lundi 28 octobre 2013

Ignoble galetas

Parfois un mot vous arrête, un de ces mots qu'on n'emploie jamais dans la conversation de tous les jours, un mot qu'on a croisé un jour dans une lecture et qu'on a gardé dans un petit coin de son cerveau, et puis voilà qu'il resurgit alors que vous vous échinez sur une petite prose, en l'occurrence c'était pour la fiction brève du dimanche 20 octobre, où mon personnage, Hélène Deville, à forte tendance anarchiste et fauchée comme les blés, souffrait de maux de reins que j'imputais au galetas sur lequel elle dormait. Galetas, voilà le mot qui m'était venu à l'esprit, et dont le sens pour moi était celui d'un mauvais lit, d'une paillasse. Et puis j'ai eu un doute, et j'ai vérifié. Point besoin sur le net d'ouvrir un dictionnaire, je trouvai rapidement la définition sur l'excellent site du CNRTL :

ARCHIT. Logement situé directement sous les toits et éclairé par une lucarne ou par un châssis à tabatière :
... le charme de ce lieu lui venait de sa fenêtre (...). J'avais obtenu qu'on me fît tapisser ce galetas, − d'un papier chamois rosé qui y est encore; − qu'on m'y plaçât des étagères, des vitrines. J'y installais mes papillons ... Loti, Rom. enf.,1890, p. 112.
P. ext. Logement misérable, sordide et manquant de confort. Synon. taudis.Il n'avait pas éprouvé, dans la loge de Nana, au milieu de ce luxe de tentures et de glaces, l'âcre excitation de la misère honteuse de ce galetas, plein de l'abandon des deux femmes (Zola, Nana,1880, p. 1224).
Le galetas n'est donc pas un pieu de misère, mais un taudis. Je me le tins pour dit. J'appris aussi incidemment que ce nom tenait son origine du nom de la tour Galata, dressée à plus de 100 m de hauteur au point culminant de Constantinople (les footeux feront la connexion avec le fameux club du Galatasaray).

Et puis voici que dans le livre que je lisais alors, Faillir être flingué, de Céline Minard, je retrouvai le même jour mon galetas dans la phrase suivante, page 75 :

"Sally eut un petit rire et tira une bouffée avant d'indiquer à Zébulon l'emplacement des tentes où Nils Antulle proposait des nuitées à quiconque était en mesure d'allonger cinquante cents et de dormir sur un galetas parmi les ronflements et les pets."
Céline Minard emploie donc le mot galetas dans le sens de lit, comme j'avais failli le faire un peu plus tôt. Mais elle, elle n'a pas vérifié, ce qui est presque étonnant de la part d'un écrivain aussi soucieux de la langue. Je ne lui jette pas la pierre, attention, tous les écrivains, même les plus grands, laissent passer des erreurs (je me souviens comment Léautaud, dans son Journal, se plaisait à épingler Flaubert). Ce roman, en forme de western poétique, recèle trop de beautés pour que cette simple remarque ait valeur de jugement. Par ailleurs, je trouvai amusant que cette coïncidence sur le mot galetas se redouble d'une coïncidence de prénoms : dans la phrase incriminée apparaît en effet le personnage de Nils Antulle, alors que l'auteur de la fiction brève n'est autre que mon double anagrammatique, Nil Pétarbrock.

Ce n'est pas fini. Jamais deux sans trois. Après Céline Minard, je me plonge dans Ceux de 14, la réédition de l'oeuvre majeure de Maurice Genevoix sur la Grande Guerre, qu'il a vécu dans sa chair jusqu'à sa triple blessure le 25 avril 1915 dans la tranchée de Calonne. Page 41, il note à la date du mercredi 26 août 1914 :
"Je suis entré au fond d'une cour dans un ignoble galetas. Sommeil entrecoupé. La porte bat toute la nuit. Chaque fois que j'ouvre les yeux, j'aperçois, à la lueur d'une lampe fumeuse, des yeux caves sous des visières de képis. A côté de moi, dans une alcôve pareille, un malade, torturé par une crise aiguë de rhumatisme, geint et crie."
Le mot galetas est ici bien employé dans son sens propre de logement sordide et non de plumard. En ce sens, ignoble galetas serait presque un pléonasme.

Maintenant je me demande pourquoi ce sens de mauvais lit affecté spontanément au galetas, chez Cécile Minard comme pour moi. Le lit, après tout, n'est-il pas le meuble le plus important d'une chambre ? A chambre infâme, lit infâme en général. La partie résume le tout, d'où peut-être le déplacement synecdotique du sens. Et peut-être aussi l'attraction du mot galette, comme étendue plate, plus adaptée à la notion de lit qu'au volume d'une pièce. Associé à ce suffixe -as, souvent dépréciatif ("Le suff. -as a été aussi senti comme le pendant masc. du suff. péj. -asse s'accolant à des adj." nous dit le CNRTL), le galetas peut en effet faire penser à une mauvaise galette, à une couche honteuse, à un matelas douteux, oui matelas, mot bien proche phonétiquement aussi, de matelas à galetas, il n'y a qu'un pas.

Un souvenir me revient. En 1978, alors que je venais juste de réussir le concours d'entrée à l’École normale, mon ami Babar m'accueillit dans son galetas, situé au-dessus d'un défunt sex-shop rue Jean-Jacques Rousseau. Je couchai là plusieurs nuits sur des coussins de tracteur. Les deux sens du mot, le vrai et l'inventé, se trouvaient réunis.




Aucun commentaire: