vendredi 29 décembre 2017

# 311/313 - Wonderstruck

20/12 - Je reviens du travail, il est presque dix-huit heures. Je consulte le petit livret de l'Apollo pour les films du mois de décembre. Que vois-je ? A dix-huit heures trente passe Le Musée des Merveilles, de Todd Haynes. J'avais vu récemment la bande-annonce et je m'étais déjà promis d'y aller, mais alors, lisant le petit résumé et l'extrait de critique de Libération, cela devint très clair : je devais y foncer immédiatement. Le film ne restait à l'écran qu'une petite semaine, cinq fois jusqu'au 26 décembre.

Ceux qui m'ont lu jusqu'ici et parcouru les derniers articles comprendront aisément mon engouement : le film prolongeait idéalement les thèmes qui avaient surgi à partir notamment du Chardonneret de Donna Tartt. Deux enfants fuguant vers Manhattan, l'un n'ayant jamais connu son père, l'autre désirant plus que tout voir sa mère, actrice célèbre menant sa carrière à distance. Deux intrigues parallèles dans deux temps différents, 1927 et 1977 (deux millésimes en sept) que cinquante ans séparent, le même intervalle qu'entre 1967 et 2017 - mais qui finissent par se rejoindre, refermant les blessures à vif des biographies personnelles.

Tout comme au coeur du livre de Donna Tartt, il y avait ce petit tableau de Carel Fabritius, dans l'enceinte du Metropolitan Museum, il y a chez Todd Haynes les dioramas du Museum d'Histoire naturelle et la maquette de New York dans le Queen's Museum. Le Musée des Merveilles, c'est le petit livre où Ben a trouvé l'adresse de la librairie Kincaid, c'est ce cabinet de curiosités oublié dans le coeur du Museum, comme une chambre secrète dans le ventre de la baleine.

Et à quoi ressemble donc l'appartement de Hobie dans Greenwich Village, sinon à un cabinet de curiosités ? Il est tout à fait éclairant de revenir sur la découverte par Theo de cet endroit magique.
L'on ne sera guère surpris de savoir que c'est à la suite d'un rêve :
"Un dimanche matin, je remontai vers la lumière, après un rêve lourd et compliqué dont il ne restait rien à part un bourdonnement dans mes oreilles et la douleur d'avoir laissé échapper un objet, perdu à jamais dans quelque crevasse. Et pourtant - au milieu de ce naufrage abyssal, de câbles rompus, de fragments égarés et irrécupérables - une phrase sortait du lot, tictaquant dans l'obscurité comme une bande de défilement de texte qui se déroulerait en bas d'un écran de télévision : Hobart § Blaxkwell. Appuie sur la sonnette verte.
J'étais allongé et fixais le plafond, sans la moindre envie de bouger. Les mots étaient aussi clairs et précis que si quelqu'un me les avait tendus, tapés sur un bout de papier. Pourtant - et c'était merveilleux - un pan de mémoire s'était ouvert et surnageait avec eux comme une de ces boulettes de papier de Chinatown qui grossissent pour devenir des fleurs quand on les laisse tomber dans un verre d'eau." (p. 119)
Ce qui est merveilleux aussi, c'est que je retrouve ici les mêmes sensations que j'avais éprouvées avec mon rêve de l'avenue Lexington, suscitant les mêmes interrogations quand j'avais retrouvé le nom dans le livre : était-ce un vrai souvenir ou bien une pure création onirique ? Dans les deux cas, il s'agit bien d'une remémoration : lors de l'attentat terroriste, il avait retrouvé le vieux Blackwell (Welty) grièvement blessé dans les décombres d'une salle, il lui avait tenu compagnie ; Welty lui avait dit de prendre le tableau puis lui avait donné sa bague en or ornée d'une pierre sculptée, en lui disant ces mots : Hobart § Blaxkwell. Appuie sur la sonnette verte. Ce sont ceux-ci qui avaient resurgi lors du rêve.
Theo Decker a retrouvé l'adresse sur l'annuaire et s'est rendu, seul, 10ème Rue Ouest dans Greenwich Village (le quartier de New York où chanta Camille en octobre).


L'errance de Theo ressemble fort à l'errance de Ben, le petit garçon sourd dans le film de Haynes : tous les deux parviennent seuls par le bus à New York, à la gare routière de Port Authority (dans le film, un panneau annonce une prochaine modernisation). Étrangement, nous retrouvons aussi le thème du désert mis en évidence dans les cinq extraits Lexington : "Quand j'ai fini par trouver la 10ème Rue Ouest, déserte, je l'ai arpentée en comptant les numéros." Et plus loin : "Greenwich Village était presque vide à part deux hommes vaseux qui donnaient l'impression de s'être battus toute la nuit, et une femme aux cheveux ébouriffés qui promenait un teckel en direction de la 6ème Avenue. C'était un peu bizarre d'être seul dans Greenwich Village (...)."
Et ce que découvre Theo en risquant un regard dans la boutique, c'est bien le fouillis hétéroclite des cabinets de curiosités :
"A travers la vitrine poussiéreuse j'ai vu des chiens et des chats en porcelaine, du cristal poussiéreux, lui aussi, de l'argent terni, des chaises anciennes et des canapés tapissés de vieux brocarts jaunâtres, une cage à oiseaux raffinée en faïence, des obélisques miniatures en marbre posées sur un guéridon en marbre également, et deux cacatoès en albâtre. C'était tout à fait le genre de boutique que ma mère aurait aimé - pleine à craquer, un peu délabrée, avec des piles de vieux livres par terre."
*
Pour conclure cet antépénultième article, une dernière curiosité. L'un des écrivains que j'ai désignés comme "écrivains de la coïncidence" n'est autre que le New Yorkais Paul Auster (j'ai beaucoup parlé de lui dans les premiers mois de ce projet Heptalmanach). Alors l'idée m'est venue tout à coup de googliser "Auster + Lexington Avenue". L'avenue apparaît dans plusieurs ouvrages, mais singulièrement dans Seul dans le noir :


J'y retrouve mon année-fétiche, 1967, et deux autres occurrences du nombre sept : "Miriam qui avait alors sept ans", "mais Betty avait sept ans de plus que moi."
Il se trouve aussi que Le Musée des Merveilles est le septième long métrage de Todd Haynes.

1 commentaire:

sylvie Durbec a dit…

Toujours aussi surprise et enthousiaste de ces hasards objectifs... qui relient, nous relient les uns aux lieux et aux personnes...je travaille depuis quelque temps sur le cabinet de curiosité et je vais en exposer au printemps deux ou trois...Et ce film m'a considérablement émue, touchée. Merci!