comme les vrais contes, salubre et joyeux comme les vrais contes.
mercredi 30 novembre 2011
Leprest symphonique
EPK Leprest Symphonique from Jean-Manuel Vignau on Vimeo.
Cet homme-là était grand, et j'ai beaucoup de tristesse à penser que je l'ai manqué de son vivant. Un disque sort, posthume, ces jours-ci, sa voix et un orchestre symphonique, ses copains, ceux qui l'aimaient.
dimanche 27 novembre 2011
J'inventais des légendes
J'inventais des légendes pour des villes sans passé
Des sables sans mémoire j'exhumais des héros
Des centres commerciaux passaient sous la férule des étoiles
Je disais : "Ici mourut le prince inconsolé,
Dauphin des Trois-Royaumes, chevalier sans cheval,
sous ce ciment, dans l'Hadès d'un parking souterrain."
Je disais : "Ici reviendra comme annoncé
L'Armée des Cent-Brigands, la Horde Tremblante,
qui s'égara une nuit dans la bouche d'un métro."
J'inventais le Sacré nouveau, le Mythe inédit,
l'oracle par wifi, la divination par satellite
J'étais l'augure malade de l'avenir désertifié
vendredi 25 novembre 2011
Dakota Box
[Biarritz, 27 avril 2011]
La petite fille et sa mère, à l'un des restaus de la place Saint-Eugénie, où nous prenons l'apéro. Portable à l'oreille en quasi-permanence. Nous allons dîner un peu plus loin. A la fin du repas, nous les voyons passer. La petite fille derrière, la mère devant, son engin toujours vissé à l'oreille.
L'hôtel de "charme" de la Dakota Box est situé boulevard Marcel Dasssault, près de l'aéroport, à 3 kilomètres du centre-ville... Une sorte de B and B. La notice se gardait bien de préciser cet emplacement. Propre, c'est toujours ça de mieux qu'à Goussainville (dont le Première Classe restera comme le comble de l'horreur hôtelière).
La petite fille et sa mère, à l'un des restaus de la place Saint-Eugénie, où nous prenons l'apéro. Portable à l'oreille en quasi-permanence. Nous allons dîner un peu plus loin. A la fin du repas, nous les voyons passer. La petite fille derrière, la mère devant, son engin toujours vissé à l'oreille.
L'hôtel de "charme" de la Dakota Box est situé boulevard Marcel Dasssault, près de l'aéroport, à 3 kilomètres du centre-ville... Une sorte de B and B. La notice se gardait bien de préciser cet emplacement. Propre, c'est toujours ça de mieux qu'à Goussainville (dont le Première Classe restera comme le comble de l'horreur hôtelière).
mardi 22 novembre 2011
La réjouissance
"Aucun constat de la"condition humaine" ne saurait être autre chose que mensonge lorsqu'il ne tient pas compte de l'expérience la plus importante de l'être, celle qui permet à la vie de continuer et aux civilisations d'être poursuivies, et qui est la joie d'exister."
Romain Gary, Pour Sganarelle, p. 324.
"La réjouissance ne consiste pas à être heureux, mais à se disposer à éprouver cette joie d'être qui est la condition de toute action puissante. Et telle est la primauté de l'éthique sur la morale que la réjouissance constitue elle-même la "disposition"(hexis) qui permet d'accéder au bonheur comme souverain bien moral."
Paul Audi, Créer, p.121.
"Il faut concevoir la réjouissance non comme un état affectif, mais comme un acte éthique fondamental ; un acte par lequel le moi se trouve "heureusement" reconduit à la pleine et entière disposition de soi."
Paul Audi, Créer, p. 123.
Kierkegaard : "Du possible, sinon j'étouffe..."
[26 avril 2010, La J.]
Romain Gary, Pour Sganarelle, p. 324.
"La réjouissance ne consiste pas à être heureux, mais à se disposer à éprouver cette joie d'être qui est la condition de toute action puissante. Et telle est la primauté de l'éthique sur la morale que la réjouissance constitue elle-même la "disposition"(hexis) qui permet d'accéder au bonheur comme souverain bien moral."
Paul Audi, Créer, p.121.
"Il faut concevoir la réjouissance non comme un état affectif, mais comme un acte éthique fondamental ; un acte par lequel le moi se trouve "heureusement" reconduit à la pleine et entière disposition de soi."
Paul Audi, Créer, p. 123.
Kierkegaard : "Du possible, sinon j'étouffe..."
[26 avril 2010, La J.]
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dimanche 20 novembre 2011
Oser et gagner le chaos
"Le narcissisme n'est pas l'amour de soi, mais l'amour de - ou l'attirance pour - l'image de soi."
"L'art ose et gagne le chaos (...)" (Heidegger)
"Oser et gagner le chaos, cela signifie prendre le risque de s'affronter à lui, et cela afin de le "repousser", de l'empêcher d'avoir le dernier mot, ou plutôt afin que la vie, lorsqu'elle se sent menacée par ce chaos de l'Apparence d'où pourtant elle se dresse, continue à être possible, c'est-à-dire continue à vivre comme elle désire et rêve de vivre."
Paul Audi, Créer, p. 75.
"Le bonheur et le malheur sont des frères jumeaux qui grandissent ensemble, ou bien qui [...] restent petits ensemble."
Nietzsche, Le gai savoir, §338.
samedi 19 novembre 2011
Sapere aude
Créer, Introduction à l' Esth/éthique, de Paul Audi, Verdier-Poche. J'ai acheté ce livre le 15 septembre 2010, et je n'en ai toujours pas fini avec lui. Il faut dire qu'on tient là un pavé, avec ses 840 pages serrées, enfermant des passages ardus, qui nécessiteraient bien cordes et piolets philosophiques. Actuellement bloqué à la page 532, je ne désespère pourtant pas d'en venir à bout, bien que le fait d'abandonner un ouvrage en cours de route ne me tracasse plus beaucoup, et même pas du tout si le bouquin s'avère décevant sur la longueur (alors basta, pas de temps à perdre), mais en l'occurrence ce n'est pas le cas. C'est à Pâques 2010 que j'avais entamé la lecture, et extrait quelques phrases bien senties :
" (...) ce qu'il importe de reconnaître sans détour, c'est qu'il n'y a jamais que là où se conclut l'alliance de l'esprit et du cœur, là où s'accomplit le miracle de leur articulation, que naît ce que l'on peut se permettre d'appeler une "œuvre de civilisation".
(..)
Y faire régner son cœur au nom (faut-il le préciser) de quelques préférences (d'aucuns diraient quelques principes) tels que l'élévation de l'âme, le raffinement de l'esprit,la noblesse des sentiments, la dignité de caractère - autant d'idéaux à coup sûr surannés, voire ridiculement provocants, dont le sens, éthique s'il en fut, fait encore battre le cœur de certains (...). " (p. 33-34)
"Sapere aude, ose connaître, c'est-à-dire en l'occurrence : se penser par soi-même, sers-toi de ton esprit de façon sûre et correcte, sans être dirigée par autrui ni par autre chose que ta propre raison." (p. 36)
A ceci je voudrais simplement ajouter aujourd'hui cette petite vidéo d'un philosophe dont je viens de découvrir l'existence, Alain Guyard, prof en rupture d'Education nationale mais qui continue son enseignement dans les prisons. Auteur d'un roman, Zonzon, que je n'ai pas lu mais dont les quelques comptes rendus que j'ai pu parcourir sont très prometteurs, il explique ici en quelques minutes ce que veut dire "exister" par rapport à "vivre". Une parole de liberté.
