Et comment dire ? C'est le book day à la Bergounioux, une vraie razzia, impossible de ne pas acheter à vil prix des livres qui sont comme échos parfaits à ce qui s'écrit ici. Pensez donc : un Pacôme Thiellement, Cabala, Led Zeppelin occulte, un livre de Yves Simon sur Lou-Andreas Salomé, et Port-Soudan d'Olivier Rolin.*
Sur la page de titre, quelqu'un avait écrit à la main et au crayon de papier prix fémina 1994. Décidément j'étais abonné au prix Fémina : il n'en fallut pas plus pour que je me lance sans plus attendre dans la lecture de ce court récit de 125 pages, qui commence ainsi :
"C'est à Port-Soudan que j'appris la mort de A. Les hasards de la poste dans ces pays firent que la nouvelle m'en parvint assez longtemps après que mon ami eut cessé de vivre. Un fonctionnaire déguenillé, défiguré par la lèpre, porteur d'un gros revolver noir dont l'étui était noué à la ceinture par une lanière de fouet en buffle tressé, me remit la lettre vers la fin du jour. Son visage sans lèvres, aux oreilles en crêtes de coq, était un perpétuel ricanement. On eût dit son corps sculpté dans le bois sardonique d'une danse macabre. Comme presque tous ceux qui survivaient dans la ville, son office principal était d'ailleurs le racket et l'assassinat. Comment s'était-il procuré le pli, je l'ignore. Peut-être l'avait-il volé à la Mort elle-même."
C'est beaucoup de hasards, tout ça. Alors on ne saurait s'étonner de retrouver presque à la fin du livre une référence au créateur du hasard objectif : "Dans le Paris disparu de notre jeunesse, on pouvait aussi rencontrer le fantôme à tête d'Arsouille d'Apollinaire errant sans avoir le coeur d'y mourir, chapeau cabossé et noeud pap de travers, ou celui de Breton croisant, sous les grands arums du ciel, un visage qu'il craignait follement de ne pas revoir."**
Rolin fait ici allusion au poème Tournesol où Breton écrit :
La voyageuse qui traverse les Halles à la tombée de l'étéLe temps était venu de se plonger dans l'essai d'Hester Albach sur Léona Delcourt alias Nadja. Je l'avais reçu depuis quelques jours déjà et je reculais le moment de m'y mettre, comme si ce n'était pas un livre comme un autre, comme s'il allait me livrer des savoirs essentiels et que je devais attendre d'avoir une disponibilité totale pour le découvrir.______________
Marchait sur la pointe des pieds
Le désespoir roulait au ciel ses grands arums si beaux (...)
* En fait, il y en eut cinq autres, parmi lesquels, non directement reliés à Alluvions, un recueil de chroniques d'Antonio Lobo Antunes et le volumineux Achab (séquelles) de Pierre Senges.
** Dans une recherche Google autour des grands arums du ciel, je suis arrivé sur le site L'entre-tenir à Saint-Dizier, ville où André Breton exerça pendant la guerre à l'hôpital psychiatrique, et où il écrivit ses premiers textes. J'y croisai aussi Apollinaire :
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