lundi 6 mai 2013

Cette France qu'on oublie d'aimer

Pour écrire le billet précédent, j'ai ressorti des rayonnages le petit livre de Makine, Cette France qu'on oublie d'aimer, et j'ai eu envie de le relire. [Recherchant une image du livre, je tombe sur cet entretien sur BibliObs entre Murielle Lucie Clément et Andreï Makine, datant d'avril 2010]



La photo de couverture d'abord. Église romane, qui évoque le premier chapitre de l'essai, où l'auteur s'interroge sur un creusement dans la dalle d'une vieille église vendéenne, témoin du passage des fidèles vers le bénitier, aujourd'hui asséché. Elle ressemble au prieuré de Villesalem, dont parle Robin Plackert dans Fragments de géographie sacrée.


La photo a été prise par Franck Horvat. Aucune importance, sauf que ce photographe, que je ne connaissais pas voici un mois, a fait l'objet d'un article sur le blog parallèle à celui-ci des Misérables 62. Bref.

A relire donc Makine, j'ai un sentiment ambigu, la très nette impression que l'écrivain, s'il aime la France, et la langue française - ceci est indéniable -, en revanche n'aime guère les Français. La façon dont il ironise sur un couple mixte qui le reçoit somme toute avec cordialité est bien symptomatique de sa posture. Il a beau jeu d'épingler la bien-pensance et les bons sentiments forcément de gauche, comme si ce couple était le parangon de toute la classe moyenne française.

Révélateur d'ailleurs le moment où il sort de la vieille église : "Je quitte à regret la fraîcheur de Sainte-Radegonde. Dehors, le bruit et la puanteur du nœud coulant d'un embouteillage qui se resserre autour de l'église, des visages hargneux, l'abrutissant cognement de la techno, des chauffeurs qui se défient, et plus loin, dans la rue du village, l'extrême laideur de la foule engourdie par la chaleur, par la promiscuité recherchée, le vacarme. Et cette terre où, dans un tombeau, veille un soldat au garde-à-vous, ces anciens champs et pâturages qui disparaissent sous la carapace hideuse des maisons de vacances, toutes pareilles dans leur médiocrité rose-beige de constructions sans âme. De longs siècles de chevalerie pour en arriver là ?"

Puanteur, extrême laideur, hideuse, médiocrité... Il n'y a, semble-t-il, pas de mots assez forts pour stigmatiser cette France d'aujourd'hui. Rien ne trouve grâce à ses yeux. Et il y a cette phrase finale, étourdissante, si l'on veut bien y réfléchir : De longs siècles de chevalerie pour en arriver là ?

Autrement dit, la chevalerie était la France incarnée, la grandeur et la sublimité mêmes, l'impalpable quintessence (il aime bien ce mot) de ce pays  et tout n'est plus que décadence, laideur et mesquinerie de l'âme. La féodalité comme nostalgie profonde de l'esprit makinien. Et pourtant, dieu sait que j'aime le Moyen Age, que je ne considère pas cette période comme ce long purgatoire obscurantiste qu'on nous a présenté si longtemps, oui, dieu sait la passion que je porte par exemple à l'art roman, mais de cette estime et de cette passion, je n'infère pas la bassesse de notre temps.

Makine finit son petit opuscule par l'évocation de cette stèle inscrivant les noms des morts de la Grande Guerre, sur le mur de cette même petite église Sainte-Radegonde. Morts pour la France. Et l'on sent bien, même si ce n'est pas clairement dit, que la gloire était au rendez-vous. Jeunes paysans qu'on a envoyés au brasier par millions, vous avez bien mérité de la patrie. De la chevalerie encore, ça ?

Rien n'est simple. Le livre des brèves amours éternelles ne relève pas de cette même idéologie (car oui, il me semble que c'est de l'idéologie qui s'exhalait là, et non de la littérature) : dans ce roman, la lumière fuse, monte de la douleur et des souffrances des personnages. Nulle part donnée au mépris. Non, rien n'est simple.

Saint-Germain de Confolens







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