jeudi 22 novembre 2012

Rêverie-fleuve

"Tous les penseurs sont rêveurs ; la rêverie est la pensée à l'état fluide et flottant."
Victor Hugo, Voyage de 1843, Pyrénées.

Pour Annie Le Brun, dessins et lavis vont venir, non pas illustrer, mais matérialiser cette pensée. "A cet égard, écrit-elle, Le Rhin fait office de grand révélateur, dans la mesure où, comme le souligne la préface, "cet ouvrage, qui a un fleuve pour sujet, s'est, par une coïncidence bizarre, produit lui-même tout spontanément et tout naturellement à l'image d'un fleuve."[...] Ce qui commence là avec Le Rhin ne va plus s'arrêter, suivant le cours de cette rêverie-fleuve."

Voyage de 1843, Pyrénées, encore : "Pour les esprits pensifs, toutes les parties de la nature, même les plus disparates au premier coup d’œil, se rattachent entre elles par toute une foule d'harmonies secrètes, fils invisibles de la création que le contemplateur aperçoit, qui font du grand tout un inextricable réseau vivant d'une seule vie, nourri d'une seule sève, un dans la variété, et qui sont, pour ainsi parler, les racines mêmes de l'être."

N'est-ce pas cette même "foule d'harmonies secrètes" que je ne cesse d'explorer et de transcrire ici ? Cet inextricable réseau ne rejoint-il pas ce que j'ai parfois nommé l'Archéo-réseau, archéo- voulant signifier un soubassement immémorial, un socle géosymbolique,  mais non figé, toujours mouvant, actif, tectonique ? Réseau qui emprunte les figures de l'arbre ou du fleuve, indifféremment, et Annie Le Brun montre bien comment Hugo les fait communiquer, écrivant dans Le Rhin : "Examinez, l'hiver, un arbre dépouillé de ses feuilles, et couchez-le en esprit à plat sur le sol, vous aurez l'aspect d'un fleuve vu par un géant à vol d'oiseau." Mais aussi, renversant la perspective, "si l'on redresse par la pensée debout sur le sol l'immense silhouette géométrale du fleuve, le Rhin apparaît portant toutes ses rivières à bras tendu et prend la figure d'un chêne."

Tout étant interdépendant, les livres eux-mêmes qui témoignent des affleurements de l'infini, ne naissent pas par hasard, ou plutôt si, dès lors que l'on envisage le hasard comme le mode de survenue de l'archéo-réseau. Décisives sont alors les rencontres qu'il suscite et cristallise. Et je ne suis pas étonné, mais encore émerveillé, de lire sous la plume d'Annie Le Brun, dès la page de remerciements des Arcs-en-ciel du noir, que "cette invitation à aller puiser dans le fonds de ce qui fut un temps la demeure de celui-ci [Hugo] s'est inscrite dans une suite impressionnante de hasards, dont l'effet premier aura été de révéler un étoilement de coïncidences qui toutes ramenaient à ce "don de mettre feu à l'inconnu" qui importait tant à Victor Hugo."






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