Alain GUYARD philosophie de la Prévention du... par Prevention-Suicide
mercredi 16 novembre 2011
Les vases brisés
"Selon la cabale, lors de la création de l'univers, les "vases" destinés à recevoir la lumière divine n'ont pu en supporter l'intensité et se sont brisés. Une partie de cette lumière - les étincelles - est de ce fait tombée dans la matière." (Le Chandelier d'or, p. 155)
Je suis sur les traces de ma première lecture, qui doit remonter à 2007, date d'achat du livre, je retrouve des passages soulignés dont je n'ai plus la mémoire. Il y a loin du lire -même si ce qui est lu est apparemment compris - à une véritable appropriation du sens en jeu dans la lecture. Loin de la compréhension immédiate à "l'incorporation" dans la conduite de sa propre vie.
[25 avril 2011, Lundi de Pâques.]
Je suis sur les traces de ma première lecture, qui doit remonter à 2007, date d'achat du livre, je retrouve des passages soulignés dont je n'ai plus la mémoire. Il y a loin du lire -même si ce qui est lu est apparemment compris - à une véritable appropriation du sens en jeu dans la lecture. Loin de la compréhension immédiate à "l'incorporation" dans la conduite de sa propre vie.
[25 avril 2011, Lundi de Pâques.]
mercredi 9 novembre 2011
Retour sous l'orage
Grondements.
Je me souviens d'un retour sous l'orage, à La F. du F. Nous étions allés au bord de la mer, avec la grand-mère Louise. Les derniers kilomètres sous des trombes d'eau. Montchevrier. Le panneau apparu à la faveur d'un éclair. L' arrivée dans la cuisine chaudement éclairée, où nous attendait le grand-père Julien. Comme une arrivée au port après une navigation sur la mer obscure et démontée. L'intense sentiment de la sécurité retrouvée, du bonheur du bercail.
Je devais avoir huit ans.
[15 avril, Lundi de Pâques 2011.]
Je me souviens d'un retour sous l'orage, à La F. du F. Nous étions allés au bord de la mer, avec la grand-mère Louise. Les derniers kilomètres sous des trombes d'eau. Montchevrier. Le panneau apparu à la faveur d'un éclair. L' arrivée dans la cuisine chaudement éclairée, où nous attendait le grand-père Julien. Comme une arrivée au port après une navigation sur la mer obscure et démontée. L'intense sentiment de la sécurité retrouvée, du bonheur du bercail.
Je devais avoir huit ans.
[15 avril, Lundi de Pâques 2011.]
lundi 7 novembre 2011
Neurons that fire together wire together
Règle de Hebb : "Neurons that fire together wire together." (Lorsque deux neurones déchargent conjointement, cela renforce le lien qui les unit. Plus je tremble, plus il est probable que je tremble dans l'avenir.)"
Siri Hustvedt, p.134.
"L'un des éléments des évaluations de QI consistait à demander au sujet d'identifier des objets à partir d'une image brouillée. Il fallait reconstituer mentalement ce qui avait été brisé en morceaux. "Ceux qui ont la meilleure capacité de synthèse visuelle de fragments en une image complète, commente Baruss, sont plus portés à croire qu'il y davantage dans la réalité que ce que l'on peut voir au premier regard." Je voudrais aller plus loin : peut-être les gens qui sont capables d'intégrer des fragments et de constituer une image unifiée sont-ils des gens qui comprennent la réalité non comme une simple mer d'objets matériels figés qui nous serait donnée d'avance, mais comme un puzzle de perceptions dépendants de celui qui regarde." (p. 167)
Baruss (Imants) : "Beliefs about Consciousness and Reality", Journal of Consciousness Studies, 15, n°10-11 (2008), p. 287.
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neurones,
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samedi 5 novembre 2011
Jour de Pâques
Nous nous sommes achetés des vélos.
En bus jusqu'à Cap Sud, Décathlon.
Retour sur nos bécanes.
Elle était heureuse. Moi aussi.
18 avril
Violette sait faire du vélo, elle aussi, depuis ce soir.
Siri Hustvedt, La femme qui tremble, Actes Sud.
Jour de Pâques.
Coïncidence, page 116 :
En bus jusqu'à Cap Sud, Décathlon.
Retour sur nos bécanes.
Elle était heureuse. Moi aussi.
18 avril
Violette sait faire du vélo, elle aussi, depuis ce soir.
Siri Hustvedt, La femme qui tremble, Actes Sud.
Jour de Pâques.
Coïncidence, page 116 :
"Je me souviens de la vue qu'on avait de la fenêtre de notre appartement, devant laquelle je pleurai un jour de Pâques : en cette journée de chapeaux et gants et légères robes printanières, les conventions voulaient qu'il fît tiède et ensoleillé mais, par cette fenêtre, je ne voyais que de la neige. Je me souviens d'avoir appris à rouler à bicyclette sur ce même campus, un printemps, et de ce que j'ai éprouvé lorsque mon père a lâché la bicyclette et que j'ai continué seule en pédalant, un peu instable mais joyeuse dès l'instant où j'ai compris que j'étais lancée et que je tenais droite."24 avril, La J.
mercredi 2 novembre 2011
La griffe du divin
Je n'avais plus de réserve pour la fiction brève. J'ai pensé un moment partir d'une phrase prise au hasard dans un livre. J'ai essayé avec un Janine Boissard mais ça ne m'a pas inspiré du tout.
Alors j'ai repensé à ce gars du Nord que Papa avait connu en Algérie, qui crachait encore noir sept mois après son arrivée. J'en ai fait mon texte d'aujourd'hui.
Retour dans Le Chandelier d'or de Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz, dont je n'ai jamais achevé la lecture. Cette pensée, proche de celle de Michael Edwards :
Je n'ai toujours pas terminé Le Chandelier d'or.
Alors j'ai repensé à ce gars du Nord que Papa avait connu en Algérie, qui crachait encore noir sept mois après son arrivée. J'en ai fait mon texte d'aujourd'hui.
Retour dans Le Chandelier d'or de Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz, dont je n'ai jamais achevé la lecture. Cette pensée, proche de celle de Michael Edwards :
"De la même façon, on a longtemps opposé la matière à l'esprit. Le judaïsme s'y est toujours refusé. La matière et l'esprit sont seulement, eux aussi, deux phases de la même réalité. On ne saurait identifier l'une au mal et l'autre au bien.17 avril 2011
J.E. : Ne serait-ce que pour une raison très simple : la matière, notre corps, notre esprit et notre âme sont, tous, voulus et créés par Dieu, et portent la griffe du divin." (p. 95)
Je n'ai toujours pas terminé Le Chandelier d'or.
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mardi 1 novembre 2011
La cigarette
A dix-sept ans, j'écrivais ça, par exemple (je venais de découvrir avec bonheur L'Instant fatal de Raymond Queneau, l'influence est manifeste) :
LA CIGARETTE
Il semble bien que je sois condamné
Je vois luire dans le lointain les crocs d'une potence
comme les feux d'une armée de brigands qui s'avance
Alors tranquillement
je roule mes mots
dans un papier grêle et blanc
J'allume
J'aspure
Et mon corps lentelentelentement
grille de maux croisés
L'alphabet mal phamé
part en fumée
Voilent le ciel
les volutes de voyelles
tandis que la cendre des syllabes
encrasse les phrases
Et mon corps se calcine
en bouffées mélancoliques
Plus qu'un taf
dernier autographe
Plus rien
Ne reste plus
que
mon âme (égo)
lundi 31 octobre 2011
On est sérieux quand on a dix-sept ans
Yvon Le Men, On est sérieux quand on a dix-sept ans.
