Comme il convient à tout bon feuilleton qui se respecte, un résumé des épisodes précédents s'impose une nouvelle fois : pour aller vite, un carambolage poétique entre le motocycliste Perros et le Navajo Hillerman m'entraîne dans les hauteurs du bleu céleste. Lequel se révèle être un des motifs dessinés dans la trame d'un curieux essai échoué dans les bacs de Noz : Monuments d'Arnauld Le Brusq (acquis parce qu'il vagabondait à travers les tombes du Père Lachaise, dont j'avais rencontré peu de temps auparavant l'un des fidèles arpenteurs).
Tout ceci est très resserré dans le temps, entre le 18 et le 19 mai.
L'histoire, donc, continue. Le samedi 21 mai, me voici au Musée-Hôtel Bertrand, pour la présentation du projet La classe, l'œuvre, menée avec une classe de 6ème du collège des Capucins.
Il se trouve que Violette, ma fille, fait partie de cette classe. Comme les autres élèves, elle a donc visité le musée en s'attardant plus particulièrement sur cette œuvre singulière. Après avoir étudié sa fonction, "ils ont collecté des objets témoins de leur temps, des traces de leur quotidien et des petits riens qui comptent pour eux. Afin de montrer leur collection, ils ont imaginé un dispositif de présentation reprenant le principe du reliquaire. Durant le cours d'arts plastiques, chaque élève a fabriqué son reliquaire à partir de matériaux de récupération et rédigé le cartel qui l'accompagnera lors de l'exposition des travaux."
La nuit européenne des musées, ce 21 mai, fut ensuite l'occasion pour quelques-uns d'entre eux de présenter leur travail et leur démarche au public. Violette était donc de la partie (elle avait réalisé un reliquaire en forme de yin yang, avec des petites boîtes contenant des textes porteurs de questions existentielles).
Le lendemain, 22 mai, je retourne à la lecture de Monuments. On se rappelle peut-être que j'avais commencé par le chapitre du Père Lachaise. Ceci accompli, je décidais d'en revenir au véritable commencement.
Or, dans le troisième chapitre, intitulé Traversée de la Grande Galerie du Louvre, voici qu'apparaît, page 40, Vivant Denon lui-même : La religion de l’art eut aussi ses prophètes, de Dominique Vivant Denon à l’ex-jeune homme désenchanté devenu ministre à grosses lunettes, André Malraux, qui dispensa sa monnaie de l’absolu tout droit issue du passage de l’ancien au nouveau, incarnée dans des mots assortis de majuscules qui donnent le frisson : « homme », « révolution », « fraternité », « vérité », « art », etc."
Vivant Denon Portrait par Robert Lefèvre. Musée National du Château de Versailles. |
"Dominique Vivant de Non (devenu après la Révolution, Vivant Denon), est issu d’une famille de petite noblesse de Châlon-sur-Saône. Il connaît d’abord une certaine célébrité mondaine dans la France de l’Ancien Régime ainsi qu’à l’étranger, notamment en Italie, grâce à son activité de diplomate, mais également à ses réels talents d’écrivain et de graveur (c’est à ce titre qu’il est reçu en 1787 à l’Académie royale de peinture et de sculpture). Proche de Bonaparte qu’il accompagne en Egypte, il est nommé par le Premier consul directeur général du musée central des Arts, c’est-à-dire le Louvre. Jusqu’en 1815, il occupe en fait les fonctions d’un véritable ministre des arts, même si celui qu’il appelait de ses vœux « le plus beau musée de l’univers » a été aux yeux de tous sa réalisation majeure, grâce au rassemblement, en un même lieu, d’œuvres d’art pillées par les armées françaises dans tous les pays d’Europe, de l’Italie à la Russie, de l’Allemagne à l’Espagne."
« Resurrexit », Anselm Kiefer, 1973. |
Parvenu à cet endroit de ce livre sorti de nulle part, je me dis qu'il serait trop beau que le reliquaire soit évoqué. Presque trop simple et trop merveilleux. Non, Le Brusq va passer à autre chose : cette pièce étrange, ce reliquaire, n'est même pas au Louvre, non, il dort dans un petit musée de province, où on ne le réveille que le temps d'une visite d'une poignée de collégiens.
Et pourtant, page 44 : "C’est un fait avéré que les nouvelles religions se glissent dans le costume des précédentes : en recyclage de l’adoration des saints chrétiens, Vivant Denon transforma un reliquaire du XVe siècle en une petite machine d’immortalité profane, maintenant conservée à Châteauroux, en y plaçant 1 os de Chimène + 1 os du Cid, 1 os d’Héloïse + 1 os d’Abélard, 1 mèche de cheveux d’Inès de Castro + 1 mèche de cheveux d’Agnès Sorel, mais aussi 1 morceau de la moustache d’Henri IV, 1 fragment du linceul du vicomte de Turenne, 1 os de Molière, 1 morceau de dent de Voltaire, quelques cheveux de Desaix, et encore la signature de Napoléon Ier + 1 morceau de chemise qu’il portait au moment de sa mort + 1 mèche de ses cheveux + 1 feuille du saule de l’île de Sainte Hélène sous lequel l’empereur reposa un temps = accumulation parente de celle que l’artiste hanovrien Kurt Schwitters plaça au cœur de son Merzbau afin de chercher lui aussi à coincer le présent."[C'est moi qui souligne]
Source |
Le monument est surmonté de sa statue réalisée par Pierre Cartellier vers 1825.
Pierre Besson écrit, dans son dossier consacré au Père Lachaise : "Le bronze fin et fringant de Cartellier abandonne toute référence antique ou simplement religieuse en cherchant à faire revivre le défunt : « Denon, au travail, nous sourit ». Quel réalisme !"
Ceci n'est pas sans me faire penser à l'un des petits textes de Violette :
Vivant Denon lui-même, auteur du conte libertin, Point de lendemain, écrivait à une certaine Lady Morgan :
« Je n'ai rien étudié, parce que cela m'eût ennuyé. Mais j'ai beaucoup observé, parce que cela m'amusait. Ce qui fait que ma vie a été remplie et que j'ai beaucoup joui. »
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