Hors de portée, dedans, les sables que les mots croient fixer, où ils se perdent. Ce mouvement bruissant de dunes, musique seule et sans fin sinon finir soi, devenir matière sans bruit, sable ou souffle dans le vent d'une langue. (Poème autour d'un visage, III, p.97)
(...)La vie est envisagée telle une physique du tas de sable, un effondrement inéluctable, un éboulement régulier, une fuite ralentie mais que rien ne peut retenir.
s'ouvre vaste devant
un paysage à vide
avec de longs murs bas
des tas de sable
jusqu'à plus voir
***
une sorte de fin
visages muets du même
longs murs longtemps
et le sable
pas plus
(...)
(Fini, p. 116)
on va dans le temps lent
dans le tassement d'un jour
fixé journée achevée
sur le tard
(...)
au ras des yeux
le sable
et plus haut
l'eau
(...)
on voit le poème fondre
et demeurer dehors
le tas de choses
et nous
en tas
presque
parmi les choses
(Calme, cinq fois, II, p. 118-121)
La figure du sable, je l'ai retrouvé ces jours-ci dans l'essai d'Aldo Leopold, Almanach d'un comté des sables, que j'ai découvert grâce au numéro des Cahiers philosophiques consacré aux naturalismes, et considéré comme un des textes fondateurs de l'écologie. Publié à titre posthume en 1949, il porte l'idée alors très nouvelle de la terre comme communauté à laquelle l'homme appartient. La première partie de l'ouvrage "raconte, écrit Léopold, ce que ma famille observe et fabrique dans le coin où elle se réfugie, le week-end, à l'abri de trop de modernité : c'est la "cabane". Dans cette ferme de la région des sables du Wisconsin, épuisée, puis abandonnée par notre société du "toujours-plus-toujours-mieux-", nous essayons de reconstruire à coups de pelle et de cognée ce que nous perdons ailleurs."
C'est un texte magnifique qui se donne ainsi à lire au fil des mois et des saisons, que je lis ainsi, lentement, à raison d'un mois chaque soir, au mieux, venant de goûter récemment les crues de printemps, en avril, qui parfois isolaient la ferme du reste du monde :
Il y a des genres et des degrés de solitude. Une île au milieu d'un lac, c'est un genre de solitude ; mais les lacs ont des bateaux, et on peut toujours espérer une visite. Une cime perdue dans les nuages, c'est un autre genre de solitude ; mais la plupart des cimes ont des sentiers, et les sentiers ont des touristes. Je ne connais pas de solitude plus sûre que celle gardée par une crue de printemps ; les oies non plus d'ailleurs, et elles ont vu bien plus de genres et de degrés de solitude que moi.
Assis sur notre colline à côté d'une pasque nouvellement éclose, nous regardons passer les oies. Je vois notre route qui s'enfonce doucement dans l'eau et je conclus (avec une jubilation intérieure mais un détachement de façade) que la circulation, dans un sens ou dans un autre, reste, pour aujourd'hui en tout cas, un sujet de discussion réservé aux carpes. (p. 46)
Le sable était encore présent sur Le Flotoir de Florence Trocmé, que je suis avec grand plaisir depuis quelque temps. Chaque article, composé essentiellement de notes de lecture, s'ouvre sur un paragraphe consacré au ciel du jour et se ferme sur un autre de facture plus strictement poétique, mots jetés en pluie, qui donnaient donc ceci à la date du 30 mars 2012 :
sable, sa fluence
sable grains de sable, est-ce sable en veines, fourmillement, délitement d’os et de temps à pas lents, sûrs – sable, sa fluence et ses demeures, sabliers : lent effondrement du temps sur lui-même, avaloir du est en fut
Il ne me reste plus qu'à conclure moi-même sur ce poème, le premier poème d'Alluvions (le recueil inédit), dont la photocopie ouvrait ce blog même :
Sable aquitain, 2011.
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