mardi 19 décembre 2017

# 302/313 - Sommer of love

15/12 - Je suis plus que jamais dans l'étoilement, dans cette super nova que je décrivais naguère (d'ailleurs je ne fus guère surpris de capter le 12/12, lors de l'un de mes brefs déplacements en ville,  une émission de France-Culture consacrée aux supernovae)



Exposons l'affaire : je suis encore en pleine lecture du pavé tarttien sur la chardonneterie lorsque, de passage obligé à la médiathèque pour rendre à temps deux misérables ouvrages que j'avais eu la faiblesse d'emprunter, je me vois contraint de prendre dans ma besace une bande dessinée (ça se lit en un tournemain, n'est-ce pas ?), le gros recueil de poésies de Richard Brautigan parue voici peu au Castor Astral (ce sont des poésies, on ne lit jamais tout, c'est pour feuilleter, picorer, butiner,) et le deuxième opus de Ta-Nehisi Coates publié en France, Le grand combat (Une colère noire m'avait tellement touché que je me vois mal renoncer à ce livre devenu, à la seconde même où je l'aperçus, nécessaire).

Donc, suspension provisoire de Donna Tartt, et plongeon direct dans la bande dessinée de Anna Sommer, L'inconnu (Les cahiers dessinés, 2017).

Première sensation : je venais à la note précédente de mettre en parallèle les deux visages de Donna Tartt et Kelly Mc Kernan, or le visage de la femme en couverture de l'album pouvait aisément se joindre à la série (la coupe de cheveux noirs, les yeux clairs, les sourcils...).

De plus, je réalisais que dans la perspective de bouclage de l'année sur elle-même, ce prénom Anna renvoyait au second article #2 Premier contact, portant sur le film de Denis Villeneuve où l'héroïne du film doit avoir une fille nommée Hannah, palindrome comme l'Otto du premier article. Anna privée des h est tout autant un palindrome.
Pourquoi avoir focalisé sur Anna Sommer, que peu doivent d'ailleurs connaître ? Eh bien, c'est qu'il me souvient d'avoir aimé son trait féroce dans l'une ou l'autre des publications assez éphémères de Frédéric Pajak (ce fut certainement dans L'imbécile de Paris, qui ne dura que le temps de cinq numéros). C'est lui qui publia son premier dessin en 1990, une gravure à la pointe sèche, dans le fanzine Good Boy. La préface d'Antoine Duplan confirme ce compagnonnage étroit en nous apprenant qu'elle est "l'adjuvant d'un brelan de réformateurs graphiques, Frédéric Pajak, Mix § Remix et Noyau, connus sous l'appellation des "Étoiles souterraines". Quatrième astre de cette constellation trinitaire, la nova argovienne brille d'un éclat particulier." Que de résonances en ces deux phrases : la nova récemment repérée dans mon télescope personnel voisine avec la quaternité chère à Rémi Schulz.


Mais ce n'est pas terminé : quatre lignes plus loin, Antoine Duplan écrit : "Conçue durant le Summer of Love de 1967, Anna Sommer a mis l'amour au cœur de son œuvre, mais son approche est plus acide que sucrée." Resurgit donc cette fameuse année 1967, qui m'aura donc tant occupé cinquante ans plus tard. Pour ce qu'il en est de ce fameux Summer of Love, voir la notice de Wikipedia qui en est une bonne introduction : "L'expression Summer of Love (en français Été de l'amour) désigne l'été 1967, et plus particulièrement les événements qui se déroulèrent d'abord dans le quartier de Haight-Ashbury, à San Francisco (Californie), où des milliers de jeunes du monde entier se réunirent librement pour une nouvelle expérience sociale, faisant ainsi découvrir au public la contre-culture hippie."

Or, dans l'avant-propos de Steven Moore à C'est tout ce que j'ai à déclarer, l’œuvre poétique complète de Richard Brautigan, je pus lire ceci le même jour : "En tout cas, All Watched Over by Machines of Loving Grace peut être considérée comme une production hippie. En 1967, 1500 copies furent ronéotypées et distribuées gratuitement par les Diggers aux enfants-fleurs qui s'étaient épanouis à Haight-Ashbury au cours de "l'été de l'amour"."

Enfin, il faut revenir sur cette couverture de L'inconnu. La jeune femme tient contre elle un oreiller. Si vous n'avez point la mémoire trop courte, vous vous souvenez de l'oreiller de Theo Decker qui  dissimule le tableau de Fabritius, en écho à l'oreiller du mal de Baudelaire. Et puisqu'on parle de Baudelaire, je ne résiste pas à vous transcrire ici un des poèmes que Brautigan écrivit en février 58 à San Francisco, The Galilee Hitch-Hiker, part 1:

Baudelaire was
driving a Model A
across Galilee.
He picked up a
hitch-hiker named
Jesus who had
been standing among
a school of fish,
feeding them
pieces of bread.
"Where are you
going?" asked
Jesus, getting
into the front
seat.
"Anywhere, anywhere
out of this world!"
shouted
Baudelaire.
"I'll go with you
as far as
Golgotha,"
said Jesus.
"I have a
concession
at the carnival
there, and I
must not be
late."

Traduction :
L'Auto-stoppeur de Galilée (part 1)

Baudelaire conduisait
un modèle A
à travers la Galilée.
Il prit
un auto-stoppeur nommé
Jésus qui s'était
tenu au milieu
d'un banc de poissons,
leur donnant  des morceaux
de pain à manger.
"Où est-ce que vous allez ?"
demanda
Jésus en s'asseyant
sur le siège
avant.
"Anywhere, anywhere
out of this world !"
s'écria
Baudelaire.
" Je vais avec vous
jusqu'au
Golgotha"
dit Jésus.
"J'ai une
place réservée
pour le carnaval
là-bas, et je
ne dois pas être
en retard."

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