Rêvez alors, en toute innocence, de quelque chose qui
rampe sur ce toit et tente de démêler les cordes des
drapeaux,
qui tente de hisser
le chiffon -
ce drapeau si froissé par le vent, enfumé par la cheminée
et blanchi par le soleil qu'il pourrait être à tout le monde.
Mais la route est encore longue jusqu'à Liepāja.
Tomas Tranströmer, Baltiques, Poésie/Gallimard, p. 199.
Je venais juste de poster l'article précédent, où il avait été question de l'île de Fårö en mer Baltique, lorsque je découvris la double page de l'Atlas de l'eau et des océans (Hors-série Le Monde/La Vie) consacrée précisément à la Baltique. Pour information, je ne lis cet atlas que dans ce que Peter Handke a nommé le Lieu Tranquille (motif de l'un de ses courts essais). La coïncidence était belle, mais je ne l'aurais peut-être pas rapporté avec ce détail si l'écrivain autrichien n'avait pas en quelque sorte donné ses lettres de noblesse à l'humble pièce où nous soulageons régulièrement nos entrailles, et puis je m'aperçois, en relisant pour le coup quelques-unes de ses pages, que le texte de Handke n'est pas lui-même sans lien avec le film de Bergman :
"Et je ne m'aperçois qu'à présent , longtemps après coup, que j'ai oublié de raconter ce qui fut la raison principale, la plus puissante, qui m'a poussé à écrire cet Essai sur le Lieu Tranquille : ces transitions, inopinées, du mutisme, des instants où j'étais frappé de mutisme, au retour de la parole et du langage - sans cesse vécus, et avec toujours plus de force dans le cours de ma vie, au moment où je refermais et verrouillais derrière moi la porte en question, seul avec le lieu et sa géométrie, loin des autres.
Dehors : devenir muet. Muet. Rester sans voix. Sans voix. Perdre le langage. Perte du langage. Rendu laconique par les mots et les paroles des autres, réduit par eux au silence - appauvri - sclérosé. Non seulement plus un mot ne passe les lèvres, mais, plus grave, ils n'agissent plus dans le coeur, le sang, les poumons où je ne sais où. Tout au plus, atone et inaudible, un :"Il faut que j'aille au petit coin !" (pp. 87-88)
Mais revenons à l'atlas : j'y apprends que la Baltique s'affirme de plus en plus comme un carrefour stratégique entre Europe, Asie et Arctique. Je lis aussi que "l'accumulation de tensions mineures a fini par former un climat géopolitique bouillonnant incitant la Suède à remilitariser l'île de Gotland." Gotland, l'île où Andreï Tarkovski a tourné Le Sacrifice.
L'île de Gotland qui n'est séparée de l'île de Fårö que par quelques minutes de bac. Bergman y débarqua pour la première fois en avril 1960 (l'année de ma naissance). Encore était-ce à contrecoeur : alors qu'il voulait tourner les extérieurs de son film Comme en un miroir dans les Orcades, en Écosse, ses producteurs, en quête d'économie, lui avait suggéré cette île plate, minuscule (102 km²), toute en lacs, rochers et récifs. Ce fut pour lui un vrai coup de foudre. En 1741, Carl von Linné l'avait précédé, mentionnant dans ses carnets un arbre séculaire, Ava eken (le chêne d'Ava) toujours visible dans la cour d'une ferme. Plus tard le cinéaste fit construire une maison, et c'est là qu'il mourut en 2007.
Je n'en avais pas terminé avec la Baltique. Sur Arte, le même soir, était programmé le premier volet d'un documentaire sur les rivages de la Baltique, du Danemark à la Lettonie. Les rives polonaises entraient donc dans ce périple. Je m'abandonnai à la vision de ces paysages magnifiques, falaises et longues plages de solitude, sursautant tout de même quand le commentaire évoqua l'isthme de Courlande, cette grande lagune terrain de chasse des pygargues à queue blanche. Courlande, c'était le titre du livre de Jean-Paul Kauffmann trouvé dans la boîte à livres du parc Balsan. Courlande, province de Lettonie, autrefois Grand-Duché, pays qui fut presque indépendant, occupé et interdit d'accès par les Soviétiques jusqu'en 1991, où Kauffmann part sur les traces d'un amour de jeunesse.
Kauffmann dont l'attirance pour les parages de la Baltique n'est plus à prouver : ici même, j'ai assez longuement évoqué un autre de ses livres, Outre-Terre, où il revient sur les traces de la bataille d'Eylau dans l'enclave de Kaliningrad, l'ancienne Königsberg.
Mais la route est encore longue jusqu'à Liepāja, écrit le grand poète suédois Tomas Trantrömer. Liepāja, port de Courlande, situé, écrit Kauffmann, sur une langue de sable entre la mer et un lac, à l'embouchure du fleuve Liepa. C'est de Liepāja que partirent la plupart des émigrants vers les Etats-Unis, les Juifs de Russie fuyant les pogroms, dont beaucoup se fixèrent à New York. C'est de Liepāja aussi que Blaise Cendrars s'embarqua en 1911 sur le Birma pour son premier voyage transatlantique.
J'ai adoré ce livre, comme tous ceux de Kauffmann que j'ai déjà lus. Chaque fois c'est une quête à laquelle nous sommes conviés, une recherche de traces le plus souvent vaine et peu spectaculaire mais malgré tout étrangement palpitante, entre humour et mélancolie, dans l'ombre portée des tragédies de l'histoire. A Varsovie, je n'avais jamais été aussi près de la Courlande, un train y menait peut-être, sans doute, en quelques heures.
Il n'en était pas question, j'avais une mission à remplir. Quand je m'éveillai le mercredi matin 1er février, le ciel était bleu, il me semblait ne pas en avoir vu un comme ça en janvier. J'avais eu des visions de Sibérie, mais j'étais en Provence (enfin pas celle de Pagnol, celle, plus âpre et venteuse, de Giono). Il me fallait me rendre dans le quartier de Wilanow, au sud de la ville. Le rendez-vous n'était qu'à 12 h 30, aussi m'avait-on conseillé la visite du palais Wilanow, la résidence d'été au 17e s. du roi Jean III Sobieski. Docilement je m’exécutai.
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