Dans Moby Dick, après avoir fait la preuve de sa dextérité en lançant son harpon dans l'oeil supposé d'une baleine, Queequeg, le sauvage Maori qui partage la chambre d'Ismaël, est engagé avec enthousiasme par le capitaine Peleg. Dans l'adaptation pour Cluis, la signature du contrat se fait dans l'instant, mais dans le livre, c'est un peu plus compliqué :
"Lorsque tous les enregistrements furent dûment faits et que Péleg eut préparé les papiers pour la signature, il se tourna vers moi pour dire :- Ton Quohog, il ne sait pas écrire, j'imagine, hé ? dit Toi, Quohog, sang de tonnerre ! Est-ce que tu signes ton nom ou bien tu fais ta marque ?A cette question, Queequeg qui avait deux ou trois fois déjà pris part à de semblables cérémonies, ne marqua nul embarras ; prenant la plume qu'on lui tendait, il copia sur le papier, exactement à l'endroit voulu, une parfaite réplique d'un étrange dessin circulaire qu'il portait tatoué sur son bras. Ce qui fit que, par suite de l'erreur de nom à laquelle s'obstinait le capitaine Peleg, le registre porta quelque chose comme :" (traduction Armel Guerne, édition Phébus/Libretto, 2005)*
J'avais repéré déjà ce détail lorsque je m'avisai que Mahai, qui interprète le rôle de Queegueg dans la pièce, portait lui aussi un tatouage circulaire sur son bras. Mahai n'est pas Maori mais Polynésien, originaire de la plus petite île de l'archipel des Marquises (où Herman Melville déserta sur l'île de Nuku Hiva et fut l'hôte d'une tribu réputée cannibale, les Taïpi, nom qu'il donna à son premier roman autobiographique).
Le tatouage de Mahai est lui aussi circulaire et emprunte également la forme d'une croix. Cette coïncidence m'affermit dans le sentiment que nul plus que lui n'eut pu incarner ce personnage fascinant qui tient une si grande place dans Moby Dick (c'est notamment grâce au cercueil qu'il se fait construire par le charpentier du baleinier qu'Ismaël échappe seul au naufrage du Pequod).
Queegueg sur la baleinière |
_____________________
* Peleg ne parvient pas à prononcer correctement le nom de Queequeg. Armel Guerne reprend le nom donné dans le texte original en anglais :
"When all preliminaries were over and Peleg had got everything ready for signing, he turned to me and said, “I guess, Quohog there don’t know how to write, does he? I say, Quohog, blast ye! dost thou sign thy name or make thy mark?”
But at this question, Queequeg, who had twice or thrice before taken part in similar ceremonies, looked no ways abashed; but taking the offered pen, copied upon the paper, in the proper place, an exact counterpart of a queer round figure which was tattooed upon his arm; so that through Captain Peleg’s obstinate mistake touching his appellative, it stood something like this:—
Quohog. his X mark."
De son côté Philippe Jaworski, dans l'édition Quarto de Moby Dick, signale en note que "cette description ne correspond pas au dessin tel qu'on le trouve dans les premières éditions anglaise et américaine de 1851, où la "marque" de Quigueg est figurée au moyen d'une sorte de croix de Malte, dessin repris dans la première édition." (p. 239)