Déjà je pressentais
Qu'un jour, à cause de toi,
La joie pouvait venir
D'un seul brin d'herbe
Même de moins.
Guillevic, in Trouées (cité par Yvon Le Men)
7 avril 2011
dimanche 30 octobre 2011
Le lait noir du temps
Chaque jour exprimer le lait du temps
traire le temps
le lait noir du temps
29/03
J'entreprends de mettre en ligne quelques passages de mon carnet Mondrian, qui va bientôt s'achever. Avec le recul de quelques mois, cela me permet de revenir sur ce qui déjà s'enrobe d'oubli. A juste titre souvent, mais, ici ou là, une phrase, une citation, une image raniment des étincelles de sens.
Le bonheur d'être ici, de Michael Edwards.
"L'infini est à chercher non pas au-delà, mais à l'intérieur du fini."(p.20)
Et même page, cette phrase, consonante avec ce que j'écrivais dans la chronique du Nomade #80.
"Toutes choses dans le temps écoutent, concertent et composent. Les rencontres des forces physiques et le jeu des volontés humaines coopèrent dans la confection de la mosaïque Instant."
5/04
samedi 29 octobre 2011
La nuit tachée de bronze
le recueil des empêchements
quelques pierres usées contre le jusant
vannes - en vain ouvertes ?
spasmes des étangs alourdis de brumes
le regret d'un foulque
piétineur d'ombre
trouver encore le chemin de la cave
tourner la chantepleure
s'en aller dans le vent des reproches
caresser la tête
secouée par la peur
pieuvre ramifiée des heures
sacrifiée par les flux
abouchée au néant
trace nette dans l'opium des matins
coup de couteau cerclant le silence
arrière-cuisine des mémoires
fils à nu
mosaïques sous les pieds nus
rendez-vous oubliés
dans l'ogive verte des étés
ça cogne un peu fort
dans la courbe des veines
la pluie nous réunit
dans l'enclos des douleurs
la nuit tachée de bronze
dans l'étourdissement des rumeurs
se resserre se resserre
nuage comprimé
dans l'exacte circonférence
d'une pupille
un marteau de soie
n'en saurait
exprimer la quiétude
28 mars 2011
vendredi 28 octobre 2011
Alluvions sans âge
"La drague avance lentement dans le fil du fleuve, lourde et têtue, elle débarrasse, racle, aspire, décrasse le lit du fleuve de toute la merde qui s'y est déposée, qui s'y dépose jour après jour ; dérocte le chenal, saluée alors merveilleuse tâcheronne nécessaire bonniche, son énorme fraise à trois têtes - trois fois l'envergure et la puissance du plus bel outil de forage pétrolier en eau très profonde, tout de même - fouraillant la roche pour conserver un passage aux coques des majestueux navires, cargos d'aventure et pétroliers dernier cri. Les deux garçons marquent un recul devant les citernes où se déverse le fond du fleuve, vase noirâtre, pâte sédimentaire remontée des profondeurs, alluvions sans âge, aucun scintillement là-dedans, rien, ils se mettent pourtant à y guetter la tranche d'une épave, un morceau de tôle, un débris humain, un os de crâne peut-être, oui, un coffre ou un coffre receleur de pierreries diverses, un trésor ouais, ce serait génial. Ils s'excitent, rigolards, ne cherchent rien, pas même la fortune, l'avenir n'a pas de forme pour eux qui vivent au jour le jour, sans autre tension que celle de leur jeunesse, ils tendent les mains, paumes vastes et doigts habiles, toujours prompts à palper de quoi jouer, de quoi se faire un peu de thune, toujours partants pour la première connerie."
Extrait du très bon roman de Maylis de Kerangal, naissance d'un pont, verticales, 2010, p.102-103.
Extrait du très bon roman de Maylis de Kerangal, naissance d'un pont, verticales, 2010, p.102-103.
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mardi 16 août 2011
Simone's voice
Je m'y suis pris trop tard. Depuis longtemps je songeais à enregistrer ses souvenirs, mais je n'avais pas le matériel pour cela. Et quand je l'ai eu, elle n'avait plus l'énergie, l'envie, la disponibilité d'esprit pour fouiller dans sa vaste mémoire. L'idée de composer quelque chose comme une autobiographie ne l'a sans doute jamais effleurée. Encore qu'il convienne d'être prudent. Connait-on jamais complètement les gens qu'on aime ? Ainsi ai-je été surpris d'apprendre, lors des obsèques, qu'elle récitait son chapelet tous les jours. Nous n'avions jamais abordé la question religieuse. Jamais elle n'avait évoqué devant moi sa croyance en Dieu, et d'ailleurs elle n'allait pas, que je sache, à l'église. Pensait-elle que cela ne m'eut pas intéressé ? Ou, plus probablement, elle devait penser que cela devait rester intime, absolument personnel.
Ces dix minutes, extraites de deux enregistrements réalisés à la Verrerie en 2010, dans la cuisine (d'où certains bruits, parfois), quelques mois avant sa mort, font entendre tout d'abord une vieille dame fatiguée, qui a conscience de s'en aller. Elle évoque à un moment donné cette anecdote entendue moult fois (mais qui la faisait toujours rire) d'Alain en vacances déclarant qu'il se lèverait dès qu'il entendrait se lever la mémé, mais symptomatiquement, dans sa fatigue, elle ne la raconte pas comme d 'habitude. Très exactement, il disait (nous dormions dans la chambre à côté) : "Dès que j'entends des petits bruits de mémé, je me lèverai". C'était cela, cette expression, les "petits bruits de mémé" qui la faisaient encore rire, quarante ans plus tard.
Elle parle aussi de la mort subite du grand-père Lucien, et c'est très émouvant. Mais j'ai voulu finir sur une note moins grave : les quatre dernières minutes tournent autour d'un petit chat que la maison avait recueilli récemment. Simone a toujours adoré les chats. Et le manège de celui-ci lui redonna brièvement cette pétulance, cette allégresse qu'elle avait souvent autrefois.
Les images qui accompagnent les voix ont été prises pour la plupart en 2008 et 2010, à une époque où elle n'habitait plus Les Molles. C'était comme un pèlerinage de retourner là, sur ce carroir. En 2010, je suis entré dans la grange. Il y avait encore la maie, l'arche, qui, toute mon enfance, avait été à gauche de la porte, dans la pièce principale, cette arche qu'elle n'a jamais voulu vendre.
Simone par ppese
Ces dix minutes, extraites de deux enregistrements réalisés à la Verrerie en 2010, dans la cuisine (d'où certains bruits, parfois), quelques mois avant sa mort, font entendre tout d'abord une vieille dame fatiguée, qui a conscience de s'en aller. Elle évoque à un moment donné cette anecdote entendue moult fois (mais qui la faisait toujours rire) d'Alain en vacances déclarant qu'il se lèverait dès qu'il entendrait se lever la mémé, mais symptomatiquement, dans sa fatigue, elle ne la raconte pas comme d 'habitude. Très exactement, il disait (nous dormions dans la chambre à côté) : "Dès que j'entends des petits bruits de mémé, je me lèverai". C'était cela, cette expression, les "petits bruits de mémé" qui la faisaient encore rire, quarante ans plus tard.
