jeudi 21 décembre 2017

# 304/313 - 13 rue Linné

"Si quelqu’un à Paris me demande où je crèche, j’ai le choix entre une bonne dizaine de réponses. Je ne saurais dire «j’habite rue Linné» qu’à quelqu’un dont je serais sûr qu’il connaît la rue Linné ; le plus souvent, je serais amené à préciser la situation géographique de ladite rue. Par exemple : j’habite rue Linné, à côté de la clinique Saint-Hilaire» (bien connue des chauffeurs de taxi) ou «j’habite rue Linné, c’est à Jussieu» ou «j’habite rue Linné, à côté de la faculté des sciences» ou bien «j’habite rue Linné, près du jardin des Plantes» ou encore «j’habite rue Linné, pas loin de la mosquée». Dans des circonstances plus exceptionnelles, je pourrais même être amené à dire «j’habite le 5e» ou «j’habite dans le cinquième arrondissement» ou «j’habite au Quartier Latin», voire «j’habite sur la rive gauche». 

 Georges Perec, De quelques emplois du verbe habiter



C'est encore une fois un article (le dernier de cette année 2017) de Rémi Schulz qui a orienté mon enquête. Je venais de relever l'étonnante série des treize ans lorsque je me suis avisé que Perec, plusieurs fois cité dans le post, avait habité 13 rue Linné ( "Perec avait remarqué que ses 3 adresses principales à Paris (5 rue Quatrefages, 13 rue Linné, 18 rue de l'Assomption) formaient une suite additive de type Fibonacci, 5 + 13 = 18 (...)").
Or j'avais prévu depuis le 3 décembre de consacrer un article à Linné, car celui-ci m'était apparu dans la fameuse plaque 444 du Panicum plicatum.


Faut-il rappeler aux ignares que Linné est ce grand naturaliste suédois qui a fondé les bases du système moderne de la nomenclature binominale ? Si le panicaut plissé est nommé Panicum plicatum, c'est en application directe des principes de la nomenclature de Linné, qui "permet, nous dit la notice de Wikipedia,  de désigner avec précision toutes les espèces animales et végétales (et, plus tard, les minéraux) grâce à une combinaison de deux noms latins."
Deux jours avant la brocante des Marins où j'avais trouvé cette plaque 444, j'avais évoqué un film suédois de 1967, I'm curious, où le personnage principal était interprété par l'actrice Lena Nyman, qui portait son propre prénom à l'écran. La Suède n'est pas si souvent présente dans ces pages, aussi ai-je subodoré la résonance signifiante. Linné-Léna, il fallait y voir de plus près.
Linné est né le à Råshult et mort le à Uppsala : or, le 23 mai, c'est aussi le jour de naissance de Lena Nyman. Par ailleurs, je suis frappé de cette abondance de 7 dans les dates de naissance et de mort (Linné meurt en outre à l'âge de 70 ans).

Ce que je trouve néanmoins de plus curieux, c'est ce développement dans la notice wikipédienne qui nous informe que ce "grand nomenclateur que fut Linné, qui consacra sa vie à nommer la plupart des objets et êtres vivants, puis à les ordonner selon leur rang, eut lui-même maille à partir avec sa propre identité, son nom et même son prénom ayant été remaniés tant de fois au cours de sa vie qu’on ne dénombre pas moins de neuf binômes (on voulait dire bi-noms, en deux noms) et autant de synonymes."


Wikipedia : "Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la plupart des Suédois ne portent pas encore de noms de famille. Aussi le grand-père de Linné, conformément à la tradition scandinave, s’appelait Ingemar Bengtsson (signifiant « Ingemar, fils de Bengt ») et son propre fils, le père de Linné, fut d’abord connu sous le nom de « Nils Ingemarsson » (signifiant « Nils, fils d’Ingemar »).
Mais Nils, pour répondre aux exigences administratives lors de son inscription à l’université de Lund, doit choisir un patronyme. Sur les terres familiales pousse un grand tilleul. La propriété en porte déjà le nom : Linnagård (ou Linnegård), toponyme formé de linn (variante aujourd’hui obsolète de lind, « tilleul » en suédois) et de gård, « ferme »). Plusieurs membres de la famille s’en sont déjà inspirés pour former des patronymes comme Lindelius (à partir de lind) ou Tiliander (à partir de Tilia, « tilleul » en latin). Il est par ailleurs de bon ton, dans les milieux instruits de pratiquer le latin. Nils choisit donc une forme latinisée et devient « Nils Ingemarsson Linnæus ».*
Honorant ensuite le très populaire souverain de Suède de l’époque Charles XII, (en suédois Karl XII, 1682-1718), Nils donne le prénom du roi à son fils, qui débute donc son existence en s’appelant « Carl Nilsson » (signifiant « Carl, fils de Nils »), puis Karl Linnæus, le plus souvent orthographié « Carl Linnæus ».
Lorsque Carl Linnæus s’inscrit à l’université de Lund à l’âge de vingt ans, son prénom est enregistré sous la forme latinisée de Carolus. Et c’est sous ce nom de Carolus Linnæus, qu’il publie ses premiers travaux en latin.
Parvenu à une immense notoriété et en qualité de médecin de la famille royale de Suède, il est anobli en 1761 et prend en 1762 le nom de « Carl von Linné », Linné étant un diminutif (« à la française », selon la mode de l’époque dans nombre de pays de langue germanique) de Linnæus et von étant la particule nobiliaire (allemande). Dans le monde francophone comme en Suède, il est aujourd’hui communément connu sous le nom de « Linné »."
Ce nom de Linné me rappelle l'époque où mon ami Jean-Marc dit le Baroudeur (à cette heure en Thaïlande pour étudier le pouvoir thérapeutique de la bouse d'éléphant) travaillait comme documentaliste au Muséum d'Histoire naturelle. Un jour, je lui avais rendu visite et il m'avait introduit dans le saint des saints, une salle immense (il fallait relever une manette pour mettre le courant - c'était encore du 110 volts, m'avait-il confié), une salle où étaient conservés les herbiers. dont celui de Linné. J'y croyais encore jusqu'à aujourd'hui mais, après vérification, si le Muséum est bien riche de nombreux herbiers historiques, l'herbier de Linné est bel et bien conservé dans son pays d'origine, au Swedish Museum of Natural History (l'herbier de Linné est numérisé et accessible en ligne). 

