mardi 22 août 2017

# 200/313 - Le mystère des portes

"L’autre enjeu de l’Odyssée est la reconnaissance, celle d’Ulysse par ses proches lorsqu’il revient enfin à Ithaque, mais aussi en tant que héros : la nostalgie va de pair avec la quête d’identité. Face au cyclope Polyphème, Ulysse prétend s’appeler “Personne”, soit outis en grec. Homère fait un jeu de mots lié à la négation outis/mêtis, deux manières de dire “personne” : le second terme est l’homophone de mêtis, la ruse, qui caractérise Ulysse."

Barbara Cassin, in Philosophie Magazine, Été 2017 

En visite à Toulouse la semaine dernière, entre le Capitole et le couvent des Jacobins, je n'ai pu résister à la tentation d'arpenter la grande librairie Ombres blanches. En fait je redoute ces cathédrales du livre : la profusion menace, comment choisir entre cent titres alléchants ? J'essaie de retenir des ouvrages mal distribués ailleurs, je laisse courir mon intuition, mais on en ressort toujours un peu frustré. Pourquoi ai-je acheté, au détriment d'autres titres, le petit Où étiez-vous ? du psychanalyste Miguel de Azambuja ? Est-ce la mention de l'ami disparu, Jean-Bertrand Pontalis ? La citation intérieure de Stanislas Lem, tirée de Solaris ? Les noms entrevus d'Edgar Poe et de Roger Caillois ? Sans doute y a-t-il un peu de tout ça. Il y avait de la curiosité en tout cas, car c'est le premier livre que j'ai commencé, le soir à Lavaur, en pays de cocagne, sur les cinq acquis ce jour-là.

Serrure toulousaine
Gabriel de Azambuja parle lui aussi, en passant, d'Ulysse et du cyclope :
"Personne, Monsieur, c'est moi" est la phrase du disparu, celui qui ne veut pas être vu, mais aussi celui qu'on ne voit pas : il est sorti du champ de vision de l'autre, exilé dans le monde invisible. Personne, c'est aussi Ulysse, le tour qui sauve la vie, la disparition qui précède l'arrivée du nom : "Je suis Ulysse, fils de Laërte." (p. 19-20)
Gabriel de Azambuja dont je m'aperçus un peu plus tard qu'il était l'un des contributeurs du colloque qui eut lieu en septembre 2006 à Cerisy autour de l'oeuvre de J.-B. Pontalis, et dont les actes furent recueillis dans ce volume de Folio/essais intitulé Le royaume intermédiaire, acheté à l'automne dernier chez un bouquiniste de la Place de la Bourse, à Lille. Section 18, Le détective flâneur : sept fragments pour Jean-Bertrand Pontalis. Il commence sa présentation par une anecdote sur Federico Garcia Lorca qui disait devant son auditoire avant de lire Un poète à New York (Un poeta en Nueva York) : "Chaque fois que je suis devant un public et que je vais lire un de mes textes, j'ai la curieuse sensation de m'être trompé de porte". Ce qui le conduit à évoquer "le mystère de ces portes qui s'ouvrent et nous mettent en contact avec un ailleurs qu'on porte aussi en soi, avec des trésors qui nous donnent des nouvelles sur nous-mêmes", puis les écrits de Pontalis qui sont, selon lui, "peuplés de ces portes qui permettent les voyages".

Les portes, c'est sans doute ce que je photographie le plus souvent en voyage. Et il en est de magnifiques dans le sud-ouest, dans le pays de cocagne, dans la Ville Rose ; heurtoirs de bronze, serrures alambiquées, bois crevassé : je ne sais ce que vous cachez, taisez, protégez mais vos faces muettes, marquées par le temps qui passe me sont comme des visages dont l'énigme me demeure opaque. Et c'est fascinant.

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