Elle parle aussi de la mort subite du grand-père Lucien, et c'est très émouvant. Mais j'ai voulu finir sur une note moins grave : les quatre dernières minutes tournent autour d'un petit chat que la maison avait recueilli récemment. Simone a toujours adoré les chats. Et le manège de celui-ci lui redonna brièvement cette pétulance, cette allégresse qu'elle avait souvent autrefois.
Les images qui accompagnent les voix ont été prises pour la plupart en 2008 et 2010, à une époque où elle n'habitait plus Les Molles. C'était comme un pèlerinage de retourner là, sur ce carroir. En 2010, je suis entré dans la grange. Il y avait encore la maie, l'arche, qui, toute mon enfance, avait été à gauche de la porte, dans la pièce principale, cette arche qu'elle n'a jamais voulu vendre.
Simone par ppese
mardi 9 août 2011
Estuaire invisible
J'ai labouré les flancs creux de la nuit
rincé tout un jour au grand lavoir des rêves
essoré la raison des flux la liqueur des seiches
J'ai ouvert des sillons sur la jachère des nuages
J'ai donné rendez-vous à l'estuaire invisible
à la crique celée par l'essaim de la brume
à la falaise affalée à la faille infime
J'ai crevé des tympans au revers des récifs
J'ai repoussé la nuit dans ses retranchements
lessivé l'ombre et sa ménagerie de songe
détaché l'obscur de la nappe intranquille
me croyant enfin prêt aux recommencements
rincé tout un jour au grand lavoir des rêves
essoré la raison des flux la liqueur des seiches
J'ai ouvert des sillons sur la jachère des nuages
J'ai donné rendez-vous à l'estuaire invisible
à la crique celée par l'essaim de la brume
à la falaise affalée à la faille infime
J'ai crevé des tympans au revers des récifs
J'ai repoussé la nuit dans ses retranchements
lessivé l'ombre et sa ménagerie de songe
détaché l'obscur de la nappe intranquille
me croyant enfin prêt aux recommencements
mardi 2 août 2011
Ossuaire de l'océan
Comme chaque été, ou presque, séjour sur la côte atlantique, au-dessus du Cap Ferret. Mais, à notre arrivée, le temps se dégrade. Ce n'est pas une raison pour bouder la plage, bien au contraire. Presque déserte, surtout en matinée, balayée par le vent aquitain, elle s'offre dans une pureté presque originelle. La dune, les vagues, le ciel chahuté de nuages. Mais ce qui m'intéresse aussi, c'est ce qui vient bousculer cette pureté, s'inscrire sur la toile presque monochrome du sable blond, tout ce qui vient de la marée, et que les services de nettoiement n'ont pas eu encore le temps de faire disparaître.
J'aime ces paquets d'algues jetés sur le rivage, dont l'enchevêtrement filamenteux compose de véritables tableaux abstraits.
Parfois s'y mêlent des cordages, des morceaux de filets dont la couleur vient crever l'ocre naturel.
Je regarde, j'écoute, je photographie, mais il peut m'arriver (rarement) d'intervenir : d'un court bastaing rougeâtre couché sur le sable, troué à une extrémité, je fais un menhir solitaire défiant l'océan.
Même ce que l'on pourrait considérer comme le plus détestable des déchets colportés par la marée, peut donner à rêver, comme ces idéogrammes sur ce bidon bleu qui évoquent tout un lointain, un extrême-orient dont la peinture n'est pas sans rapport avec l'épure du littoral aquitain.
Une palette presque ensevelie, aux lattes graffitées, voisine avec une canette. S'impose l'idée d'une archéologie de l'immédiat.
Et puis il y a ce superbe bidon rouillé, avec sa peinture rouge écarlate répandue comme un voile, comme un signal de détresse.
Et, un peu plus loin, les constructions en bois flotté de promeneurs inconnus. Esquisse de cabane, ébauche d'abri, pin écorcé dressé vers les nuées petits crobards un peu partout croisant les lignes du bois, bout de planchette bleue comme un fragment de ciel.
J'aime ces paquets d'algues jetés sur le rivage, dont l'enchevêtrement filamenteux compose de véritables tableaux abstraits.
Parfois s'y mêlent des cordages, des morceaux de filets dont la couleur vient crever l'ocre naturel.
Je regarde, j'écoute, je photographie, mais il peut m'arriver (rarement) d'intervenir : d'un court bastaing rougeâtre couché sur le sable, troué à une extrémité, je fais un menhir solitaire défiant l'océan.
Même ce que l'on pourrait considérer comme le plus détestable des déchets colportés par la marée, peut donner à rêver, comme ces idéogrammes sur ce bidon bleu qui évoquent tout un lointain, un extrême-orient dont la peinture n'est pas sans rapport avec l'épure du littoral aquitain.
Une palette presque ensevelie, aux lattes graffitées, voisine avec une canette. S'impose l'idée d'une archéologie de l'immédiat.
Et puis il y a ce superbe bidon rouillé, avec sa peinture rouge écarlate répandue comme un voile, comme un signal de détresse.
Et, un peu plus loin, les constructions en bois flotté de promeneurs inconnus. Esquisse de cabane, ébauche d'abri, pin écorcé dressé vers les nuées petits crobards un peu partout croisant les lignes du bois, bout de planchette bleue comme un fragment de ciel.
mercredi 15 juin 2011
Marin
Plaisir d'accueillir ici un poème d'Anne Ansquer.
Marin
Sourire
au coude du comptoir
et le double impossible
du bleu
la table
et l’océan
au temps que viennent mordre
les mots des mains
vous ne finissez pas vos phrases
pourquoi
de mots enfouis
ou de regard
c’est que nos vies
c’est de la peau
vous dites
et vos yeux dorent
le monde
l’alliance , la porte en vous
le risque de terrien
l’ignore
et les femmes aimantées
de votre corps -et -biens
(vous souriez)
au règne entrebrassé de mer
et de copains
vous n’en avez jamais assez
le bateau indécis de votre alcool
à désirer partir
à désirer rester
votre fleur de silence mauve
au coeur
la rose rouge d’une parole.
(Marin,Sens attentionnel, St Guénolé Penmarch'©)juillet 2009.
Anne Ansquer
Marin
Sourire
au coude du comptoir
et le double impossible
du bleu
la table
et l’océan
au temps que viennent mordre
les mots des mains
vous ne finissez pas vos phrases
pourquoi
de mots enfouis
ou de regard
c’est que nos vies
c’est de la peau
vous dites
et vos yeux dorent
le monde
l’alliance , la porte en vous
le risque de terrien
l’ignore
et les femmes aimantées
de votre corps -et -biens
(vous souriez)
au règne entrebrassé de mer
et de copains
vous n’en avez jamais assez
le bateau indécis de votre alcool
à désirer partir
à désirer rester
votre fleur de silence mauve
au coeur
la rose rouge d’une parole.
(Marin,Sens attentionnel, St Guénolé Penmarch'©)juillet 2009.
Anne Ansquer
mercredi 18 mai 2011
Un dimanche de mai
Ils ont proposé d'y aller, et j'ai tout de suite accepté. La Font du Four, je n'y étais pas retourné depuis cet hiver, un jour où j'avais chargé le coffre de quelques bûches pour la cheminée. Le ciel était somptueux, un ciel de bord de mer, avec une lumière très particulière qui faisait se détacher chaque chose avec vigueur. L'air était d'une incroyable douceur. Les enfants sont partis tout de suite jouer autour du bassin avec les petites épuisettes qui patientent toute l'année au fond du coffre du Scénic.
