dimanche 29 mai 2016

Le bleu du ciel au Père Lachaise

Troisième chapitre du roman du hasard.

Résumé des épisodes précédents : je relève tout d'abord un bel écho poétique entre le blé bleu d'un poème de Georges Perros et le sable bleu tombant d'un livre de Tony Hillerman cité par une certaine Michèle Coquet, qui s'y connaît en arts premiers. L'écho me ravit en lui-même, je ne pense pas alors qu'il m'emmènera plus loin.
Je m'avise le lendemain que les sites mis en lien sur la colonne de droite, et dont l'actualisation est indépendante de ma volonté, font eux aussi écho au bleu du ciel de l'article précédent.
Je note aussi que cette histoire de sable coloré peut être relié directement à l'article du 21 avril dernier, intitulé Mandalas - ce que je n'avais point remarqué sur le moment alors que cela me frappe maintenant avec évidence.
Mais l'affaire ne s'arrête pas là.
Avant de préciser ses développements, il me faut cependant opérer une petite digression.

Quelques jours auparavant, j'étais allé livrer quelques exemplaires de Torticolis (la revue littéraire qui tord le cou à l'envie de ne pas lire), à l'un de ses nouveaux contributeurs, l'excellent Francis alias Paul-Charles (qui a pris ma succession en ce qui concerne la chronique théâtrale de l'été cluisien, à travers le site Les Amazones de Palomita). J'arrivai au moment du café, que lui et sa femme Dominique prenaient avec un couple d'amis de passage chez eux (un Torticolis prit ainsi la route de Toulouse). Il se trouve que l'homme, qui a nom Pierre B..., s'est fait une spécialité de la visite du Père Lachaise : en amateur éclairé, il vous entraîne en quelques heures à la découverte des secrets de la nécropole (où, honte suprême, je n'ai encore jamais mis les pieds). Un peu plus tard, Francis m'enverra d'ailleurs un dossier en pdf rédigé par cet ami Pierre.
Ceci étant dit, je n'ai pas décidé d'aller illico visiter l'endroit. J'en prends bonne note, c'est tout.


 Mon addiction à Noz se faisant impérieuse, je me retrouve quelque temps après à fouiner dans les étalages de cette vraie caverne d'Ali Baba. Perdu entre moult brimborions sans importance, je déniche un livre qui ne paie guère de mine : Monuments, d'un auteur inconnu, Arnauld Le Brusq, publié en 2006 dans une maison d'édition inconnue, L'insulaire.


Difficile de faire plus contrasté dans le rapport de taille entre la couverture et les éléments typographiques.
Le fait est que je n'aurais peut-être pas embarqué ce livre si, l'ouvrant au hasard, je n'étais pas tombé sur ce chapitre intitulé DIES IRAE AU PERE LACHAISE.

Intrigué par ce livre, je commence par faire une recherche sur Arnauld Le Brusq. Or, Juan Asensio, écrivain à la plume souvent féroce, lui consacre un article le 6 novembre 2010 sur son site fameux, Stalker, dissection du cadavre de la littérature. Et le commentaire est assez élogieux, comme en témoignent ces lignes :

"Malgré quelques facilités (1), Monuments d’Arnaud Le Brusq est un magnifique ouvrage paru en 2006 aux éditions L’Insulaire et qui hélas, même si je n’ai pas pris la peine de vérifier ce point, n’a pas dû provoquer l’effervescence de beaucoup de plumes enthousiastes saluant une écriture savante, tout simplement belle, charriant mille références, n’hésitant point à opérer de surprenants rapprochements entre les œuvres d’art et les époques, rapprochements qui nous invitent à réellement voir ce que l’auteur dispose sous notre regard (monuments bien sûr, mais aussi tableaux, scènes de film et même mots tagués sur des murs et des vitres de train de banlieue) plutôt qu’ils ne brisent le long déroulement d’une prose qui se déroule en longues périodes. Voici un livre qui donne envie de lire d’autres livres et qui répond, à la question du médiatique Charles Dantzig si parfaitement étonnante qu’elle intéresse tous les sots journalistiques, que nous lisons parce que de beaux livres existent qui attendent d’être lus."
Il se sait, écrit-il plus loin, en présence d'un écrivain : " C’est aussi, ce qui caractérise une écriture, une tension bien sûr, qui peut s’exprimer de différentes façons et qui, dans le livre de Le Brusq, infuse le texte de motifs qui se répètent (comme celui de l’escalier, comme celui encore de Marlon Brando jouant Kurtz, comme celui des épithètes accolées à certains grands personnages, Malraux ou Mitterrand, comme celui, discret, du bleu du ciel) (...)"

Ici, bien sûr, c'est moi qui souligne. Ce livre, que je n'ai retenu que parce qu'on m'avait mis sur la piste du Père Lachaise, détenait donc aussi le motif du bleu du ciel.

Mais je devais m'en assurer par moi-même, et je me lançai séance tenante dans la lecture du livre, l'attaquant non par le commencement, mais précisément par le chapitre du Père Lachaise, situé au mitan, page 107. Asensio a raison : mille références s'enchevêtrent, la révolution, Pompéï, Héloïse et Abélard, Jim Morrisson, Vivant Denon, Le Temps des cerises, Auguste Blanqui, Ian Curtis, Arthur Rimbaud, Etienne Carjat, Maxime du Camp, Trotski, la Commune, Nietzsche, le Potemkine, Lénine, André Malraux, Hô Chi Minh, Janis Joplin, Jimi Hendrix, Orphée, Frédéric Chopin, et j'en ai oublié sans doute, et pour finir, celui qu'il nomme le dandy de Balbec, Marcel Proust, et ce sont les dernières phrases de ce chapitre :

Ceux qui auront eu la patience de me suivre jusque là jugeront comme moi, je l'espère, que la coïncidence est extraordinaire.
Mais j'annonce d'ores et déjà un quatrième chapitre, tout aussi saisissant.

