mercredi 2 juillet 2025

Adoration sous la neige


Il neige.
Sous les flocons la porte
Ouvre enfin au jardin
De plus que le monde.

Yves Bonnefoy, Début et fin de la neige.


Attardons-nous un instant sur cette magnifique miniature des Très Riches Heures du duc de Berry, présente dans le dernier article. Voyons-la dans son entièreté :

 

La notice Wikipedia rapporte que "Des scènes hivernales ont été représentées dans d'autres livres enluminés de l'époque, notamment une miniature dans un manuscrit du Décaméron (vers 1414)[ms 18] et une autre dans un manuscrit du Miroir Historial de Vincent de Beauvais (vers 1410)[ms 19], toutes deux attribuées au Maître de la Cité des dames mais celle des Très Riches Heures reste la plus élaborée. " 

Elle ajoute que "Selon Erwin Panofsky, il s'agit là du « premier paysage de neige de l'histoire de la peinture ». Peint donc entre 1411 et 1416 (inachevé à la mort des trois frères de Limbourg et de leur commanditaire en 1416, le manuscrit est probablement complété, dans certaines miniatures du calendrier, par un peintre anonyme dans les années 1440, puis achevé en 1485-1486 dans son état actuel par le peintre Jean Colombe pour le compte du duc de Savoie).

Un siècle et demi plus tard, Pieter Bruegel représente lui aussi un paysage hivernal, avec cette autre Adoration des mages dite sous la neige, dernière œuvre commentée par Christian Jamet dans Célébration de l'offrande

 

Ce tableau est extraordinaire en ce qu'il relègue tout d'abord la scène de l'Adoration des mages sur le côté gauche. Alors que l’œil du spectateur est naturellement conduit vers le fond, en direction de l'arche ruinée, il faut se dérouter pour apercevoir, sous la toiture percée de l'étable, la Vierge et l'Enfant, deux mages prosternés et le troisième encore en attente. Rien ne les distingue vraiment de la foule alentour, nul présent visible, nulle étoffe luxueuse.

 

"Ce que Bruegel entend représenter, écrit Christian Jamet, c'est la manifestation discrète de la présence de Dieu parmi les hommes, à travers son Fils, dans la réalité quotidienne. [...] Renonçant aux détails exotiques et au faste habituel des représentations de la visite des mages, il accentue, par un décor modeste, l'humanité de l'Enfant Dieu, venu au monde parmi les humbles."

Le tableau est évoqué aussi dans la très riche biographie de Bruegel par Leen Huet (CFC, 2022). Qui précise que ce panneau séduira tellement qu'il sera son tableau le plus copié. Trente-six versions en ont été conservées, dont la plupart de la main de Pieter Bruegel le Jeune. La version donnée dans l'ouvrage  diffère de celle que j'ai insérée plus haut.

 

Elle est plus anodine à mon sens, beaucoup moins saisissante, mais plus lisible aussi, laissant mieux apercevoir le détail dans sa minutie.

 

Ainsi peut-on voir distinctement que Melchior porte la même robe rose à mantelet d'hermine que sur l'Adoration de 1564. Ce qui n'est pas le cas de Balthazar ni de Gaspard. En revanche, celui-ci porte un cadeau muni, semble-t-il, d'une chaînette, qui s'apparente nettement à celui de la National Gallery. Derrière lui, un page noir rappelle l'Adoration de Bosch.

Ce qui rend le tableau vraiment unique, dans la version de 1567 conservée à Winterthur, en Suisse, c'est la chute de neige, le tourbillon des flocons blancs ( Leen Huet parle de "tournoiement impressionniste") qui nous redonne toute la nostalgie de l'enfance, quand nous admirions la chute soudaine, longtemps désirée, de cette neige qui engloutit le paysage, l'assourdit et le transforme en paradis de jeux. Événements de plus en plus rares en nos hivers contemporains. 

Enfance que Bruegel n'oublie jamais : ce mioche qui pousse avec ses bâtons son traîneau sur l'étang glacé, sur la droite du tableau, c'est l'expression même de la joie.


 

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