mercredi 16 janvier 2013

Montana


Dans ce dernier Modiano, un autre écho m'avait retenu. Un simple détail, mais qui entrait en résonance avec un rapprochement observé peu de temps avant, mais que je n'ai pas eu l'occasion de rapporter ici. Rapprochement de si peu de poids, me semblait-il, que je pensais le garder pour moi. Mais là, le retrouver dans Modiano balayait mes scrupules. De quoi s'agit-il ?
Du Montana.
Oui, du Montana.
On se rappelle peut-être de la bande dessinée de Philippe Squarzoni, Saison brune. Le titre fait référence à la saison brune, qui désigne dans le Montana une sorte de cinquième saison, toute en indécision entre hiver et printemps. La métaphore vaut évidemment pour notre temps, où nous sommes en bascule entre deux choix de société.
Squarzoni s'en explique lui-même dans un entretien donné au magazine BoDoï :

"D’où vient ce titre, Saison brune ?
Dans l’État du Montana, aux États-Unis, il existe une cinquième saison, entre la fin de l’hiver et le début du printemps, la saison brune. La neige fond, mais la nature n’est pas encore prête à repartir, tout n’est que boue… Je trouvais que cela reflétait bien mon sujet : on est entre deux histoires, un moment suspendu entre la fin d’un monde où l’on pensait les ressources infinies et le début d’un autre, fini, où l’on n’aura d’autre choix que celui de la sobriété. Et puis, pendant la création du livre, j’ai passé la quarantaine, le « milieu statistique » de ma vie; et je sais que cette seconde partie de ma vie ne s’ouvre sur rien. J’ai voulu raconter cette double inquiétude dans Saison brune, et c’est le paradoxe du livre : c’est celui où j’ai accumulé le plus de faits scientifiques, mais aussi celui où j’ai inclus le plus d’éléments personnels. Mais j’ai essayé de ne pas trop en faire, car c’est relativement casse-gueule d’évoquer la mort de son chien, alors que j’écris un peu plus tôt que le réchauffement climatique entraîne aujourd’hui celle de 300000 personnes par an…" 



Dans le même temps, l'on m'avait prêté le dernier roman de Serge Joncour, L'Amour sans le faire, qui se déroule dans le Massif central, le Lot plus précisément. Au propos des paysages de cette région, il évoque à plusieurs reprises le Montana. Il revient là-dessus dans une interview :
" Le Montana que je cite, c'est une référence à Jim Harrison mais ce Montana, on l'a aussi en France...
On peut se perdre sur des kilomètres dans certaines régions de France. Mais vivre reclus ici, sans électricité et en puisant l'eau à la source, si cela est possible, a un côté un peu ringard alors que ce serait quelque chose de très fort et de très symbolique aux États-Unis. On n'est pourtant pas loin de la mythologie du cow-boy. Mes beaux-frères, je les vois ainsi, comme des cow-boys."

Le Massif central est aussi présent dans la bande dessinée : en effet, au début du livre, Squarzoni revient sur les lieux de son enfance, une maison en Ardèche.
Le calcaire de Mathieu Riboulet, c'est la Lozère, le Massif central encore.

Dans l'interrogation de Squarzoni sur le passage de la quarantaine, ce "milieu statistique" de la vie, on ne peut que penser à la citation de Debord en exergue du roman de Modiano, d'où il tire son titre :

"A la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d'une sombre mélancolie, qu'ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue."

Cette citation est elle-même une variation au début de la Divine Comédie de Dante : «Au milieu du chemin de notre vie/ Je me retrouvai dans une forêt obscure/ Car la voie droite était perdue»

Mais venons-en au Montana, chez Modiano. Il désigne non pas une région, mais un café, lié au second narrateur du livre, le détective Caisley :  "Le lendemain, il avait rendu le cahier à Bowing et n'avait plus jamais reparu au Condé. Le Capitaine avait été surpris que le prénom Louki fût chaque fois souligné au crayon bleu. Il avait voulu en savoir plus en posant quelques questions au docteur Vala concernant cet éditeur d'art. Val avait été étonné. "Ah, il vous a dit qu'il était éditeur d'art ?" Il le connaissait de manière superficielle, pour l'avoir souvent croisé rue Saint-Benoît à la Malène et au bar du Montana où il avait même joué plusieurs fois au quatre-cent-vingt-et-un avec lui."

Il est à noter que le bar existe bel et bien 28 rue Saint-Benoît. Modiano n'invente rien. Sauf que le bar a ouvert en 2009 et que le roman est paru en 2007... Après quelques recherches sur le net, il semble bien qu'il existait à la même adresse un certain hôtel Montana, au septième étage duquel vécut un certain Prévert.

Voilà. C'était juste un détail.
Aubrac - 2012

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