Moi, j'ai suivi les parents dans le pré de la maison, le bout de potager qui le prolonge et le champ fleuri qui dévale vers l'horizon. Marguerites, fléole, fétuque, dactyle, oseille, des dizaines d'herbes différentes dans ce bout de terre oublié des traitements. J'ai photographié et filmé sans me cacher, sans l'avouer non plus expressément La qualité des vidéos n'est pas très bonne évidemment, car mon appareil, bien dépassé aujourd'hui, ne me permet que des enregistrements d'une minute maximum. Mais j'aime cette contrainte finalement.
Cette petite promenade autour de la ferme, qui ne doit pas excéder cinq cents mètres, combien de fois l'ont-ils faite ? Des centaines de fois peut-être. Mais c'est comme si c'était toujours une matière neuve, les arbres qui poussent, le frêne qui envahit et qu'il faudra couper, les châtaignes, ah les châtaignes, les fruits, tardifs ou précoces, prunes Globe d'or et cerises noires...
On retrouve les enfants, et tout s'achève autour d'un orvet occis sans doute par le tracteur-tondeuse de Dédé Aubret. On revient à Aigurande. Mais ce moment de vie, j'avais envie qu'il ne se perde pas dans la seule mémoire d'un ordinateur.
Font_du_Four_15mai2011 par ppese
Moi, j'ai suivi les parents dans le pré de la maison, le bout de potager qui le prolonge et le champ fleuri qui dévale vers l'horizon. Marguerites, fléole, fétuque, dactyle, oseille, des dizaines d'herbes différentes dans ce bout de terre oublié des traitements. J'ai photographié et filmé sans me cacher, sans l'avouer non plus expressément La qualité des vidéos n'est pas très bonne évidemment, car mon appareil, bien dépassé aujourd'hui, ne me permet que des enregistrements d'une minute maximum. Mais j'aime cette contrainte finalement.
Cette petite promenade autour de la ferme, qui ne doit pas excéder cinq cents mètres, combien de fois l'ont-ils faite ? Des centaines de fois peut-être. Mais c'est comme si c'était toujours une matière neuve, les arbres qui poussent, le frêne qui envahit et qu'il faudra couper, les châtaignes, ah les châtaignes, les fruits, tardifs ou précoces, prunes Globe d'or et cerises noires...
On retrouve les enfants, et tout s'achève autour d'un orvet occis sans doute par le tracteur-tondeuse de Dédé Aubret. On revient à Aigurande. Mais ce moment de vie, j'avais envie qu'il ne se perde pas dans la seule mémoire d'un ordinateur.
Font_du_Four_15mai2011 par ppese
dimanche 3 avril 2011
De molles alluvions
Paul Claudel, en 1923 :
"Le Japon est, plus qu’aucune autre partie de la planète, un pays de danger et d’alerte continuelle, toujours exposé à quelque catastrophe : raz de marée, cyclone, éruption, tremblement de terre, incendie, inondation. Son sol n’a aucune solidité. Il est fait de molles alluvions le long d’un empilement précaire de matériaux disjoints, pierres et sable, lave et cendres, que maintiennent les racines tenaces d’une végétation semi-tropicale... L’homme d’ici est comme le fils d’une mère très respectée, mais malheureusement épileptique... C’est une chose d’une horreur sans nom que de voir autour de soi la grande terre bouger comme emplie tout à coup d’une vie monstrueuse et autonome... Un choc, encore un autre choc, terrible, puis l’immobilité revient peu à peu, mais la terre ne cesse de frémir sourdement, avec de nouvelles crises qui reviennent toutes les heures."
Cité par Philippe Sollers.
"Le Japon est, plus qu’aucune autre partie de la planète, un pays de danger et d’alerte continuelle, toujours exposé à quelque catastrophe : raz de marée, cyclone, éruption, tremblement de terre, incendie, inondation. Son sol n’a aucune solidité. Il est fait de molles alluvions le long d’un empilement précaire de matériaux disjoints, pierres et sable, lave et cendres, que maintiennent les racines tenaces d’une végétation semi-tropicale... L’homme d’ici est comme le fils d’une mère très respectée, mais malheureusement épileptique... C’est une chose d’une horreur sans nom que de voir autour de soi la grande terre bouger comme emplie tout à coup d’une vie monstrueuse et autonome... Un choc, encore un autre choc, terrible, puis l’immobilité revient peu à peu, mais la terre ne cesse de frémir sourdement, avec de nouvelles crises qui reviennent toutes les heures."
Cité par Philippe Sollers.
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mercredi 23 mars 2011
On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux
C'est un vers magnifique de Pierre Reverdy, dans Plupart du temps (1915). 1915, une date qui m'est chère, car c'est l'année de naissance de Simone. J'ai lu ce recueil de bout en bout l'année dernière (alors que le possédais depuis très longtemps, mais je n'avais guère fait que picorer quelques poèmes), et j'en avais extrait ce vers dans la petite anthologie que je bâtis petit à petit dans le carnet acheté dans l'une des synagogues de Prague.
Ce fut donc une belle surprise que de le retrouver à la médiathèque comme titre d'un roman de Robert Bober. Je n'avais jamais lu Robert Bober, mais son nom m'était pourtant comme familier. Et puis, en quatrième de couverture, je lus ceci : "C'est le mercredi 24 janvier 1962 que Jules et Jim, dans lequel Bernard Appelbaum avait fait de la figuration, sortit sur les écrans, et c'est le vendredi soir qu'avec sa mère, il est allé le voir au cinéma Vendôme, avenue de l'Opéra." 1962 : c'est l'année qui m'occupe dans le nouveau projet théâtral auquel je songe pour Cluis en 2012. Année où fut joué Les Misérables, dont il ne reste rien qu'une mention sur les programmes d'aujourd'hui. Toute la mémoire de ce spectacle a disparu, et je me suis en tête de la faire revivre, en recherchant dans les journaux de l'époque, en retrouvant les acteurs, le texte de l'adaptation, des photos peut-être. Travail encore à effectuer, en cette année de transition. Donc 1962, pour moi, c'était aussi important et symbolique que le vers de Reverdy. J'ai logiquement emporté le livre.
Que j'ai rapidement dévoré. Livre d'une belle et délicate sensibilité, brûlant d'une nostalgie et d'une tendresse inextinguibles pour un temps, un lieu et des êtres disparus. Le lieu, c'est Paris, où tout se noue et se dénoue, où viennent se réfugier les éclopés de l'Histoire, au nombre desquels les parents du narrateur, fuyant la Pologne ; Paris des bistrots, des chansons ; Paris d'Henri Calet (que m'a si bien fait connaître Fred Deux en me prêtant la quasi intégrale de ses livres), de Robert Giraud, de Jean-Paul Clébert (dont j'ai lu aussi l'an dernier le magnifique Paris insolite, que l'on a réédité voici peu).
Et dimanche soir, en même temps que je le lisais, je regardais Paris, le film de Cédric Klapisch.