PS :On peut lire Monuments, téléchargeable sur le site de l'auteur, Terre-Gaste.



jeudi 26 mai 2016

L'énigme Augenblick (suite)

Lu sur le site de l'excellent Flotoir de Florence Trocmé :

"Une prise de vue
« Tête inclinée, on furète entre les pavés, à l’affût du moindre incident de parcours. On se piste et se traque en marchant sur le hasard. Glane des vétilles, s’acharne sur des riens. Voyez donc ! Là, au tournant, qui l’aurait cru, encore qu’au vu de personne, un rien se détache, acquiert un relief saisissant au point d’en aller choir dans l’œil. Et on appelle cela une prise de vue. Ein Augenblick.
Cette belle remarque de Siegfried Plümper-Hüttenbrink dans son livre Journal itinérant 1980-81 est le très fidèle écho de mon expérience photographique. Quand il y a cette pulsion à photographier mais que rien ne se présente. Cet affût, cette attente, et soudain cela qui s’assemble et qui fait signe.
Pour les non-germanophones, on peut préciser qu’Augenblick en allemand veut dire instant, moment. Formé de der Blick, la vue, la perspective, le regard, le coup d’œil et de das Auge, l’œil. "


Mosaïque - Eglise de Briare

samedi 21 mai 2016

Le hasard est le plus grand romancier du monde

Le hasard est le plus grand romancier du monde, dixit Balzac cité par Régis Debray, entendu avant-hier sur Arte.
Si c'est vrai, voici donc le second chapitre de ce roman du blé bleu et sable bleu, commencé avec Georges Perros et Tony Hillerman.
Retournant le lendemain sur la page de l'article, je remarque que les sites en lien sur la droite, que j'ai rassemblés sous la catégorie Autres sentes (et qui s'actualisent automatiquement sans intervention de ma part), proposent un bel écho à cette éclosion de bleu, comme en témoigne la copie d'écran suivante :



Jacques Josse chronique sur son site Le bleu du ciel est déjà en eux, de Stéphane Padovani, en finissant par ces mots :

Ce passage rapide dans le fantastique aide chacun des personnages de Stéphane Padovani à poursuivre sa route. Ce ne sont pas des perdants. Et pas non plus des battus d’avance. Et encore moins des victimes qui demanderaient que l’on pleure sur leur sort. Ils gardent en eux assez de ressource intérieure, qu’ils vont piocher dans un insoupçonné minerai intime ("ce bleu du ciel" qui "est déjà en eux") pour transcender le présent.
S'il est vrai que Richard Gonzalez, dans A part soi, ne sacrifie au bleu que le fond pâle de son beau portrait cubain, le bleu est discrètement mais résolument présent dans l'azul  du dernier billet d'Arantelle :  Verde-azul-amarillo’ de Gunther Gerzso,  1969.


Au vrai, le bleu (azul) se réduit  au petit rectangle en bas à droite. Il en a d'autant plus de force.

Mais déjà je vous annonce un troisième chapitre, toujours sous l'égide du bleu du ciel.

mercredi 18 mai 2016

Un mot en amène un autre

Georges Perros. Comédien, ami de Gérard Philipe, il quitta Paris pour la Bretagne, Douarnenez précisément.
C'est un peu court comme bio, mais l'exercice ne me fait pas envie ce soir.
Juste envie d'ajouter que cet écrivain-là est un des plus attachants que je connaisse. Enfin, je ne le connais pas, je ne l'ai jamais connu. Je ne le connais qu'à travers ses notes, ses "papiers collés", et maintenant ses poèmes.
J'ai acheté vendredi Une vie ordinaire (Poésie/Gallimard).
Il appelle ça roman poème. Lui qui n'a jamais écrit de roman.
Je le lis chaque jour, un poème ou deux ou trois, pas plus, à haute voix.
Ce matin, par exemple, j'ai lu ça :

"(...)
J'aimais me sentir dans le vent
dans le blé bleu qui pique aux jambes
le blé n'est pas bleu je le sais
mais un mot en amène un autre
et tout a la couleur du ciel
quand notre œil est en nouveauté "
J'aime cette simplicité de ton, et j'aime ce blé bleu qui pique aux jambes.

















Un peu plus tard, je termine un livre déniché à Noz, arts primitifs, arts populaires, arts premiers, de Michèle Coquet. Elle évoque les peintures de sable des chamans navajos (sand paintings), en citant Tony Hillerman, dont j'ai lu autrefois quelques-uns des polars dont les héros étaient des Indiens : un jeune homme, encore en apprentissage, réalise une peinture sèche nommée Voie de la Bénédiction. Il chante tandis qu'"un filet de sable bleu coule de ses doigts pour former l'extrémité de la plume accrochée à la corne gauche du soleil :
       Le Soleil sera créé, on dit que c'est prévu comme ça.
       Le Soleil sera créé, on dit qu'il a tout prévu.
       Son visage est bleu, on dit qu'il a tout prévu.
       Son front sera blanc, on dit qu'il a tout prévu."

Le sable, en général, n'est pas bleu ; le visage du Soleil, en général, n'est pas bleu.
Blé bleu, sable bleu, j'ai aimé cette rencontre à distance entre le chaman navajo et le poète qui aimait la moto et les bistros.

....Dans ce petit bistro tout seul
Dans l’éternité de l’espace
Une clochette à l’entrée
Trois marches pour dégringoler
Dans l’ombre des choses humbles...


C'était un petit extrait des Poèmes bleus.