vendredi 24 juin 2016

De Raymond Calbuth à l'homo juridicus

Je voulais parler de Sollers, mais ce sera pour une prochaine fois, car le tempo des coïncidences s'est un peu emballé, l'attracteur étrange s'est mis à tourner sur un régime supérieur, et il va me falloir au moins deux billets pour rendre compte du phénomène.
Celui-ci portera sur Tronchet.
Les lecteurs attentifs se rappelleront que la seconde vente aux enchères du reliquaire de Vivant Denon s'est déroulée le lundi 13 mars 1865, 7 rue Tronchet, à l'hôtel Pourtalès.
En ce qui me concerne, le seul Tronchet que je connaissais jusque-là, c'était le dessinateur du célèbre Raymond Calbuth, inaltérable héros de notre temps.

Je me doutais bien que, nonobstant l'immense portée culturelle d'une telle œuvre, la Mairie de Paris n'était pas allée encore jusqu'à honorer ledit Tronchet d'une rue à son nom. L'autre Tronchet me restait donc inconnu, et je dois dire que cela ne me posait pas de problème de conscience particulier.

Mais, hier soir, donc quelques heures seulement après publication de l'article, voici qu'une newsletter de Télérama me propose une sélection de livres pour l'été (certaines personnes ne semblant lire qu'en été, il convient de les conseiller en lourds pavés capables de résister aux sables abrasifs de la plage).
Et je découvre alors une biographie d'un certain François-Denis Tronchet, par Philippe Tessier.


La robe de ce Tronchet n'est pas précisément la robe de chambre de Raymond Calbuth : "Historien et avocat, ­écrit Gilles Heuré, Philippe Tessier s'est plongé dans des archives inédites pour sortir cet homme de l'ombre. Bâtonnier du barreau de Paris, membre de la Constituante, sénateur, spécialiste du droit successoral, Tronchet est parvenu à sortir sans encombre de la Terreur, même après avoir été l'avocat de Louis XVI.

 Oui, François-Denis Tronchet (1726- 1806) a défendu Louis XVI et il fallait un certain courage pour ça. D'ailleurs, il fut un moment inquiété, le Comité de Sûreté générale ayant lancé un avis de recherche contre lui, l'obligeant à entrer en clandestinité. Cela ne dura guère, et il eut ensuite une carrière prestigieuse, participant par exemple à la rédaction du Code Civil napoléonien. On le jugea même digne du Panthéon, où ses cendres furent transférées en 1806. Selon Gilles Heuré, "il incarna la prééminence des grands principes juridiques sur la violence politique. Une qualité que Bonaparte, qui goûtait peu les arguties juridiques, sut lui reconnaître."

Tronchet fut honoré par une statue à l'Hôtel de Ville, rue de Rivoli dans le pavillon en retour d'angle de la façade principale au 2e étage. Sculpture signée Vital Gabriel Dubray.

Source

Et il y a donc cette rue à son nom, pas n'importe laquelle, puisqu'elle est située derrière la Madeleine dans le prolongement de la rue Royale, non loin - et ce n'est sans doute pas un hasard -  de la chapelle expiatoire, 29, rue Pasquier, à la mémoire de Louis XVI et Marie-Antoinette.

(Juste en passant, notons que, de retour de Majorque et de Nohant, Frédéric Chopin séjourna 5, rue Tronchet, d'octobre 1839 à novembre 1841.)

Cette coïncidence autour de Tronchet n'est pas qu'un simple remous d'écume, elle s'enlève sur le fond d'une préoccupation assez nouvelle pour moi, à savoir un intérêt pour le Droit. Jusqu'ici c'est un domaine qui ne m'avait aucunement  retenu, comme Bonaparte, semble-t-il, je n'y voyais qu'arguties, ennuis, procédures. Or, après avoir découvert en vidéo le juriste Alain Supiot,




(à la suite d'une navigation internautique compliquée mais dont l'origine, il convient de le noter, est cet Arnauld Le Brusq découvert à Noz), j'ai commencé la lecture de son livre, Homo juridicus, Essai sur la fonction anthropologique du Droit, (Seuil, 2005), qui est absolument passionnant (mais j'aurai, je pense, l'occasion d'en reparler).








