mardi 21 février 2012

Hasards objectifs

Je continue de remonter le fil des articles du Jeu de construction de Paul Cox, et j'en arrive à cette page du 24 mars 2005, intitulée Entrain, et qui commence ainsi, par une évocation de hasards objectifs, phénomènes dont je suis friand moi-même :

J'ai vécu hier une belle suite de hasards objectifs. Après avoir passé la journée en compagnie d'Alain Goulesque qui vit une relation compliquée avec ses clefs (il en transporte tant dans ses poches, et l'école d'art, qu'il dirige, compte tant de portes, qu'il est tout excusé - je pensais à ce personnage dans un film de Hitchcock - est-ce dans "Pas de printemps pour Marnie"? - à ce banquier qui ne retrouve jamais les clefs, ou la combinaison?, de son coffre) Alain se demandait, et me demandait, si je n'avais pas parlé, récemment, de clefs dans le blog. Sur le moment je ne me suis souvenu que d'une évocation de Klee, puis j'ai pensé à Duchamp (sans doute à cause de la clef des champs), avant de me rappeler qu'en effet il y a quelques jours j'avais utilisé comme titre cet intéressant aphorisme: "Qui perd ses clefs gagne un peu de place dans ses poches".
Puis j'en suis arrivé à Gaston de Pawlowski et à son "Voyage au pays de la quatrième dimension" car Duchamp, dit-on, y a puisé beaucoup de références. A la recherche d'informations sur Pawlowski nous avons ouvert le "Dictionnaire des lieux imaginaires" d'Alberto Manguel et Gianni Guadalupi et je suis tombé sur cette belle image
 qui m'a troublé car elle apportait une jolie réponse aux tumulus japonais en forme de trous de serrure que je montrais il y a quelques jours:
        
J'avais reproduit ce même dessin dans mon dernier billet sur le trou de serrure. Je songeai alors à ma promenade matinale dans Saint-Germain de Confolens, le petit village des bords de Vienne où nous sommes allés ce week-end rendre visite à Marie, Emmanuel,Lou et Tom. J'avais étrenné là mon nouvel appareil photo, un Lumix S1,et je ne tardai pas à trouver ce cliché d'une magnifique serrure d'une maison fermée de la rue principale, la rue Verre-de-Gris.

 Avec ses deux clous ronds et sa serrure horizontale, elle compose presque une gueule de métal.

Paul Cox dérive ensuite sur la spirale, celles que tracent par exemple les toupies, jouets qu'il affectionne, et qu'il n'hésite pas à employer pour certains projets graphiques. La spirale que j'aime, dit-il, on la retrouve chez Tintin :



pour signifier l'élan, l'entrain (voir plus bas) et la bonne humeur.
Duchamp, à ce propos, professait vivre dans une "euphorie permanente" (j'y pense souvent quand menace le penchant de s'abandonner aux passions tristes), et Montaigne, comme on sait, disait "je ne fais rien sans gaieté" - je songe aussi, dans un tout autre registre, à Agnes Martin, et au lumineux livre qui réunit ses "Ecrits", et à son insistance sur l'"awareness" (la conscience, l'attention - cf la constante insistance de Jacottot sur l'"attention" dans le livre de Rancière) et à sa spinozienne évocation de la joie.
Robert Filliou, à qui l'on demandait quels artistes il aimait, répondait que quand il était de bonne humeur il aimait tout (et rien quand il était mal luné). 
Ce passage résonne triplement en mon for intérieur, car 1. j'avais emporté comme viatique de lecture un petit Folio à deux euros acheté le 18 février, le Petit éloge de la joie, de Mathieu Térence, composé de 273 aphorismes ou fragments, dont j'extrais celle-ci :

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Certaines pensées sont autant de sésames formulés pour que s'ouvre au lecteur un trésor de sensations, une connaissance profonde de la vie, un domaine de liberté. Spinoza, jamis quitté depuis, m'a offert de ces sésames. "Le bénéfice que j'ai retiré de mon pouvoir naturel de connaître - pouvoir que je n'ai jamais trouvé en défaut - m'a rendu heureux. Car j'en tire de la joie et je m'efforce de vivre non dans la tristesse et les gémissements mais d'une âme égale, dans la gaieté.
2. La spirale était la matière de La bêche et le crayon, un blog découvert aujourd'hui, grâce à mon journal de veille, Les Veilleurs, et au blog de Gallica. Y était reproduit entre autres cette volute tirée d'une planche du livre "de Architectura" de Vitruve.
 


 3. Robert Filliou était cité sur un autre blog découvert aujourd'hui, Les Quotidiennes, dans la chronique de Barbara Polla, médecin et galeriste. A la fin du texte :

Une année deux mille douce, très douce, ouverte et vivante. Une vie avec l’art. Car comme disait Robert Filliou, «L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art».
 Soit dit en passant, cette chronique traite d'une œuvre d'artiste :

L’artiste français Jean-Michel Pancin, déjà connu en Suisse (il a exposé au CAN) s’est fait ouvrir les portes de la Prison Sainte-Anne en Avignon, d’où il est originaire. Il y a pratiqué pendant plus d’un an une archéologie passionnée, à la recherche de l’art perdu, celui des prisonniers qui ont quitté cette prison il y a quelques années, pour une autre, plus moderne, moins visible, excentrée. Il a récolté les portes mêmes des cellules, transformées par les prisonniers en œuvres d’art, leurs dessins sur les murs, par frottage souvent ; les objets abandonnés, reliques d’ouverture ; et les “pelotes” perdues dans les gouttières ou dans les barbelés des toits.
Ouvrir les portes des prisons, voilà qui conclut bien cette divagation initiée par un pauvre trou de serrure.

Pelote de graisse pour les oiseaux de Saint Germain
                         

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