Jacques Roubaud, La Dissolution, éditions Nous 2008, p. 177
Fini les seaux, retour à Roubaud. Jacques Roubaud, le poète, le mathématicien, l'oulipien dont ce livre La Dissolution m'a tenu en haleine plusieurs mois. Tenu en haleine n'est sans doute l'expression qui conviendrait, car, à la vérité, nous sommes aux antipodes du pageturner et du thriller, et je ne conseillerais ce livre à personne... Roubaud n'est pas Musseaux... (Mais je ne conseillerais pas plus Musseaux, qui n'a d'ailleurs pas besoin que quiconque conseille ses livres). Dans ses cinq cents pages et quelques, malgré le déploiement chatoyant des couleurs et le jeu subtil des typographies, j'ai connu quelques traversées du désert, et, fort heureusement, une bonne poignée d'oasis (car je ne suis pas un masochiste de la lecture) qui compensent certains développements ennuyeux comme la pluie sur un rond-point de la zone industrielle déserté par les gilets jaunes. Que nous dit donc le dit Roubaud à l'amorce de ce chapitre 7 intitulé Dispositions et s'ouvrant donc sur le moment-paragraphe n°37 ? Eh bien, que "légèrement effrayé" par la longueur de la première section de la première partie, il s'est imposé, pour cette seconde section, "d'en plafonner le nombre de signes" (je mets en rouge car Roubaud met en rouge ce passage, obéissant à une contrainte dont je vous passe le détail), et subséquemment, de limiter au nombre exact de cent onze mille cent onze (111111) caractères - dont il précise qu'il "vaut trois fois trente sept mille trente sept, nombre dont l'intérêt numérologique est assez grand"(je passe au violet parce que, enfin vous avez compris).
J'ai relevé ça le 21 janvier dernier, et c'est aujourd'hui seulement que je viens à en rendre compte ici (j'ai pris du retard sur beaucoup de choses) ; évidemment vous vous doutez bien, rusés comme je vous connais, que cette observation ne vient pas seule : en effet, quelques jours plus tôt, le 16 janvier, Rémi Schulz publiait De la Pâque à Paco, article où il annonçait que deux romans découverts à peu près en même temps (Les Pâques du commissaire Ricciardi, de Maurice de Giovanni et Déviances, de Richard Montanari), concernent deux
années successives où le Vendredi saint tombe le 25 mars, "et en 2005, précise-t-il, j'ai composé le poème (11+11+11)(11+11+11), inspiré par ce fait et par un carmen quadratum
de Raban Maur illustrant par 4 croix de 69 lettres les 276 jours passés
par Jésus dans le giron de Marie, du 25 mars de l'Annonciation au 25
décembre."
J'ai déjà évoqué Raban Maur (v. 780 - 856) théologien, poète et homme de science germanique, dans un article du 8 juin 2017, 4/4/44, où je présentais du même coup les trouvailles de Rémi Schulz.
Et l'on n'en reste pas là puisque ce même 21 janvier, je me trouve à lire Cinquante choses à faire avant de mourir, transcription sur la revue Papiers n° 27, janvier-mars 2019, d'une émission de novembre 1981, où Jacques Bens et Nadine Vasseur recevaient Georges Perec, autre oulipien bien connu. L'écrivain y décrivait petits et grands projets qu'il aurait aimé réaliser avant de disparaître. De fait, il mourra quelques mois plus tard, le 3 mars 1982, sans avoir eu le temps de les mener à bien. Il finissait ainsi :
" - Enfin il y a deux choses qui sont impossibles aujourd'hui car elles impliquent des gens qui sont morts, mais qui auraient été possibles il n'y a pas si longtemps. J'aurais aimé me saouler avec Malcolm Lowry. J'aurais beaucoup aimé rencontrer Malcolm Lowry à Paris en 1955 ou 1957 et puis passer une nuit à bore avec lui, à parler avec lui, à raconter tous les trucs qu'il raconte dans sa vie.
- Et puis faire la connaissance de Vladimir Nabokov. Voilà. Je suis arrivé à 37. J'ai décidé qu'il y en aurait 37."
Il ne donne pas plus d'explication. 37 donc et non cinquante. 37 comme le 37 de Roubaud, le 37 de 3 x 37037.
Or, Rémi Schulz n'est pas l'homme d'un seul site, le fameux Quaternité que j'ai souvent cité, il a commis auparavant Perecqation, (titre qui sans ambiguïté montre sa filiation avec l'auteur de La Disparition) dont le dernier article remonte au 22 novembre 2018. C'est sur ce site que l'on est conduit si l'on clique plus haut sur (11+11+11)(11+11+11). Et de là, on ira sur 11 x (11 + 11) + 11. Titre et texte composé pour le catalogue d’une exposition de Jacques Poli en 1979 (repris in G. Perec, Beaux présents belles absentes, Paris 1994, p. 25-26). La contrainte principale fonctionne sur le procédé des ‘beaux présents’ qui consiste à n'employer que les lettres du nom du dédicataire (en l'occurrence, les 11 lettres de Jacques Poli). "Le titre, explique Rémi Schulz, est une opération à base de 11 dont le résultat est 253, correspondant au nombre de mots du texte, dont la dernière des 9 sections compte d’ailleurs 11 mots, conformément au programme énoncé dans le titre."
