Jean-Claude, dont j'ignorais qu'il était un admirateur de
Soutine, me donne par mails quelques détails supplémentaires sur la biographie du peintre, puisés dans le catalogue de l'exposition qui lui fut consacrée à la
Pinacothèque de Paris en 2007-2008.
"Marc Restellini écrit : «Au
début de 1916 /…./ Ce dernier (Modigliani) éprouve le plus grand respect
pour le talent de son ami, ce qui semble effacer, à ses yeux, le caractère
très difficile du peintre lituanien. Le jeune peintre italien, sûr du génie de
Soutine, le présente à Zborowski qui lui propose un salaire de cinq francs par
jour en échange de l’exclusivité de sa production. Mais les rapports entre
Zborowski et Soutine sont difficiles. /…/ » En 1923, bien après Nettler, c’est le
collectionneur Barnes qui rend Soutine célèbre. « Ses manières changent. /…/Très vite son
succès se confirme, on se dispute ses toiles. Zborowski lui verse désormais un
salaire de vingt cinq francs par jour et met à sa disposition voiture et
chauffeur. Paradoxalement, Soutine est saisi d’une fièvre autodestructrice,
déchire un grand nombre de ses toiles, comme s’il s’acharnait à détruire les
traces de ses premières œuvres, celles-là qui avaient suscité tant de sarcasmes
et de dégoût.. » Instabilité de nouveau.
« /…/ Durant l’été 1925 et les années suivantes, Zborowski loue une ferme
près Le Blanc, dans l’Indre, afin d’y passer ses vacances. Il invite ses
artistes. Soutine s’y rend souvent avec Paulette jusqu’en 1927. Il installe son
chevalet au rez-de-chaussée, ancienne étable avec un sol en terre battue. Un
poulet est souvent accroché dans l’embrasure en brique de la porte. Paulette
fait le tour des fermes pour choisir la volaille… » Paulette Jourdain, ex-modèle de Modigliani travaillait pour
Zborowski. Elle était modèle et confidente de Soutine. Marc Restellini se
réfère ici à des souvenirs de Paulette
Jourdain , aux ouvrages « Soutine »
chez Flammarion (R. Coignat), « Les peintres de Zborowski » « Soutine »
, Creative Art, vol II n°4 p 274 par M Sachs « Mes années avec Soutine »
par Garde, Creative Art …"
Il me suggère aussi de passer par Google Maps pour visionner le 17 boulevard Chanzy où Soutine a séjourné au Blanc. Ce que je me suis empressé de faire. Avec Google Street View, on obtient donc ceci :
Cette "belle demeure bourgeoise", comme dit Jean-Claude, ne ressemble vraiment pas à une ferme. Sans doute l'étable dont parle Restellini est-elle une dépendance de cette vaste maison, et certainement pas le rez-de-chaussée...
Je me plonge maintenant dans l'essai de Xavier Girard. Dès la page 26, apparaissent
Courbet et Greco, les deux peintres invoqués par Pierre Michon pour son enterrement creusois :
"La qualité temporelle des œuvres de Rembrandt, Le Nain, Fouquet, Greco ou Chardin qu'il observe de près au Louvre, si près que les gardiens s'en inquiètent, dès son arrivée à Paris et par la suite, jusqu'à la fin, autant que nécessaire, n'est pas le premier de ses soucis. Que lui importent, au musée du Luxembourg, devant l'Enterrement à Ornans, les circonstances historiques dans lesquelles Courbet a peint son immense tableau en 1850 (...). Il lui suffit que la bobine et l'accoutrement des enfants de choeur, du prêtre, du sacristain et des notables du patelin, choisis parmi les connaissances du peintre, les petites gens d'Ornans plutôt favorables à l'extrême droite, soient peints en pleine pâte avec franchise, sans chercher à faire "laid" ou "hideux" comme la critique lui en fera grief, il lui suffit que la personnalité que Courbet a attribuée à chacun soit restitué avec équité et que la puissance picturale du tout ensemble soit à son maximum d'intensité pour que l'Enterrement le marque à jamais."
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Courbet (par Nadar) |
Et qui Xavier Girard appelle-t-il au final de ce paragraphe sur Courbet ? Rien moins que notre Pierre Michon, avec une courte citation (ici en italiques) de la page 70 du recueil d'entretiens
Le roi vient quand il veut, publié chez Albin Michel en 2007
:
" Courbet avait réalisé dans des proportions, suivant un dessein et une ambition intellectuelle qui le laissent estomaqué, le vœu d'une peinture qui se place à la hauteur de ses personnages "dans un fort mouvement de sympathie, de compassion, d'équivalence". Mais Soutine n'a nullement l'ambition de représenter une catégorie sociale ou de faire le diagnostic de la société de son époque."
Un peu plus loin, page 67, on trouve une citation cette fois implicite de l'écrivain, à l'issue d'une section d'étude sur les modèles choisis par Soutine, où au passage l'on reconnaîtra aussi, au milieu de quelques autres, les peintres qui nous occupent présentement :
Ses modèles sont choisis parmi les petites gens qu'il côtoie à Paris ou dans le Midi. Il peint en majesté les pauvres de sa compagnie, à la recherche, sous le costume et la composition du personnage, de cet insaisissable qu'ont poursuivi Fouquet, Clouet, Le Greco, Rembrandt, Goya, Courbet ou Manet. [...] Comment ce genre du portrait, de face, si l'on excepte l'Homme en prière ou le Philosophe, dans la posture un peu solennelle que les photographes ont adoptée, avec cet air de stupéfaction, s'est-il imposé au peintre ? Et quel en était le ressort principal ? Dans quel but ces portraits sans nom ? Ce tête-à-tête avec la démence, la bêtise, la méchanceté, le saisissement, la stupidité ravie, le vagabondage des sentiments, l'ironie, la maussaderie, etc. ? Comment ces vies minuscules qui nous fixent au fond de leurs orbites désaxées sont-elles devenues des Soutine ? [Les italiques ici sont de Xavier Girard].
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Le garçon d'étage, c. 1927
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Cimetière de Crozon |
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1 commentaire:
D'une vie rouge et bleue, celle des travailleurs de la semaine, dixit X.G., Soutine n'arrête pas de nous hanter!
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