samedi 28 janvier 2017

# 24/313 - D'Anaximandre à l'almanach de Lovecraft

"Il est donc d'innombrables soleils et un nombre infini de terres tournant autour de ces soleils, à l'instar de ces sept terres que nous voyons tourner autour de ce Soleil qui nous est proche."

Giordano Bruno, L'Infini, l'Univers et les mondes, 1584

Anaximandre, bas-relief (Roma, Museo Nazionale Romano). Probablement copie romaine d'un original grec.
Univers parallèles, ou plus largement univers multiples ou multivers, Aurélien Barrau rappelle que l'idée n'est pas une invention contemporaine. D'Anaximandre (vers 610 av. J.-C - vers 546 av. J.-C) et Démocrite (début du IVème siècle av. J.-C) à Leibniz et Fontenelle (17ème - 18ème siècles), les théories ne manquent pas d'une pluralité des mondes. Et c'est au péril parfois de sa vie que l'on présente des idées scandaleuses en ce sens qu'elles déboulonnent l'homme de son piédestal, offrent à penser un monde dont il ne serait pas le centre, ou bien un monde où il serait noyé dans l'illimité. Hypothèse insoutenable pour le pouvoir religieux en place. Giordano Bruno en mourra brûlé vif en 1600 :
"Fais-nous encore connaître ce qu'est vraiment le ciel, ce que sont les planètes et tous les astres ; comment les mondes infinis sont distincts les uns des autres [...]. Apporte-nous la connaissance de l'univers infini. Déchire les surfaces concaves et convexes qui terminent au-dedans et au-dehors tant d'éléments et de cieux. Jette le ridicule sur les orbes déférentes et les étoiles fixes. Brise et jette à terre, dans le tourbillon de tes arguments vigoureux, ce que le peuple aveugle considère comme les murailles adamantines du premier mobile et du dernier convexe. Que soit détruite la position centrale accordée en propre et uniquement à cette Terre."
Lisant ces lignes, je restai interdit : où avais-je déjà rencontré une phrase ressemblante à celle-ci : Déchire les surfaces concaves et convexes qui terminent au-dedans et au-dehors tant d'éléments et de cieux ? Je parvins à retrouver la source : c'était la note liminaire de François Bon à sa nouvelle traduction de L’appel de Cthulhu, ce livre de Howard Phillips Lovecraft que j'évoquais au départ de ce projet Heptalmanach (#7).

Voici l'extrait en question :
" Est-ce qu’une part de la magie ne tient pas à cette référence directe aux peintres ou auteurs fantastiques, aux idées nées d’une attention permanente aux avancées scientifiques, et ici — de façon surprenante, lorsqu’il s’agit de décrire enfin la monstrueuse cité engloutie — d’en appeler à l’art contemporain le plus avancé de son temps (dûment nommés, le cubisme et le futurisme), pour tenter de rendre compte d’une architecture qui renverse les notions de dedans et de dehors, de convexe et concave, et ne pourrait s’envisager qu’à partir d’une géométrie non-euclidienne ?"[C'est moi qui souligne]
Une autre part de la magie ne tient-elle pas aussi à cette retrouvaille, toujours dans cette même note, avec Edgar Poe et son Arthur Gordon Pym ?
"On dirait alors que Lovecraft une fois de plus s’embarque à la suite du Poe de l’Arthur Gordon Pym ou de Manuscrit trouvé dans une bouteille à l’assaut du Sud inconnu."
Et est-ce un pur hasard si François Bon met en ligne très exactement le 1er janvier 2017 une passionnante vidéo de sa série L'instant Lovecraft, consacrée cette fois là à la passion de l'auteur pour l'astronomie, qu'il exerça adolescent au côté du grand astronome Winslow Upton ?
Lovecraft tint la chronique astronomique dans le journal de Providence pendant plusieurs années. François Bon révèle même qu'il s'acheta à seize ans sa première machine à écrire, une Remington, grâce à la vente d'un minuscule almanach édité avec un ami.



Apprendre notre part d'inconnu, se présenter devant notre part d'inconnu, conclut F. Bon, c'est à cela que mène la lecture de Lovecraft et de ses récits de nuit et d'effroi, de vide et d'espace.
Ici finit donc, avec ce bouclage en quelque sorte sur le numéro 0, la vingt-quatrième chronique de l'Heptalmanach.

Huit chroniques planifiées qui se sont transformées en 24


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