2 commentaires:

Francis Paul Charles a dit…

Mon cher Patrick,

Je te remercie de m’avoir indiqué les nouvelles livraisons sur ton « Blog ». Je constate que tu es parti un peu sur mes terres : Bien sûr que je connais la rue Tronchet et même tout le quartier pour des raisons que tu vas facilement comprendre. C’est un quartier de théâtres, une des promenades d’André Degaine (la 4ème, je viens de vérifier), c’est même avec le kiosque de la Madeleine la possibilité du théâtre à meilleur marché (même si j’utilise davantage son compère de Montparnasse), au théâtre de la Madeleine au temps Dessailly-Valère, je me souviens de « Siegfried » et d’ « Amphitryon 38» de Jean-Gi... C’est aussi Boulevard Malesherbes que j’ai pris mon premier bain dans une baignoire, chez ma marraine, je devais avoir 10 ans et dans mon Marais on se lavait sur l’évier de la cuisine et aux douches municipales…C’est Boulevard des Capucines où j’allais, car « j’aime le music-hall » à l’Olympia, il y avait des spectacles et surtout des chansons et pas encore des « concerts de musicos » jaloux de ceux de l’Opéra. Au bout de la rue Tronchet c’était Noël au Printemps …et aux Galeries ; les vitrines, les lumières, quand Paris n’avait pas encore été « éteinte en simulacre » (Nougaro). Mes cavernes d’Ali baba c’étaient plutôt le « Bazar de l’Hôtel de Ville » ou la « Samar », mais pour les Fêtes de Noël le boulevard Haussmann était incontournable comme ne le disaient pas encore les guides pour asiatiques argentés. Un peu plus haut, quelques centaines de pas au nord et c’est la gare saint Lazare. « Ce monument dégueulasse – la serre des banlieusards -… », c’est selon le style des exercices de Queneau dans l’omnibus Panthéon-Courcelles -. Pour moi c’était le terminus du 29 - Saint Lazare – Porte Montempoivre - qui à la fin des cours et d’un dernier verre Place Clichy me ramenait chez moi… Saint Lazare, la salle des pas perdus et les trains pour aller vers mes cousines de Normandie… Si je connais le quartier Madeleine - Saint Lazare ! J’aurais bien d’autres choses à dire pour le prouver mais je voulais aussi garder quelque temps pour te parler de ton cher reliquaire Vivant Denon. Si un jour, et d’ailleurs il n’y a pas de « si », il faut absolument qu’on organise çà, quand tu visiteras le Père Lachaise avec l’ami Pierre, en spécialiste du marketting il t’expliquera comment pour attirer les clients à perpétuité dans le cimetière parisien du nord on y transféra les restes plus ou moins authentiques de Molière et de La Fontaine… Les restes de Molière moins l’os de Châteauroux…
Suite à une visite sous la conduite de Pierre voici le courriel que j’avais envoyé aux amis participants à la ballade le 20 mars 2015…
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Amis de la culture bonjour,

Il y a quelque temps nous dissertions sur le fait de savoir si Vivant DENON devait être considéré comme un pilleur du tiers monde ou un sauveur de la culture commune à l’humanité.
Après l’Irak, la Syrie et le Bardo…
Aujourd’hui je suis Vivant Denon.

Restons « Vivant ».

Patrick Bléron a dit…

Merci, Cher Francis, pour toutes ces précisions et évocations.
Pour le coup, la perspective d'un périple au Père Lachaise en ta compagnie et celle de Pierre, sans oublier Dominique bien sûr, me séduit infiniment. D'autant plus que, je le répète ici, à ma grande honte, je ne suis jamais allé dans ce haut-lieu de la culture funéraire. Cette incuriosité, a posteriori, me consterne...
Quant à ta photo de la statue de Vivant Denon expédiée par mail, je pense que tu la retrouveras bientôt dans un futur billet.
Denon, pilleur/sauveur, les deux mon capitaine, indissolublement, selon l'époque et les circonstances, on en jugera différemment. Il fut en tout cas tout ce qu'un fanatique ne sera jamais.
Et puis jamais un fanatique ne conclurait un conte par ces mots :
"Je montai dans la voiture qui m'attendait. Je cherchai bien la morale de toute cette aventure, et... je n'en trouvai point." (Point de lendemain)
A très bientôt !