jeudi 2 mai 2013

Enigme dont on ne désespère pas de trouver le mot

Une longue éclipse, comme ce site en connaît régulièrement depuis qu'il est ouvert. Rien ici depuis le 13 février.
Il faut dire que j'ai déménagé. La maison occupée depuis dix ans vendue. Et pour l'instant, retour en appartement.
Déménager. Ceux qui l'ont vécu - et rares sans doute ceux qui n'ont pas vécu un tel événement - savent ce que cela implique. D'effort, de fatigue, de démarches, bon, je n'insiste pas. Bien installé maintenant, merci. La vie de l'esprit, qui n'a cessé de cheminer souterrainement tous ces jours passés, reprend ses aises. A vrai dire, depuis deux ou trois semaines, j'aurai pu écrire ici, mais je différais, et les notes s'accumulaient d'autant, et je ne savais plus par où commencer. Je ne sais toujours pas plus, mais j'y vais, je me lance, il faudra peut-être que je m'y reprenne à deux fois. On verra.
Je dois revenir en arrière, revenir à cette journée du mercredi 27 mars où nous avons signé la vente, avenue des Marins. Rien pu manger de la journée. Je suis passé une dernière fois à la maison, salué les voisins, mon boulanger, ma boulangère. Dans l'après-midi, en allant à l'Inspection académique pour une réunion, je suis passé rue Grande devant la librairie Arcanes et je n'ai pu résister au désir d'entrer. Et j'ai acheté deux livres : Le livre des brèves amours éternelles d'Andreï Makine et La puissance discrète du hasard de Denis Grozdanovitch.
Le premier m'avait été chaudement recommandé par Murielle Lucie-Clément, que j'ai rencontrée à la fin de l'Assemblée générale du Manteau d'Arlequin à Cluis. Docteur es lettres, écrivain, metteure en scène, elle vit maintenant dans la campagne cluisienne, et organise depuis quelques années des colloques internationaux autour de l’œuvre de Makine, dont elle est une exégète confirmée. Or, après quatre éditions à Amsterdam, voici qu'elle projette d'organiser un colloque à Cluis même, dont le thème est "Andreï Makine versus Gabriel Osmonde et les autres écrivains" (Gabriel Osmonde étant un double de Makine).
Je ne cache pas qu'il y avait quelque chose d'étonnant dans cette rencontre, la Russie, Amsterdam, l'Europe entière croisant à Cluis, cela me rendait rêveur et presque incrédule. De Makine, je n'avais même pas lu son prix Goncourt, seulement un tout petit livre en poche, mais qui avait finalement quelque chose de prémonitoire, Cette France qu'on oublie d'aimer. Je dis prémonitoire en ce sens que la France qu'il exalte dans ce court texte, c'est, comme l'écrivit Jacques Julliard dans le Nouvel Observateur, "une France des saveurs, des odeurs, des terroirs et de la sagesse."


Je n'avais pas plus lu le second auteur choisi ce mercredi-là : Denis Grozdanovitch, même si j'avais parcouru quelques textes ici et là, et que je  connaissais quelques détails de sa biographie, champion de tennis reconverti dans l'écriture. Mais le volume qui s'offrait à mes regards à travers la belle illustration de Sempé avait un titre qui m'allait droit au cœur : La puissance discrète du hasard. Et la quatrième de couverture, que je recopie ici paresseusement, acheva de me convaincre :
"Découvertes inattendues, rencontres singulières, coïncidences troublantes : au cours de nos vies, l'essentiel arrive souvent par hasard. Dans une promenade où se croisent les souvenirs familiaux, les exploits sportifs et un riche bagage littéraire, Denis Grozdanovitch nous invite à desserrer les contraintes d'un esprit trop rationnel. Depuis les prouesses au tennis de Roger Federer jusqu'aux présages dont semblent parfois porteurs les animaux - que ce soit dans nos rêves ou dans la réalité -, en passant par la réapparition d'objets que l'on croyait perdus, l'auteur sait mélanger la grande histoire et l'anecdote, le plus anodin et le plus profond.
Avec humour, il nous initie à ces curieux concepts que sont la sérendipité, art des trouvailles inopinées, l'happenstance, don d'être au bon endroit au bon moment, ou encore le lâcher-prise, secret de certains champions, grands scientifiques et autres joueurs d'échecs. Alliant l'impertinence du franc-tireur et les merveilles d'une libre érudition, il nous invite à d'autres raisons de vivre que celles que nous offre un monde stérilisé par la technique."
"Découvertes inattendues, rencontres singulières, coïncidences troublantes : au cours de nos vies, l'essentiel arrive souvent par hasard." Que fais-je ici, sinon traquer sans relâche les advenues de ce hasard ? Cette rencontre de livres, au cours de cette journée si importante de ma vie, allait être elle-même marquée par une coïncidence troublante, une coïncidence au carré dirais-je même, puisque c'est sur le fait même de la coïncidence que les textes coïncidèrent.


Incipit du livre de Makine, ouvert le soir-même : "Depuis ma jeunesse, le souvenir de cette coïncidence revient, à la fois insistant et évasif, telle une énigme dont on ne désespère pas de trouver le mot."

Nouvelle vue (du bureau)

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