Panicum virgatum (Herbier de Linné)
Pour finir, une autre piste à partir de ce nom de Linné. Dans le même article parlant du 13 rue Linné de Perec, Rémi, évoquant le roman de Nicolas Etienne d'Orves, Les orphelins du mal, mentionne une certaine Marjolaine Papillon, dite Leni (inversion phonétique de Linné) :

"Dans le premier, Les Orphelins du Mal, une bonne partie de l'intrigue concerne les messages disséminés dans l’œuvre de la romancière à succès Marjolaine Papillon (!). Ces messages constituent un puzzle permettant de reconstituer l'enfance de cette Marjolaine, née Leni avant-guerre, d'une première expérience de clonage (!!), avec quatre frères, les Sven. C'étaient les prototypes d'une nouvelle humanité, nommée Ruche (!!!) à diverses reprises, dont Leni était destinée à devenir la reine, mais elle a refusé ce rôle pour devenir donc Marjolaine Papillon..."
 Rémi revient sur ce livre dans un commentaire sur #301 Arthur Rackam :
"J'indiquais donc dans mon billet sur les cloneries des Papillon que la précision des coïncidences n'impliquait pas que Fabrice Papillon se soit inspiré de Marjolaine Papillon, car les clones du Lebensborn** de NEO avaient eux-mêmes un fort écho avec un roman de Tobie Nathan où un tueur de seconde génération du Lebensborn écrit en hébreu avec des membres de ses victimes le mot OTOT, "signes" ou "lettres", avec 2 mains et 2 jambes.
Or chez NEO les 4 clones d'OTTO (Rahn), frères de Marjolaine Papillon, se coupent leurs mains portant leurs tatouages Lebensborn et envoient le paquet au nouveau Führer, supposé constituer un SIGNE réveillant ses gènes pour moitié ceux d'Adolf..."
A l'heure où j'écris ces lignes, l'extrême-droite vient de rentrer en  force dans le gouvernement de l'Autriche, en occupant entre autres les ministères de la Défense et des Affaires étrangères, sans soulever la vague énorme de protestations qu'une première participation, sous l'égide de Jörg Haider, avait suscitée en 2000. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
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* "Les noms en -us et en -ius, si fréquents dans les pays nordiques, ne sont souvent pas des latinisations de nom suédois (ou autres), mais des noms d'emblée latins, choisis à l'époque où les gens commencèrent à prendre des noms de famille, ce qui était devenu nécessaire pour leur entrée dans l'administration, à l'université, etc. Tel est le cas de Nobelius, délatinisé ultérieurement en Nobel. Autres noms bien connus de ce type : Berzelius, Afzelius, Retzius, Arhenius, Celsius, Acharius, Thorlacius, Gunnerus, etc." Jacques Mélot (site Tela botanica).

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Wikipédia : "Le Lebensborn e. V. (Lebensborn eingetragener Verein, en français « Association enregistrée Lebensborn ») était une association de l'Allemagne nationale-socialiste, patronnée par l'État et gérée par la SS, dont le but était d'accélérer la création et le développement d'une race aryenne parfaitement pure et dominante. Le terme « Lebensborn » est un néologisme formé à partir de « Leben » (« vie ») et « Born » (« fontaine », en allemand ancien). Le journaliste, écrivain et cinéaste Marc Hillel l'a traduit en français par « Fontaines de vie ».
Le programme de création des Lebensborns vit le jour à l'initiative de Heinrich Himmler le 12 décembre 1935 dans le cadre de la politique d'eugénisme et de promotion des naissances, pendant la « Solution finale ».
Il s'agissait à l'origine de foyers et de crèches, mais il semble, sur la base de témoignages de voisinage, que la SS transforma rapidement certains de ces centres en lieux de rencontre où des femmes considérées comme « aryennes » pouvaient concevoir des enfants avec des SS, puis accoucher anonymement dans le plus grand secret et remettre leur nouveau-né à la SS en vue de constituer l'élite du futur « Empire de mille ans ». Durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs dizaines de milliers d'enfants, dont les caractéristiques physiques correspondaient au « type aryen », furent arrachés à leurs parents dans les pays conquis pour être placés dans ces centres.
L'existence de ces maternités et de ces crèches fut longtemps considérée comme une simple légende donnant lieu à une grande puissance fantasmatique, certains y voyant des haras humains, d'autres des bordels SS, jusqu'à ce que Georg Lilienthal (de), un jeune historien spécialiste de la médecine SS, y consacre sa thèse en 1985."


Le 6 février 1944, une maternité SS est inaugurée à Lamorlaye dans l'Oise. Vingt-trois enfants de "race nordique"y verront le jour. (Boris Thiolay/L'Express)

2 commentaires:

blogruz a dit…

Ceci me rappelle qu'il est question de Linné dans le vertigineux Conte du biographe, de AS Byatt, où un biographe envisage d'écrire la bio d'un biographe...
Et Byatt est une fan de Turing et Fibonacci.

Patrick Bléron a dit…

Je viens juste de terminer le Donna Tartt et voilà que tu me donnes furieusement envie de découvrir AS Byatt.
De Tartt à Byatt, de Donna à Antonia.