mardi 11 juillet 2017

# 164/313 - Des rythmes et des lignes

"Comme je l'ai dit, la vie n'est pas enfermée dans des points mais se développe sur des lignes."
Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, Zones Sensibles, 2011, p. 137

Je viens d'achever ce matin la lecture du livre magnifique de Jean-Claude Schmitt, Les rythmes au Moyen Age,*acheté aux Rencontres de l'Histoire à Blois, en octobre dernier. 

Richement illustrée, extrêmement bien documentée, rédigée dans une langue claire dépourvu de jargon, cette somme qui revendique pourtant son caractère inachevé, m'a énormément appris, et je la conseille vivement à tous ceux que passionne la matière médiévale. Il se trouve aussi qu'elle a rencontré certains des motifs qui me retiennent ici, et en particulier à travers l'étude d'un ouvrage assez extraordinaire, le Compendium historiae in genealogia Christi, autrement dit un"abrégé de la généalogie du Christ" par Pierre de Poitiers, chancelier de l'université de Paris de 1193 à 1205.

L'ouvrage se présente sous forme de rouleau (volumen), support qui se prête mieux que le codex (forme actuelle du livre) au tracé des généalogies (les trois quarts des généalogies royales anglaises étaient encore établies sur rouleaux entre 1262 et 1327). L'exemplaire conservé à Paris, à la Bibliothèque de l'Arsenal, ne mesure pas moins de 8,75 mètres de longueur pour 40 centimètres de largeur.

Au centre, la ligne généalogique du Christ
La généalogie christique apparaît "avec toutes ses ramifications, sous la forme d'une multitude de lignes et de rondelles colorées portant les noms de tous les personnages bibliques. La ligne généalogique principale, celle du Christ, occupe longitudinalement le centre du rouleau. Elle est scandée par des rondelles individuelles portant le nom des ancêtres directs de Jésus et elle s'éparpille dans une myriade d'autres rondelles réservées aux conjoints de ces personnages et aux branches cadettes qui en sont issues." (p. 516)

Le manuscrit ne se contente pas d'égrener la généalogie biblique, il se poursuit, sans rupture et sans changement de forme graphique, avec la chronologie des papes et des empereurs depuis la naissance du Christ jusqu'à la mort de Frédéric II (1250) et l'intronisation de Benoît XII (1334).

"C'est dire l'importance et l'efficacité de la ligne comme un mode de pensée figuratif, dont Tim Ingold a proposé une interprétation anthropologique générale." Cette appréciation de J.C. Schmitt renvoie à l'ouvrage cité en exergue, Une brève histoire des lignes, que je connaissais déjà, pour l'avoir lu avec passion en avril 2014. Ceci à mon sens éclaire la présence maintes fois signalée d'alignements dans ce que j'ai coutume d'appeler la géographie sacrée d'un pays donné.


Dans le chapitre du livre où j'ai puisé cette citation, intitulé La lignée, Tim Ingold présente une autre figure généalogique plus récente mais qui présente la même ligne centrale que le manuscrit médiéval, et des rondelles similaires pour désigner les personnes.

Il commente ainsi cette figure : "Arbor consanguinitatis français du XVIIIe siècle. Le visage au centre du tronc représente l'Ego. Au-dessous de lui, le long du tronc, figurent quatre générations d'ancêtres. La parenté patrilatérale est représentée à gauche, et la parenté matrilinéaire à droite. Les chiffres arabes et romains indiquent le degré de consanguinité respectivement selon la loi civique romaine et le Canon de l'Eglise. Source : Domat (1777, I, p. 405)"

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* Jean-Claude Schmitt, Les rythmes au Moyen Age, Bibliothèque illustrée des Histoires, Gallimard, 2016

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