Les camarades canards sont toujours là. J'ai bien aimé celui-ci : pendant que ses petits copains fouillaient dans la vase pour becter, il demeurait impassible, le col bien droit, sans doute un canard philosophe observant les hommes observant les canards.
Sur le déversoir, un pêcheur, profitant des basses eaux de ce mois de septembre, avait installé ses gaules, et ses deux gros chiens somnolaient l'un contre l'autre sur ce petit espace sec entre les eaux.
En général, cette petite pause se termine par un petit café chez Aline, le bar au bout de la Rue Grande, un endroit rare dont je reparlerai quelque jour. C'est en chemin que je la vis, non pas Aline, mais elle, la randonneuse, le pèlerin de Saint-Jacques que j'avais rencontré hier, en faisant mon footing dans la forêt. C'était juste avant Notre-Dame du Chêne, elle m'arrêta pour me demander la route de Velles, me montrant son guide et sa carte. Je la remis donc dans le bon sens car au lieu d'aller à Velles, elle remontait droit au nord vers Châteauroux. Elle était étrangère manifestement, elle portait au cou une petite médaille avec la coquille Saint-Jacques.
Et voilà, c'était encore elle, à Argenton, je la reconnus, et j'engageai la conversation. C'était si improbable de se retrouver tous les deux, un jour plus tard ; il eût suffi que je m'attarde encore quelques minutes au bord de la Creuse pour que cette rencontre n'eut pas lieu. Elle allait maintenant vers Gargilesse et je lui indiquai une nouvelle fois la route à prendre. Alors qu'elle s'éloignait, je pensai tout à coup que j'aurai pu lui demander son nom, sa nationalité, et puis la photographier, j'avais mon appareil dans la poche, mais je n'ai pas eu le cœur de la rattraper, et j'ai pris cette photo d'elle disparaissant dans la rue.
Ce qui rend cette coïncidence si troublante, c'est le lieu même de la rencontre, au coin de la rue de l'Abreuvoir et de la rue d'Orjon. Car, à cet endroit précis, se trouve une montjoie, dont j'ai d'ailleurs déjà parlé dans une chronique du Nomade le 25 mars 2011 :
"Sur l'itinéraire qui mène à Argenton sur les rives de la Creuse, à l'angle de la rue de l'Abreuvoir et la rue d'Orjon, on peut voir une belle montjoie. Surmontée d'une coquille Saint-Jacques, elle devait indiquer le chemin du pèlerinage vers Compostelle, Argenton étant l'une des étapes de la via Lemovicensis, celle qui venait de Vézelay et traversait le Limousin."
L'attracteur étrange s'était-il réveillé ? Que voulait donc me signifier cette rencontre que je ne pouvais interpréter que comme un signe ? Fallait-il moi aussi me mettre en route ? Pour quelle destination ? Quel pèlerinage ?
Pour parfaire la constellation symbolique, il y eut ce même jour le poème de Cécile Reims, lors de la visite guidée de l'exposition de la médiathèque, Eloge de la caresse, par l'artiste elle-même, Elisabeth Raphaël.
Or, dans la chronique du 25 mars 2011, l'extrait littéraire choisi (il y avait chaque jour un extrait différent) était de Fred Deux, le mari de Cécile Reims :
Quatre dessins remuent en moi et me poussent aux extrêmes :
abandonner le crayon et regarder les nuages.
En cette période de l'année, les nuages sont gros, ventrus, laids.
Ils n'entraînent aucun désir et sont sans question.
Je pourrais sortir la chienne, mais je suis rongé de douleurs et le courage
qui m'a si souvent poussé à reprendre le crayon m'a quitté et me laisse seul dans l'atelier vide où j'entends les vaches aller à l'abattoir.
Fred Deux, Fred Deux au XXIème siècle, Alain Margaron éditeur, 2010 p.10.
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