Bande annonce de Paris Klapisch par Suchablog
Cette coïncidence ne me surprenait pas. Le livre de Bober lui-même est riche de coïncidences, comme en témoigne cette critique de Jean-Luc Douin dans Le Monde des Livres :
"C’est d’une écriture toute simple, sans la moindre afféterie stylistique, qu’il nous invite à naviguer dans un passé où, sans cesse, comme dans une symphonie d’échos et de coïncidences, Bernard Appelbaum (son double ?) découvre que se superposent des événements familiaux, des mythes historiques, des faits littéraires ou cinématographiques, et la coïncidence des destins d’hommes et de femmes qui ne se connaissaient pas… Tout le roman en flash-back de Robert Bober est découverte épicurienne, exhortation à savourer les petits bonheurs instantanés, à rendre grâce aux éblouissements évanouis, à « capter cette occasion qui passe », comme l’enseigna Jankélévitch."Robert Bober a agencé son livre comme un puzzle. Comme le cinéaste qu'il est par ailleurs, il a pratiqué un savant montage d'instants et de rencontres. Sabine Audrerie, dans La Croix, en septembre 2010, écrit qu'on "peut établir un parallèle entre son premier métier de couturier-tailleur dans les ateliers de confection après-guerre, où se sont retrouvé de nombreux juifs d'origine polonaise, et celui, actuel, d'écrivain. Sélectionner, découper, agencer, coudre, parfaire... l'approche est restée semblable pour le réalisateur, mû par le goût de montrer « les choses en train de se faire ». Ainsi le voyait-on, dans un film de 1999 consacré à l'affaire Dreyfus, agencer les pièces d'un puzzle dans lequel étaient représentés les protagonistes du procès ; ou dans un générique de Lire et relire, où il collait une à une les séquences filmées d'une vie en compagnie des livres.
Olivier Bailly, dans un bel article consacré à Bober (voir en particulier les vidéos d'entretien), ne dit pas autre chose : "Robert Bober est un architecte. Son art est celui de l'agencement, de l'assemblage, du collage. Les souvenirs nous reviennent par bribe et c'est par bribe que l'auteur se souvient. Des souvenirs où sont cousus finement le presque rien et le je ne sais quoi, le bon mot qui faisait jadis la réputation du petit peuple parisien - «un vieux qu'a les cheveux qui vont aux sports d'hiver» - se mêle à la grande Histoire (les manifestations de Charonne, notamment)."
Ceci résonne fortement avec le propos de l'autre livre que je lis en ce moment, L’œil de l'histoire 1, quand les images prennent position, de Georges Didi-Huberman. L'auteur y analyse la pratique du montage chez Brecht, allant jusqu'à la considérer comme un élément fondamental de sa poétique. Allons encore une fois jeter un oeil sur la quatrième de couverture, elle dit l'essentiel :
"Dans son Journal de travail comme dans son étrange atlas d'images intitulé ABC de la guerre, Brecht a découpé, collé, remonté et commenté un grand nombre de documents visuels ou de reportages photographiques ayant trait à la Seconde Guerre mondiale. On découvrira comment cette connaissance par les montages fait office d'alternative au savoir historique standard, révélant dans sa composition poétique - qui est aussi décomposition, tout montage étant d'abord le démontage d'une forme antérieure - un grand nombre de motifs inaperçus, de symptômes, de relations transversales aux événements. On découvrira ainsi, dans ces montages brechtiens, un lieu de croisement exemplaire de l'exigence historique, de l'engagement politique et de la dimension esthétique.
On verra enfin comment Walter Benjamin - qui a été, en son temps, le meilleur commentateur de Brecht - déplace subtilement les prises de parti de son ami dramaturge pour nous enseigner comment les images peuvent se construire en prises de position."
Je songe maintenant à un autre Paris, celui de Hugo, un court volume que j'avais dû trouver dans un lot de brocante, un volume en mauvais papier, sans valeur, dépourvu d'ailleurs de couverture (on n'ira pas, là, chercher la quatrième). Il végéta longtemps dans quelque caisse, et Hugo, je dois l'avouer, je l'ai boudé longtemps, trop célèbre, trop officiel, trop prolifique, trop quoi... Et puis, venant à Paris en février avec la petite famille, j'avais choisi d'en faire mon viatique, et de fait, je le lus en deux parcours de Téoz, un bout de RER, et dans la file d'attente pour les attractions de Disneyland, pour finalement l'abandonner sur le fauteuil du wagon à l'arrivée à Châteauroux. Book-crossing inédit pour moi : quelqu'un en ferait peut-être son miel après moi.
Ce livre - qu'on peut retrouver sur Gallica - méritait bien sa lecture : il charrie autant de puissance visionnaire que d'aveuglement. Hugo évoque magnifiquement Paris, et il n'est jamais aussi bon que lorsqu'il en décrit dans le détail les horreurs de son histoire. Il est visionnaire quand il annonce l'Europe mais incroyablement naïf quand il croit démontrer que le progrès technologique amènera nécessairement la paix entre les hommes.
Il est tard. Je boucle ici sans conclure. Sur un autre poème de Reverdy trouvé sur une page Facebook à lui consacrée.
Ce fut donc une belle surprise que de le retrouver à la médiathèque comme titre d'un roman de Robert Bober. Je n'avais jamais lu Robert Bober, mais son nom m'était pourtant comme familier. Et puis, en quatrième de couverture, je lus ceci : "C'est le mercredi 24 janvier 1962 que Jules et Jim, dans lequel Bernard Appelbaum avait fait de la figuration, sortit sur les écrans, et c'est le vendredi soir qu'avec sa mère, il est allé le voir au cinéma Vendôme, avenue de l'Opéra." 1962 : c'est l'année qui m'occupe dans le nouveau projet théâtral auquel je songe pour Cluis en 2012. Année où fut joué Les Misérables, dont il ne reste rien qu'une mention sur les programmes d'aujourd'hui. Toute la mémoire de ce spectacle a disparu, et je me suis en tête de la faire revivre, en recherchant dans les journaux de l'époque, en retrouvant les acteurs, le texte de l'adaptation, des photos peut-être. Travail encore à effectuer, en cette année de transition. Donc 1962, pour moi, c'était aussi important et symbolique que le vers de Reverdy. J'ai logiquement emporté le livre.
Que j'ai rapidement dévoré. Livre d'une belle et délicate sensibilité, brûlant d'une nostalgie et d'une tendresse inextinguibles pour un temps, un lieu et des êtres disparus. Le lieu, c'est Paris, où tout se noue et se dénoue, où viennent se réfugier les éclopés de l'Histoire, au nombre desquels les parents du narrateur, fuyant la Pologne ; Paris des bistrots, des chansons ; Paris d'Henri Calet (que m'a si bien fait connaître Fred Deux en me prêtant la quasi intégrale de ses livres), de Robert Giraud, de Jean-Paul Clébert (dont j'ai lu aussi l'an dernier le magnifique Paris insolite, que l'on a réédité voici peu).
Et dimanche soir, en même temps que je le lisais, je regardais Paris, le film de Cédric Klapisch.
Bande annonce de Paris Klapisch par Suchablog
Cette coïncidence ne me surprenait pas. Le livre de Bober lui-même est riche de coïncidences, comme en témoigne cette critique de Jean-Luc Douin dans Le Monde des Livres :
"C’est d’une écriture toute simple, sans la moindre afféterie stylistique, qu’il nous invite à naviguer dans un passé où, sans cesse, comme dans une symphonie d’échos et de coïncidences, Bernard Appelbaum (son double ?) découvre que se superposent des événements familiaux, des mythes historiques, des faits littéraires ou cinématographiques, et la coïncidence des destins d’hommes et de femmes qui ne se connaissaient pas… Tout le roman en flash-back de Robert Bober est découverte épicurienne, exhortation à savourer les petits bonheurs instantanés, à rendre grâce aux éblouissements évanouis, à « capter cette occasion qui passe », comme l’enseigna Jankélévitch."Robert Bober a agencé son livre comme un puzzle. Comme le cinéaste qu'il est par ailleurs, il a pratiqué un savant montage d'instants et de rencontres. Sabine Audrerie, dans La Croix, en septembre 2010, écrit qu'on "peut établir un parallèle entre son premier métier de couturier-tailleur dans les ateliers de confection après-guerre, où se sont retrouvé de nombreux juifs d'origine polonaise, et celui, actuel, d'écrivain. Sélectionner, découper, agencer, coudre, parfaire... l'approche est restée semblable pour le réalisateur, mû par le goût de montrer « les choses en train de se faire ». Ainsi le voyait-on, dans un film de 1999 consacré à l'affaire Dreyfus, agencer les pièces d'un puzzle dans lequel étaient représentés les protagonistes du procès ; ou dans un générique de Lire et relire, où il collait une à une les séquences filmées d'une vie en compagnie des livres.
