Bon. J'en ai fini, semble-t-il (on ne sait jamais), avec les Adorations des Rois mages, avec Botticelli, Lippi, Vinci, Bosch et Bruegel, avec Épiphanie et Eucharistie, Joseph, Vierge et Enfant, Melchior et Balthazar, et le roi noir, des Maures ou d’Éthiopie, ledit Gaspard. Enfin non, pas tout à fait. Gaspard, c'est l'Attracteur étrange, qui se glisse en loucedé là où vous ne l'attendez pas. Et je ne l’attendais pas en allant voir le dernier film de Cédric Klapisch, La venue de l'avenir. Même si j’attendais sourdement qu'arrive quelque chose, car les deux derniers films de Klapisch que j'avais vus (Deux Moi et En corps)avaient résonné de belle manière avec les thèmes qui m'occupaient au même moment (mais de cela, vous ne trouverez pas trace ici, car ces rencontres sont uniquement relatées dans La neige ne guérit pas de sa blancheur, le livre consacré à ma petite sœur disparue, et qui reste inédit à ce jour*).
La venue de l'avenir jongle entre deux temps distincts, le nôtre et 1895, la fin du XIXe siècle. Adèle (Suzanne Lindon), quitte sa Normandie natale pour rejoindre sa mère à Paris, sa mère qui l'a abandonnée aux bons soins de la grand-mère. Sur une charrette, elle rejoint la gare au pas lent des chevaux. Des hommes travaillent, c'est l'été lumineux, dans les champs environnants, et elle appelle l'un d'eux: Gaspard ! Gaspard ! Et un jeune, son amoureux, accourt vers l'équipage. Ils promettent de s'écrire même si aucun d'entre eux ne sait lire et écrire. Gaspard. Ce freluquet blond ne ressemble en rien au roi noir mais le nom seul suffit à la rêverie.
Ce n'est pas au tout début du film. Au tout début, il y a le musée de l'Orangerie, et les Nymphéas de Claude Monet, avec une séance de shooting de mode menée par l'un des descendants d'Adèle, un jeune photographe qui vit avec son grand-père. Les Nymphéas qui seront aussi à la fin du film, bouclant la boucle.
La peinture encore, oui, pas celle de la Renaissance mais celle qui naît en cette fin de XIXe siècle, où la photographie et le cinéma menacent, selon certains, son existence même. Se rappelle alors à moi ce livre lu en septembre 2024, Le syndrome de l'Orangerie, de Grégoire Bouillier. Passionnant. J'avais eu envie d'en parler ici, je n'en ai rien fait. C'est peut-être le moment. En tout cas, je n'ai pu m'empêcher de le feuilleter à nouveau, d'en relire quelques passages. Dont celui de La Japonaise.
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Claude Monet, La Japonaise (1876), huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Boston. |
La toile représente Camille Doncieux, la première épouse de Monet, en costume japonais. Je ne connaissais pas ce tableau, et je ne dois pas être le seul, il détonne par rapport à ce que l'on connaît de Monet. Ce qui intrigue Bouillier par dessus tout, c'est le démon au beau milieu du tableau, peint sur le kimono rouge : "Une espèce d'anomalie picturale, à la fois énigmatique et déconcertante : telle était la figure du démon à cet endroit du corps de Camille. Ce que Daniel Arasse appelait un détail - dettaglio. Soit un détail qui, dans l'économie générale d'un tableau, "fait écart et trouble le spectateur par des traits mystérieux, voire incompréhensibles." Détail qui, au sein d'une œuvre, percute le sens qui semble être le sien. L'emmène là où elle n'est pas censée aller. En donne la clé secrète, la clé véritable, celle qui permet de comprendre ce que l'artiste a voulu exprimer. De voir l'image qu'il a cachée dans l'image. Sa bête dans sa jungle."(p. 392)
Et voilà, on n'a pas mis longtemps à pénétrer dans le cœur du sujet. En même temps que l'on retrouvait incidemment Daniel Arasse, avec qui nous avons cheminé autour de Léonard. Grégoire Bouillier fit ici référence à son essai sur le détail (que je n'ai pas lu).
J'avais lu Le syndrome de l'Orangerie alors même que je n'avais pas terminé son livre précédent, l'énorme Le cœur ne cède pas, dont j'avais parlé brièvement dans La dame au gant bleu, en mars 2024. Je me cite :
"En août 1985, à Paris, une femme du nom de Marcelle Pichon s’est laissée mourir de faim chez elle pendant quarante-cinq jours en tenant le journal de son agonie. Cadavre découvert seulement dix mois plus tard. Fait divers entendu à la radio par Grégoire Bouillier. Jamais oublié. Et voilà qu'en 2018, le hasard le remet sur la piste de cette femme. Dès lors, d'elle, de Marcelle Pichon, il veut tout savoir, tout comprendre. Ça donne ce monstre littéraire, et puis un site. Même nom, Le coeur ne cède pas. Regardez bien la page d'accueil, vous comprendrez sûrement pourquoi j'ai été si vite fasciné moi aussi." **
Seulement voilà, embarqué sur d'autres pistes, j'ai délaissé cette lecture, me promettant seulement de m'y remettre un jour. Eh bien ce jour est arrivé. Le Klapisch, indirectement, a relancé mon intérêt et je suis à nouveau plongé dans Le coeur ne cède pas. Où j'ai retrouvé une autre mention de Daniel Arasse, une citation épigraphe page 347, extraite du l'essai sur le Détail : "Dieu est dans les détails." Expression qui remonterait à la formule anglaise "God is in the details", attribuée le plus souvent à l'architecte Ludwig Mies Van der Rohe ou à l'historien d'art Aby Warburg. On trouve tout aussi fréquemment la variante "Le diable est dans les détails."
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* Ce n'est pas tout à fait vrai : je m'aperçois a posteriori que j'ai parlé de Deux Moi dans cet article, Another woman, du 31 mars 2022.
** Voir aussi le podcast sur France Culture.
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