Aujourd'hui, où je me décide à rédiger cet article sur les seaux que j'ai en tête depuis une quinzaine de jours, je songe que ce cadre campagnard n'est pas au fond très éloigné de celui qui a déclenché cette envie de revenir sur cet objet rustique que j'ai déjà abordé voici deux ans, en mai 2017, à travers L'enfance d'Ivan d'Andreï Tarkovski. En effet, j'ai découvert, encore une fois grâce à la plateforme Mubi, le cinéaste Jonas Mekas, récemment décédé le 23 janvier 2019. Après avoir visionné son premier film, en noir et blanc, Guns of the trees (1961), je suis passé à Reminiscences of a Journey to Lithuania (1972). Prisonniers dans un camp de travail allemand près de Hambourg, exilés de Lituanie, Jonas et son frère Adolfas étaient parvenus en Amérique en 1949. Ce n'est que 27 ans plus tard qu'ils purent revenir à Seminiskiai, leur village natal. "On y voit la vieille maison, raconte Mekas, ma mère (née en 1887), tous mes frères célébrant notre retour, les endroits que nous connaissions, la vie aux champs et autres détails insignifiants. Ce n'est pas une image de la Lituanie actuelle, ce sont les souvenirs d'une « personne déplacée » retrouvant sa maison pour la première fois après vingt-cinq ans."
Or, dans ces scènes tournées avec sa petite caméra Bolex, Jonas Mekas montre à plusieurs reprises ces modestes seaux dont aucun paysan (lituanien ou berrichon) ne saurait se passer, et l'écho aux films de Tarkovski (qui n'était par ailleurs pas du tout dans l'intention de Mekas, j'en suis certain) me conduisit à procéder à des captures d'écran.
Le seau dans Le Sacrifice (Andreï Tarkovski) |
Le seau chez Jonas Mekas (Reminiscences of a Journey to Lithuania) |
Le seau et le puits sont aussi associés chez Mekas :
La mère est aussi le personnage le plus important de Reminiscences. Les retrouvailles des deux fils avec leur mère constituent l'événement le plus fort du film. Sur le site du Centre Pompidou qui garde mémoire de sa projection le 31 décembre 2012, le photogramme choisi pour illustrer la page n'est autre que celui qui représente la mère marchant sur une route, avec son sac à main d'un côté et le pot à lait de l'autre.
Une image qui résonne pour moi avec celle de la mère dans L'enfance d'Ivan, porteuse du seau d'eau douce que son fils boira comme une éternelle eau de vie.
Peu de temps avant de voir le film de Jonas Mekas, un dimanche 31 mars à Aigurande, j'avais arpenté la ville où la vigueur de la floraison printanière ne masquait pourtant pas à mes yeux le lent mais irrésistible déclin démographique. Je pris en photo les dizaines de maisons à vendre, et dont il est à craindre que la majorité ne trouve jamais preneurs. Et puis, arrivé sur la petite place au bas de la rue Casse-Cou (qui se nomme pourtant la Grand Place, comme un vestige de sa primauté médiévale), je vis le seau rouillé accroché aux grilles de l'un des plus beaux puits de la ville. Cabossé mais étincelant, il rutilait dans le soleil du Bélier.
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