Olivier Bailly, dans un bel article consacré à Bober (voir en particulier les vidéos d'entretien), ne dit pas autre chose : "Robert Bober est un architecte. Son art est celui de l'agencement, de l'assemblage, du collage. Les souvenirs nous reviennent par bribe et c'est par bribe que l'auteur se souvient. Des souvenirs où sont cousus finement le presque rien et le je ne sais quoi, le bon mot qui faisait jadis la réputation du petit peuple parisien - «un vieux qu'a les cheveux qui vont aux sports d'hiver» - se mêle à la grande Histoire (les manifestations de Charonne, notamment)."
Ceci résonne fortement avec le propos de l'autre livre que je lis en ce moment, L’œil de l'histoire 1, quand les images prennent position, de Georges Didi-Huberman. L'auteur y analyse la pratique du montage chez Brecht, allant jusqu'à la considérer comme un élément fondamental de sa poétique. Allons encore une fois jeter un oeil sur la quatrième de couverture, elle dit l'essentiel :
"Dans son Journal de travail comme dans son étrange atlas d'images intitulé ABC de la guerre, Brecht a découpé, collé, remonté et commenté un grand nombre de documents visuels ou de reportages photographiques ayant trait à la Seconde Guerre mondiale. On découvrira comment cette connaissance par les montages fait office d'alternative au savoir historique standard, révélant dans sa composition poétique - qui est aussi décomposition, tout montage étant d'abord le démontage d'une forme antérieure - un grand nombre de motifs inaperçus, de symptômes, de relations transversales aux événements. On découvrira ainsi, dans ces montages brechtiens, un lieu de croisement exemplaire de l'exigence historique, de l'engagement politique et de la dimension esthétique.
On verra enfin comment Walter Benjamin - qui a été, en son temps, le meilleur commentateur de Brecht - déplace subtilement les prises de parti de son ami dramaturge pour nous enseigner comment les images peuvent se construire en prises de position."
Je songe maintenant à un autre Paris, celui de Hugo, un court volume que j'avais dû trouver dans un lot de brocante, un volume en mauvais papier, sans valeur, dépourvu d'ailleurs de couverture (on n'ira pas, là, chercher la quatrième). Il végéta longtemps dans quelque caisse, et Hugo, je dois l'avouer, je l'ai boudé longtemps, trop célèbre, trop officiel, trop prolifique, trop quoi... Et puis, venant à Paris en février avec la petite famille, j'avais choisi d'en faire mon viatique, et de fait, je le lus en deux parcours de Téoz, un bout de RER, et dans la file d'attente pour les attractions de Disneyland, pour finalement l'abandonner sur le fauteuil du wagon à l'arrivée à Châteauroux. Book-crossing inédit pour moi : quelqu'un en ferait peut-être son miel après moi.
Ce livre - qu'on peut retrouver sur Gallica - méritait bien sa lecture : il charrie autant de puissance visionnaire que d'aveuglement. Hugo évoque magnifiquement Paris, et il n'est jamais aussi bon que lorsqu'il en décrit dans le détail les horreurs de son histoire. Il est visionnaire quand il annonce l'Europe mais incroyablement naïf quand il croit démontrer que le progrès technologique amènera nécessairement la paix entre les hommes.
Il est tard. Je boucle ici sans conclure. Sur un autre poème de Reverdy trouvé sur une page Facebook à lui consacrée.
"Si la lumière s'éteint, tu restes seul devant la nuit. Et ce sont tes yeux ouverts qui t'éclairent." (Pierre Reverdy, La balle au bond, 1928)
Modigliani, Pierre Reverdy (1915)
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lundi 31 janvier 2011
Simone #3
Troisième et dernière partie de mes notes de journal sur Simone, ma grand-mère. Depuis la dernière fois, j'ai eu le plaisir de recevoir quelques visites, dont celles de membres de ma famille que j'ai si peu vus ces dernières années. Merci donc à Liline, Claudine, Max et Valérie qui ont laissé ici témoignage de leur passage.
Cahier Miro
Passé voir la grand-mère, à laquelle je n'avais pas rendu visite depuis septembre. Toujours chez Jean (il y a à peu près un an qu'elle n'habite plus les Molles, elle dit qu'elle ne pourrait plus, elle marche avec difficulté à cause ds rhumatismes, elle ne lit plus à cause de ses yeux, la rétine étant irrémédiablement atteinte, elle entend très mal, aussi me dit-elle qu'elle n'a plus de goût à la vie). Il ne veut pas qu'elle aille en maison de retraite (homme à tout faire à celle d'Argenton, il sait bien ce qu'il en retourne). Elle est contente de sa journée : la visite de Dédé le matin, la mienne en fin d'après-midi : sa solitude habituelle en est rompue agréablement. Elle n'a plus guère sinon que la radio pour la distraire un peu, car la petite télé de la cuisine est placée trop en hauteur et celle du salon, gâtée par les ans elle aussi, n'offre plus qu'une image dégradée. (15 janvier 2004)
Mardi dernier, passé à La Verrerie rendre une petite visite à la grand-mère, que je n'ai pas vue depuis juin. Elle me paraît en meilleure forme. Comme nous évoquons le spectacle de Cluis* et que je lui parle des deux boeufs de Livernette, elle me confie que c'est en conduisant les boeufs de son grand-père qu'elle rencontra pour la première Lucien Bléron qui, lui, menait une paire de vaches. Il travaillait alors comme domestique chez une veuve. Cette rencontre me fait rêver. " Mais si je commence à raconter ma vie, on n'a pas fini," dit-elle. Alors que moi je ne désire que cela, qu'elle raconte sa vie.
Comme je relate cette visite ce soir à Aigurande, Papa me dit que si elle parle de son grand-père, elle ne parle jamais en revanche de sa grand-mère. "Elle n'était pas bonne pour elle", dit-il. (3 octobre 2004)
Cahier de Lisbonne
L'arrière-grand-mère et la petite fille.
Deux caractères bien trempés, à près de 90 ans d'écart.
Ce matin, à Bouesse, pour le rallye Escapages + de 3 ans. Thérèse à la cantine me donne des nouvelles de la grand-mère. Ça ne va pas fort, sa tension est très élevée et le médecin ne parvient pas pour l'instant à la faire baisser significativement (elle prend déjà trois médocs pour ça). Cet état de fait fatigue son coeur et la rend nerveuse, ce qui renforce d'autant sa tension. Cercle vicieux. Elle voit mal, ne peut plus lire. Elle pleure et perd goût à la vie. Refuse pourtant certaines aides. Le déambulateur ? Un truc de vieux...J'irai la voir mardi prochain, après le rallye prévu à Mosnay. Me sent vaguement coupable de ne plus la visiter comme avant, même si, chez Jean et Thérèse, c'est moins facile, moins direct.
