mardi 27 novembre 2012

Dora Bruder et la traversée du Louvre

Depuis que Modiano a surgi dans mon paysage mental, avec le vide, avec Norwich, avec Sebald, j'éprouve pour lui quelque chose comme une grande tendresse, alors j'achète régulièrement un de ces courts volumes qui me donnent l'impression de reprendre une promenade habituelle avec un ami, d'arpenter ensemble une nouvelle fois des rues, des quartiers, des hôtels, des gares, en évoquant des anecdotes, des énigmes, en soulevant des questions qui restent souvent sans réponse. C'est ainsi que j'ai lu Pedigree, formidable et douloureuse chronique du désamour paternel, et, la semaine dernière, Dora Bruder. C'est Jean-Claude, l'enquêteur michonien, qui m'avait aiguillé sur le livre, en me citant le passage où Modiano est troublé par un épisode des Misérables : Jean Valjean et Cosette, fuyant Javert, se réfugient dans un couvent au 62 de la rue du Petit Picpus, la même adresse que le pensionnat du Saint-Coeur-de-Marie où était Dora Bruder, une jeune fille juive qui disparut comme tant d'autres à Auschwitz.

Jean-Claude arrêtait sa citation sur la citation même de Hugo par Modiano (Moro citant Modiano citant Hugo, il y a quelque chose de vertigineux dans cette cascade) :

Nous n'avons pu passer devant cette maison extraordinaire, inconnue, obscure, sans y entrer et sans y faire entrer les esprits qui nous accompagnent et qui nous écoutent raconter, pour l'utilité de quelques-uns peut-être, l'histoire mélancolique de Jean Valjean.

Ayant maintenant le livre en main, c'est le paragraphe qui suit immédiatement qui m'a interpellé :

Comme beaucoup d'autres avant moi, je crois aux coïncidences et quelquefois à un don de voyance chez les romanciers - le mot "don" n'étant pas le terme exact, parce qu'il suggère une sorte de supériorité. Non, cela fait simplement partie du métier : les efforts d'imagination nécessaires à ce métier, le besoin de fixer son esprit sur des points de détail - et cela de manière obsessionnelle - pour ne pas perdre le fil et se laisser à aller à la paresse -, toute cette tension, cette gymnastique cérébrale peut sans doute provoquer à la longue de brèves intuitions "concernant des événements passés ou futurs", comme l'écrit le dictionnaire Larousse à la rubrique "voyance".
Ce n'est pas très sérieux, pensera-t-on. Mais si l'on avait tort ? Si effectivement l'écrivain, de par cette tension qui l'anime, avait accès, parfois, à de l'invisible ? En tout cas, les coïncidences je continuerai de les épingler ici sans relâche, et voici, pour illustration, les dernières en date : une bande dessinée de David Prudhomme, La traversée du Louvre, empruntée à la médiathèque la semaine dernière, a fait écho au récent billet sur Les trois arbres, où je signalais une résonance entre Hugo dessinateur et Rembrandt (et il me reste encore à traiter une semblable résonance entre Soutine et Rembrandt). Dès la première planche, apparaît en effet le peintre hollandais.


Cet album est le septième d'une série co-éditée par Futuropolis et le Louvre. Contrairement à d'autres opus, le Louvre n'est pas ici prétexte à des délires fantastiques et des équipées étranges. Non, on reste dans le quotidien, l'auteur s'amuse à regarder les visiteurs du musée, il les regarde regarder, ou plutôt il les regarde photographier, car bien souvent, sur de nombreuses cases, ce que l'on surprend c'est le ballet des appareils photo. Les œuvres ne sont souvent vus qu'à travers les écrans ( et je me souviens de cette visite à Versailles avec une touriste japonaise qui brandissait sans arrêt son Ipad au-dessus de la foule, ne voyant littéralement que ce qui s'inscrivait sur son "fabuleux écran Retina").


Bref, j'en reviens à mes coïncidences. Je me suis avisé ensuite que le dessin de couverture n'était pas lui-même sans lien avec Rembrandt et plus précisément avec la gravure des Trois arbres.


Le tableau dont le narrateur à la chapka lit le cartel présente en effet un bouquet d'arbres sur le coté droit, trois ou quatre, disposition proche de celle des Trois arbres. Il ne s'agit pourtant pas de la gravure, qui est bien loin de toute façon d'avoir cette ampleur ; le volume sombre de gauche qui semble une maison ou une meule de paille ne figure pas sur le paysage de 1643. J'ai vainement cherché à quelle œuvre faisait référence cette toile, et le lecteur sagace qui saurait me le dire serait béni des dieux. S'agit-il d'une peinture de Rembrandt ? On la retrouve aussi page 16, où un autre visiteur observe aussi le cartel. La toile de gauche y apparaît immense, et je ne sais pas non plus de quoi il s'agit.

Une dernière pour la route : dans le numéro du Tigre de novembre, dégotté à la gare ce dimanche, la chronique Topographies d'Hélène Briscoe, place en exergue un extrait de Hugo :

"Où il n'y pas d'églises,
je regarde les enseignes."
Le Rhin, 1838.

L'article parle des enseignes sur le Magenta. Boulevard que j'ai arpenté à la Toussaint, en revenant de Montmartre vers la Gare du Nord, où le train pour Amsterdam nous attendait.


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