mardi 20 février 2018

Jan III et la petite Marie

Bus 116 pour rejoindre de bon matin et sous un ciel bleu inespéré le quartier de Wilanów au sud de Varsovie. Une dizaine de kilomètres par de longues avenues rectilignes. Il est à peu près dix heures quand je descends à l'arrêt, j'ai donc à peu près deux heures devant moi pour visiter le palais du roi Jan III Sobieski, héros national polonais pour avoir notamment vaincu les Turcs à Vienne en 1683. Je n'ai pas appris ça sur place, je ne fais que recopier la notice de Wikipedia. Ah c'est bien la peine d'avoir fait tous ces kilomètres quand le renseignement était à portée de clic, dira-t-on fielleusement. Certes, mais si je n'étais pas allé là-bas jamais je n'eusse consulté ladite notice. Le voyage attise le désir de savoir, pas une ligne dans l'Histoire de France sur Jan III Sobieski (et pas grand chose sur la Pologne en général), et pourtant ce roi (qui fut élu, lui, et non advenu au pouvoir par l'hérédité) prit pour femme une française, Marie Casimire Louise de La Grange d'Arquien, née à Nevers le 28 juin 1641, fille d'Henri Albert de La Grange d'Arquien, issu de la moyenne noblesse du Nivernais, dixit Wiki, et de Françoise de La Châtre. Eh oui, de La Châtre, le monde est petit.

Portrait de la reine Marysieńka avec ses enfants, Jerzy Siemiginowski-Eleuter, 1684 (dans le fond, le buste de Jan III Sobieski)
Je lis aussi que dès l'âge de cinq ans, elle accompagne comme dame de compagnie Marie-Louise de Gonzague-Nevers, qui devient reine de Pologne en épousant successivement Ladislas IV et Jean II Casimir. Décidément, on aimait bien les Françaises à la Cour de Pologne. Jan Sobieski n'est d'ailleurs pas le premier mari de Marie Casimire, elle est d'abord mariée à un autre Jan, Jan Sobiepan Zamoyski, dont elle a quatre enfants, tous morts jeunes. Quand ce premier Jan meurt en 1665, elle peut alors épouser Sobieski le 5 juillet de la même année (ça n'a pas traîné). "Ils ont ensemble quatorze ou quinze enfants, dont seuls quatre survivent." Significatif cette incertitude sur le nombre d'enfants, et incroyable quand on y pense cette hécatombe de morts en bas âge, même dans ce milieu hautement favorisé de l'époque.  Marie Casimire est morte vingt ans après Jan (mort précisément à Wilanów), en 1716, à Blois, mais sa dépouille a ensuite été ramenée en Pologne pour être enterrée auprès de son époux dans la cathédrale du Wawel à Cracovie. Il faut dire que sa cote de popularité était forte, on la surnommait amicalement Marysieńka (Petite Marie).

Palais de Wilanów, 31 janvier 2018 (il n'y avait pas foule ce jour-là).
Bon, je ne pensais pas m'attarder si longtemps sur les premiers occupants du site, mais ce lien ancestral entre France et Pologne bien marqué par ces alliances nobiliaires me laisse rêveur quand on voit maintenant le peu de place que tient la langue française en Pologne. Au temps de Marie-Casimire, j'imagine qu'elle devait être très présente, or, ce 31 janvier, m'adressant aux gardiens du palais, je n'en trouvai pas un, à l'entrée, au vestiaire ou dans les salles, qui semblât posséder ne serait-ce que quelques rudiments. Il vaut mieux d'une façon générale, à Varsovie, maîtriser la langue de Shakespeare plutôt que celle de Molière.

Je ne vais pas vous faire la recension complète de la visite, ce serait bien fastidieux. Je ne parlerai là que de la porcelaine. Oui, cette fameuse porcelaine qui m'occupe si fort (devrais-je créer le hashtag #balancetaporcelaine ?) depuis la lecture du livre magnifique d'Edmund de Waal. J'en découvris toute une riche collection dans les premières salles de ce palais-musée, avec, en particulier, des pièces chinoises de grande valeur, comme ce Bouddha hilare.


