A E. à qui cet article doit tout, ou presque
Soixante-quatre ans. C'est l'âge que j'atteins en ce 28 novembre 2024. 64, le nombre de cases d'un échiquier, le nombre d'hexagrammes du Yi King, deux, comment les qualifier ? deux formes, figures, aventures, artefacts, je ne sais, qui m'ont accompagné quelque temps avec ferveur. C'est à Bourges que je passe ce seuil, magnifiquement reçu, choyé. Appels, messages, merci mes enfants, mes ami(e)s, c'est par vous que j'éprouve la bonté, la beauté de la vie, malgré l'horreur du temps présent.
Dans l'après-midi, la flânerie dans les rues de la vieille cité ne peut manquer de faire une pause à la belle librairie Bifurcations. Quelques livres retiennent mon attention (euphémisme), et j'ai failli emporter (mais il fallait bien se restreindre tout de même) ce petit volume de Francesca Pollock, Mon Pollock de père, chez Verdier poche. Son père, non pas Jackson Pollock mais Charles Pollock, peintre lui aussi, mort à l'âge de 85 ans, à Paris où il vivait depuis 1971.
J'ai regretté plus tard de ne pas l'avoir chargé dans ma besace. On va voir pourquoi.
Au soir, E. me propose deux films en DVD. A moi de faire mon choix. Le dernier Jim Jarmush, The Dead Don’t Die, que j'ai déjà vu au cinéma à sa sortie (j'adore Jarmush, mais ce n'est pas son meilleur, loin de là) et Pollock, de Ed Harris (2000). Biopic du peintre, interprété par Ed Harris lui-même. Va donc pour celui-ci (aucun rapport a priori avec le livre susmentionné, E. avait préparé son coup bien avant la petite virée en ville).
Je lus plus tard sur Wikipedia que "depuis que son père lui avait offert un livre sur Pollock en raison d'une forte ressemblance physique, Ed Harris avait nourri une fascination pour l'artiste." Il aurait travaillé plus de dix ans sur ce projet de film, apprenant lui-même à peindre avec les techniques utilisées par Pollock, si bien qu'on le voit réaliser des oeuvres en dripping de façon tout à fait convaincante. Le film saisit l'artiste au moment de sa rencontre avec Lee Krasner (très bien interprétée par Marcia Gay Harden, qui obtint l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour ce film). Le film rend justice à cette femme, peintre de grand talent également, qui comprit très vite le génie de cet homme tourmenté, et ne cessa pas de créer les conditions favorables à son épanouissement, le protégeant de ses démons, l'alcoolisme au premier chef, sans y réussir pleinement (elle le quitte en 1956, et entreprend un voyage en Europe, pendant lequel il se tue en voiture sous l'emprise de l'alcool).
Bref, un film qui, malgré son académisme, m'intéresse beaucoup. Mais il va encore plus m'intéresser quand je vois soudain apparaître sur l'écran cette date : 28 novembre 1950. Nous sommes dans la seconde partie du film, dans un plan qui en reprend le plan d'ouverture : celui d'une femme se glissant à travers la foule, avec son magazine de Life à dédicacer (le numéro qui allait rendre Pollock célèbre), plan s'achevant sur le regard brillant du peintre.
Je reviendrai plus tard faire cette capture d'écran. Je n'en reviens pas : je prise les hasards objectifs, mais là c'est très fort : le jour-même de mon anniversaire, voici la date qui s'inscrit sur l'écran devant moi, dix ans jour pour jour avant ma propre venue sur Terre. Je vérifie ensuite sur le net : cette date est bien celle de l'ouverture de l'exposition. En 2018, la maison Christie's mettait en vente, un petit
tableau de Jackson Pollock, 22 x 22 pouces environ, dont l’estimé était de
10 millions de livres, près de 17 500 000,00 $ can (le prix fait rêver quand on voit les difficiles conditions matérielles que Pollock a connues le plus clair de sa vie). La revue Parcours commentait ainsi :
Cette œuvre de 1950, faisait partie de la troisième exposition de l’artiste à la Betty Parsons Gallery, à New York, qui a ouvert ses portes le 28 novembre 1950 (la galerie a fermé ses portes en 1981). Tenue par Betty Parsons, elle-même artiste, cette galerie a été l’une des pionnières dans la promotion de l’expressionnisme abstrait américain. Numéro 21, était l’une de treize œuvres du même format présenté à cette exposition. Toutes avaient été peintes sur l’envers d’un panneau de « Masonite » qui lui avait été donné par son frère aîné, un sérigraphe commercial. Ces panneaux étaient les restes d’une commande qu’il avait eu pour un club de baseball en 1948. (C'est moi qui souligne)
Jackson Pollock, à la Galerie Parsons en 1951. |
Mais pourquoi Ed Harris choisit-il précisément cette date pour insérer ce plan qui ne correspond pas à l'une des anecdotes célèbres qui ont émaillé la vie de Pollock ? Il suffit de consulter sa propre biographie : Edward Allen Harris est né dans le New Jersey, à Englewood, le . Le jour même de l'exposition à la Betty Parsons Gallery...
Dix ans jour pour jour me séparent donc de Ed Harris...
Deux autres détails pour finir.
1/Pollock apparaît deux fois sur Alluvions. Une première fois en 2019, dans une citation, mais c'est anecdotique ; une seconde fois le 15 décembre 2022 dans Le Métier de vivre, article qui, comme son titre l'indique, tourne autour de la figure de Cesare Pavese. Or, la date du 28 novembre est liée de près à Jackson Pollock. Capture d'écran :
2/ Je vais aujourd'hui sur le site des éditions Verdier à la page de Mon Pollock de père. Un extrait du livre est offert. Capture d'écran again :
Vous avez bien lu : "Mon père avait soixante-quatre ans lorsque je suis née"
Mon âge aujourd'hui.
Édition originale |