Perec s'était donné une autre contrainte : "Après les mots viennent les lettres, dont le comptage livre un total immédiatement significatif, soit 990 lettres de la série JACQUESPOLI plus deux ‘intruses’, X et T. Or 990 c’est 22 x (22 + 22) + 22, et il est évident que, s’il peut exister d’autres textes dont les lettres soient en relation algébrique avec les mots, celui-ci dont le titre même énonce cette relation est un cas bien particulier."Georges Perec |
Un peu plus loin dans le même article, Rémi Schulz s'interroge : "Onze et ses doubles ont-ils quelque importance par ailleurs dans l’oeuvre de Perec ? Que oui ! Nous devons à Bernard Magné[4] maints approfondissements sur les nombres de l’autobiotexte perecquien où 11 occupe une place prépondérante. Il y aurait notamment:
- 11 et 43, parce que la mère de Perec a disparu le 11 février 43, déportée vers Auschwitz.
- 7 et 3, surtout leurs combinaisons 73 et 37, parce que Perec est né le 7 mars 1936 (le 7.3).
- 24, parce que la famille Perec habitait à Paris 24 rue Vilin, dans le XXe."
[4] Le phare Magné à Toulouse, comme l’a surnommé Hugo Vernier. Multiples articles dont certains recueillis dans Perecollages, Toulouse 1993.
Nous voyons donc surgir le 37. Qui est aussi le nombre de chapitres de W ou le souvenir d'enfance. On commence à comprendre pourquoi Perec s'est arrêté à 37 dans la liste des choses à faire avant de mourir. Mais, comme l'écrit Rémi, "il n’est pas possible de s’arrêter là puisque la dernière section de 11 x (11 + 11) + 11 compte 11 mots et 37 lettres: Ou que le ciel jalouse l’oiseau à l’aile éclose. 37 lettres = Cécile* qui viennent donc après 22 x 11 mots évoquant la sainte Cécile le 22.11." Il faut savoir que Cécile est le prénom francisé de sa mère (Cyrla). Dans W, Perec écrit qu'il doit au prénom de sa mère "d’avoir pour ainsi dire toujours su que sainte Cécile est la patronne des musiciennes et que la cathédrale d’Albi -que je n'ai vue qu'en 1971- lui est consacrée."
- 11 et 43, parce que la mère de Perec a disparu le 11 février 43, déportée vers Auschwitz.
- 7 et 3, surtout leurs combinaisons 73 et 37, parce que Perec est né le 7 mars 1936 (le 7.3).
- 24, parce que la famille Perec habitait à Paris 24 rue Vilin, dans le XXe."
[4] Le phare Magné à Toulouse, comme l’a surnommé Hugo Vernier. Multiples articles dont certains recueillis dans Perecollages, Toulouse 1993.
Nous voyons donc surgir le 37. Qui est aussi le nombre de chapitres de W ou le souvenir d'enfance. On commence à comprendre pourquoi Perec s'est arrêté à 37 dans la liste des choses à faire avant de mourir. Mais, comme l'écrit Rémi, "il n’est pas possible de s’arrêter là puisque la dernière section de 11 x (11 + 11) + 11 compte 11 mots et 37 lettres: Ou que le ciel jalouse l’oiseau à l’aile éclose. 37 lettres = Cécile* qui viennent donc après 22 x 11 mots évoquant la sainte Cécile le 22.11." Il faut savoir que Cécile est le prénom francisé de sa mère (Cyrla). Dans W, Perec écrit qu'il doit au prénom de sa mère "d’avoir pour ainsi dire toujours su que sainte Cécile est la patronne des musiciennes et que la cathédrale d’Albi -que je n'ai vue qu'en 1971- lui est consacrée."
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* Cécile = 37, numérologiquement (A = 1 ; b = 2 ; c = 3...). Rémi Schulz encore : "La partition CEC = 11, ILE = 26, serait exactement homologue à la structure de W en 11 et 26 chapitres séparés par un (...); et la partie romancée prend un nouveau départ dans la seconde partie pour décrire l’île W." En note, il ajoute que "Perec a déclaré s’être trouvé bloqué dans l’écriture de W jusqu’à la découverte de cette structure. Auparavant, le projet prévoyait 3 fois 19 chapitres, les 19 du feuilleton originel, 19 de souvenirs, 19 d’intertexte... Peut-être ce 19 signifiait-il S, l’initiale de la compagne dont le lâchage l’avait douloureusement marqué."
1 commentaire:
Merci de citer mon étude sur les (11+11)x11+11 mots, mais déjà en 1997 je me gardais d'affirmer que ses (22+22)x22+22 lettres relevaient de la volonté de Perec, et j'ai depuis eu l'occasion d'accéder aux brouillons d'un autre poème de Perec offrant de formidables harmonies numériques, et de constater qu'elles n'étaient pas calculées.
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