Violette, ce matin pour la première fois à Brassioux. A refusé le biberon obstinément. N'a rien mangé de 9 h à 17 h. Attendu sa maman. A pourtant été sympa, une seule grosse colère de midi à midi trente. A beaucoup dormi. Se réveillera sûrement dans la nuit pour une autre tétée. S'est défoulé dans le bain du soir, s'agitant joyeusement, éclaboussant l'entourage, tapotant tant qu'elle pouvait. (25 avril 2005)
Note finale
Voilà, je ne retrouve plus rien dans mes journaux après cette date. L'écriture sur le web a parfois pris le relais. Aussi je me permets simplement de redonner ici la dernière note que j'ai écrite concernant Simone, et qui se trouve sur un autre blog :
"Tu as sonné alors qu'elle était seule. Quand l'oncle ou la tante qui la gardent se sont absentés, elle n'est là pour personne. Aller ouvrir, de toute façon elle n'en a plus la force, vissée qu'elle est à son vieux fauteuil. Tu sonnes une seconde fois. Tu entends sa voix depuis la cuisine, tu entres car la porte n'est pas fermée à clé. Elle dira qu'elle n'en revient pas de t'avoir dit d'entrer : "c'est comme si le Bon Dieu m'avait soufflé que c'était toi."
95 ans depuis le 10 octobre. Doyenne de la commune. Le temps est bien passé où tu lui ramenais de La Châtre des livres en gros caractères. Elle en dévorait plusieurs par quinzaine. Sa vue est devenue trop faible. Tu lui as bien suggéré les livres audio, mais ça ne l'a jamais intéressée.
Son unique spectacle c'est un simple réveil posé sur la table. Elle regarde ce temps qui n'en finit pas de passer, si lentement pour elle qui souffre tellement d'être impotente.
Parfois le chat à l'œil crevé monte sur la table et vient mendier une caresse. Elle sourit, elle a toujours aimé les chats."
C'était le 15 octobre 2010.
_____________________
*Ce spectacle était Martin Guerre, joué en juillet-août 2004. L'anecdote de la rencontre avec les bœufs, je l'ai utilisée dans le spectacle suivant, en 2006, Eté 1915. Qui n'est pas placé par hasard cette année-là de la Grande Guerre. Elle ne l'a pas vu, mais il lui fut dédié, sur le programme et de vive voix à la dernière séance.
Les Molles - décembre 2002 |
Cahier Miro
Passé voir la grand-mère, à laquelle je n'avais pas rendu visite depuis septembre. Toujours chez Jean (il y a à peu près un an qu'elle n'habite plus les Molles, elle dit qu'elle ne pourrait plus, elle marche avec difficulté à cause ds rhumatismes, elle ne lit plus à cause de ses yeux, la rétine étant irrémédiablement atteinte, elle entend très mal, aussi me dit-elle qu'elle n'a plus de goût à la vie). Il ne veut pas qu'elle aille en maison de retraite (homme à tout faire à celle d'Argenton, il sait bien ce qu'il en retourne). Elle est contente de sa journée : la visite de Dédé le matin, la mienne en fin d'après-midi : sa solitude habituelle en est rompue agréablement. Elle n'a plus guère sinon que la radio pour la distraire un peu, car la petite télé de la cuisine est placée trop en hauteur et celle du salon, gâtée par les ans elle aussi, n'offre plus qu'une image dégradée. (15 janvier 2004)
Mardi dernier, passé à La Verrerie rendre une petite visite à la grand-mère, que je n'ai pas vue depuis juin. Elle me paraît en meilleure forme. Comme nous évoquons le spectacle de Cluis* et que je lui parle des deux boeufs de Livernette, elle me confie que c'est en conduisant les boeufs de son grand-père qu'elle rencontra pour la première Lucien Bléron qui, lui, menait une paire de vaches. Il travaillait alors comme domestique chez une veuve. Cette rencontre me fait rêver. " Mais si je commence à raconter ma vie, on n'a pas fini," dit-elle. Alors que moi je ne désire que cela, qu'elle raconte sa vie.
Comme je relate cette visite ce soir à Aigurande, Papa me dit que si elle parle de son grand-père, elle ne parle jamais en revanche de sa grand-mère. "Elle n'était pas bonne pour elle", dit-il. (3 octobre 2004)
Cahier de Lisbonne
L'arrière-grand-mère et la petite fille.
Deux caractères bien trempés, à près de 90 ans d'écart.
Ce matin, à Bouesse, pour le rallye Escapages + de 3 ans. Thérèse à la cantine me donne des nouvelles de la grand-mère. Ça ne va pas fort, sa tension est très élevée et le médecin ne parvient pas pour l'instant à la faire baisser significativement (elle prend déjà trois médocs pour ça). Cet état de fait fatigue son coeur et la rend nerveuse, ce qui renforce d'autant sa tension. Cercle vicieux. Elle voit mal, ne peut plus lire. Elle pleure et perd goût à la vie. Refuse pourtant certaines aides. Le déambulateur ? Un truc de vieux...J'irai la voir mardi prochain, après le rallye prévu à Mosnay. Me sent vaguement coupable de ne plus la visiter comme avant, même si, chez Jean et Thérèse, c'est moins facile, moins direct.
Violette, ce matin pour la première fois à Brassioux. A refusé le biberon obstinément. N'a rien mangé de 9 h à 17 h. Attendu sa maman. A pourtant été sympa, une seule grosse colère de midi à midi trente. A beaucoup dormi. Se réveillera sûrement dans la nuit pour une autre tétée. S'est défoulé dans le bain du soir, s'agitant joyeusement, éclaboussant l'entourage, tapotant tant qu'elle pouvait. (25 avril 2005)
Note finale
Voilà, je ne retrouve plus rien dans mes journaux après cette date. L'écriture sur le web a parfois pris le relais. Aussi je me permets simplement de redonner ici la dernière note que j'ai écrite concernant Simone, et qui se trouve sur un autre blog :
"Tu as sonné alors qu'elle était seule. Quand l'oncle ou la tante qui la gardent se sont absentés, elle n'est là pour personne. Aller ouvrir, de toute façon elle n'en a plus la force, vissée qu'elle est à son vieux fauteuil. Tu sonnes une seconde fois. Tu entends sa voix depuis la cuisine, tu entres car la porte n'est pas fermée à clé. Elle dira qu'elle n'en revient pas de t'avoir dit d'entrer : "c'est comme si le Bon Dieu m'avait soufflé que c'était toi."
95 ans depuis le 10 octobre. Doyenne de la commune. Le temps est bien passé où tu lui ramenais de La Châtre des livres en gros caractères. Elle en dévorait plusieurs par quinzaine. Sa vue est devenue trop faible. Tu lui as bien suggéré les livres audio, mais ça ne l'a jamais intéressée.
Son unique spectacle c'est un simple réveil posé sur la table. Elle regarde ce temps qui n'en finit pas de passer, si lentement pour elle qui souffre tellement d'être impotente.
Parfois le chat à l'œil crevé monte sur la table et vient mendier une caresse. Elle sourit, elle a toujours aimé les chats."
C'était le 15 octobre 2010.
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*Ce spectacle était Martin Guerre, joué en juillet-août 2004. L'anecdote de la rencontre avec les bœufs, je l'ai utilisée dans le spectacle suivant, en 2006, Eté 1915. Qui n'est pas placé par hasard cette année-là de la Grande Guerre. Elle ne l'a pas vu, mais il lui fut dédié, sur le programme et de vive voix à la dernière séance.
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