Je repensai en déambulant devant ces vitrines (fort bien gardées - d'une manière générale, ce matin-là, il y avait plus de gardiens que de visiteurs, pratiquement un par salle), à toutes ces occurrences que j'avais relevées, du thème de la porcelaine dans le roman de Donna Tartt, Le Chardonneret, oui encore lui, pas moins de neuf, dont celle-ci, page 449 :

"Poser un pied dans l'entrée revenait à s'avancer sous le portail qui ramène à l'enfance : porcelaines chinoises, tableaux de paysages éclairés, lampes tamisées aux abat-jour de soie, tout était exactement comme quand Mr. Barbour m'avait ouvert la porte le soir où ma mère était morte." [C'est moi qui souligne]
Que la porcelaine arrive première dans cette description d'un lieu-phare pour le narrateur ne doit rien au hasard, on la retrouve un peu plus tard, comme signe symbolique majeur associé à son futur mariage avec Kitsey, la fille du couple Barbour :
"Des heures durant, nous avions arpenté d'un pas lourd le cinquième étage, avec une conseillère nuptiale à nos basques qui essayait tellement d'offrir un Service Parfait et de nous aider à arrêter nos choix que je n'ai pu m'empêcher de me sentir un tantinet harcelé ("un motif de porcelaine devait signifier "ce que nous sommes en tant que couple"... c'est une affirmation importante de votre style") [...]  La porcelaine... (la consultante nuptiale a passé un doigt manucuré de manière neutre sur le pourtour de l'assiette). J'aime que mes couples voient la belle argenterie, le cristal fin et la porcelaine fine comme le rituel de fin de journée. Du vin, des distractions, la famille, la convivialité. Un service de porcelaine fine est un moyen idéal d'injecter chaque jour du style et de l'idylle dans votre union." (pp. 514-515)
Et sans doute y eut-il aussi lors du mariage de Jan et de la petite Marie une semblable attention à la porcelaine. En tout cas, c'est bien ce qui se passa en janvier 1747, avec le mariage de Marie-Josèphe, la fille de Auguste III, roi de Pologne et électeur de Saxe, avec le fils unique de Louis XV. A cette occasion, les deux Cours firent assaut de cadeaux prestigieux : la cour de Saxe offrit la première des porcelaines de la manufacture de Meissen uniques en Europe, tandis qu'au printemps 1749 Marie-Josèphe envoya à son père un bouquet de porcelaine, le « Bouquet de la dauphine » qui "était, selon Julia Weber, moins le geste d’une fille pour son père que la réponse de la cour de France au cadeau de Dresde. Une réponse qui devait prouver la capacité de la manufacture de Vincennes à concurrencer Meissen" (créée seulement en 1740, elle avait bénéficié dès l'origine de la protection royale). "Le mariage entre la fille d’Auguste III et le fils de Louis XV, conclut Julia Weber, marque le départ d’une véritable compétition entre Meissen et Vincennes. Cette dernière s’exprime dans un échange non verbal, celui de cadeaux royaux. D’après le marquis d’Argenson, Louis XV gagna le dernier point, le 25 janvier 1754, il écrivit dans son journal : « On voit un beau service que Sa Majesté envoie au Roi Auguste de Saxe comme pour le braver ou l’insulter lui disant qu’on a surpassé même sa fabrique ».

Il faut dire que ce roi Auguste III transpire la vanité par tous les pores. Je regrette de ne pas avoir photographié la porcelaine qui le représente de pied en cap (je ne parviens pas à en retrouver d'exemple sur le net), mais dans plusieurs tableaux, on retrouve son air infatué :



Sur les pièces, il n'est pas mal non plus.

Notons tout de même que par sa fille Marie-Josèphe dont il était question précédemment, il était le grand-père des rois de France Louis XVI, Louis XVIII et Charles X.
Dernière curiosité, le maréchal de France Maurice de Saxe (1696-1750) est son demi-frère adultérin. Or, Maurice de Saxe n'est autre que l'arrière-grand-père d'Aurore Dupin (1804–1876), autrement dit George Sand, par sa fille naturelle Marie-Aurore de Saxe.

1 commentaire:

Nunki Bartt a dit…

Jan III sobiesky est une marque de cigarettes très prisée en Pologne, surtout par les plus vieux contrairement aux"mars"que fume la jeunesse survitaminee. C'est un peu la "marquise" marocaine contre la "casa sport".