Enfin. Je dis enfin car on l'annonçait depuis plusieurs jours, et elle n'arrivait pas. Toujours la pluie, la sotte grisaille. Enfin, parce qu'elle ne prend pas place pour moi au rang des calamités, parce qu'elle est fête et miracle, chaque fois. Oui, elle, la neige, toujours recommencée, vrai trésor de l'hiver, ce qui lui donne son sens, sa raison. Je n'ai pas bougé d'un iota là-dessus depuis l'enfance, alors je crois bien qu'il est trop tard.
Valse ton imper
aux rumeurs du vent
Et valse la neige
aux rigueurs du temps
Je regrette toujours un peu dans ces moments-là de ne pas être à la campagne. En ville, la neige tourne trop rapidement à la bouillasse, sa virginité est une question d'heures. Je sors, et gagne les zones où elle vivra plus longtemps de sa belle vie candide. Le jardin des Cordeliers par exemple.
La neige a recouvert
le matin des campagnes
Que troublent tes yeux verts
la candeur des grands bois
La neige, pour moi, a aussi cette vertu de me déporter dans le temps. Elle est comme un fragment de temps ancien qui vient s'insérer dans le présent. Je marche et je me sens comme dans le tableau de Brueghel des Chasseurs dans la neige. Je ne suis plus en 2013, mais dans une année indécise du Moyen Age, avec les corbeaux qui tournent au loin au-dessus des rivières gelés. Des mots remontent en mémoire, des émotions, comme cette attente d'un garçon de dix-sept ans.
Pélerins de l'hiver
Irons dans la neige
Irons sur la terre
au blanc sortilège
Poème de 1977, au temps de l'amour naissant, de ses joies et de ses blessures, comme cette promenade espérée, et qui ne se fera pas.
Mais l'espoir se bruine
car tu ne viens pas
La neige se ruine
sur les champs là-bas.
Où est-elle aujourd'hui, celle qui faisait trembler mon cœur cet hiver-là ? Ces vers qui lui étaient adressés, je suis presque certain qu'elle ne les a jamais lus. Ni personne d'autre avant ce jour. C'est sans importance d'ailleurs, ce petit poème naïf peut bien retourner dormir dans le cahier jaune à spirales d'où je l'ai extrait. L'amour et ses champs de ruine, d'une certaine manière, j'en suis toujours là. Mais il suffit souvent d'un signe pour que la splendeur du monde lève un vent d'espoir. Comme je m'apprête à traverser la friche industrielle qui ramène à la vieille ville, un couple de chardonnerets volète d'un arbre à un autre, cherche pitance au pied d'un mur. On entend l'Indre qui coule en grondant derrière le parapet.
J'échoue à les prendre ensemble d'assez près. Qu'importe. Ils étaient deux contre le froid et la faim, magnifiques et volontaires. Je ne les oublierai pas.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire