mardi 6 avril 2010

Alluvions ( Théodore Monod)

J'aime à me donner des contraintes, à me fixer des programmes de lecture, mais il est bien rare que je ne m'affranchisse pas des premières et que je ne bouscule pas les seconds. Un livre vient-il à faire signe que je puis abandonner séance tenante ce passionnant volume que je me promettais si fort de finir avant telle date. C'est une semblable impulsion qui me jeta la semaine dernière vers Méharées, le célèbre livre de Théodore Monod. Pas une nouveauté, comme on voit, et que depuis dix ans j'eusse pu me saisir aussi bien, puisqu'il ne reposait pas en quelque malle oubliée ou rayonnage empoussiéré, mais bien plus simplement dans la bibliothèque de mes beaux-parents, celle du salon qui, sans être étique, n'est pas colossale. Mon regard a dû glisser cent fois sur l'ouvrage sans daigner s'y attarder. Que s'est-il passé pour que cette fois je l'extrais de l'étagère et décide de l'emprunter ? Personne ne m'a parlé de Monod récemment. Mais c'est peut-être les images de ses cahiers de voyage, reproduits dans un CDrom pédagogique et vues à plusieurs reprises ces derniers mois qui ont allumé la petite étincelle de curiosité. Peut-être.


Je viens en tout cas d'en achever la lecture, et j'ai été surpris et ravi par la modernité de la narration, sa vitesse, sa fluidité, par l'humour aussi, l'ironie qui courent à travers les pages, humour et ironie auxquels je ne m'attendais pas (je n'aurais pas été étonné si la prose avait été austère et quelque peu hiératique et empesée).

Pour saluer l'écrivain et le savant, et garder souvenir de ce moment de lecture, je veux placer ici extrait de l'avant-dernier chapitre, où il parle des fleuves sahariens, qui n'atteignent jamais la mer. Pour moi, longtemps, le fleuve a coulé de sa source à la mer, l'école nous avait appris ça comme si nulle exception n'était envisageable, indiscutable dogme, destin invariable des cours d'eau que de finir à l'océan ; et quelle ne fut donc pas ma surprise de voir un jour sur une carte - c'était celle de l'Australie - que des fleuves, surgis du giron des montagnes, pouvaient disparaître avant la côte.

Je veux noter aussi ce passage parce qu'il contient le nom même de ce blog, et en fait briller le sens même :

"Nous savons bien - pour avoir entrevu, ça et là, dans nos vallées, quelques graviers, une couche de limon, un banc de sable - que les fleuves ne transportent pas que des matériaux dissous et ont un "débit solide", mais l'importance de celui-ci nous échappe parce que la mer le reçoit ; le résultat de la décantation nous demeure invisible.
Au contraire, les fleuves sahariens ont été -au moins les derniers - des fleuves de bassins clos, sans débouché maritime, se jetant dans des zones d'épandage marécageuse dont le lac Tchad offre une excellente image.
Dans cette cuvette plate, ils accumulaient des sels dissous, tout prêts à se cristalliser par évaporation, et des alluvions ; celles-ci sont insolubles, elles demeurent où la crue les a déposées, peu à peu colmatent leur "tchad", exhaussant ensuite le niveau de base du cours d'eau dont la pente et la vitalité diminuent.Le fleuve étouffe, il agonise, il va périr axphyxié par ses propres alluvions : un suicide."

2 commentaires:

La petite librairie des champs a dit…

Sois tranquille, cela viendra...
Etrange coïncidence...
J'ai cité un vers de l'Effraie: "Qui chante là quand tout se tait?" à propos du chant et du silence, amis aussi de la huppe et un ami poète m'a renvoyé ce poème.
Quand à votre texte, je suis touchée par la référence au sel et aux fleuves qui n'atteignent jamais la mer.
Encore uen fois, à suivre.

La petite librairie des champs a dit…

Sois tranquille, cela viendra...
Etrange coïncidence...
J'ai cité un vers de l'Effraie: "Qui chante là quand tout se tait?" à propos du chant et du silence, amis aussi de la huppe et un ami poète m'a renvoyé ce poème.
Quand à votre texte, je suis touchée par la référence au sel et aux fleuves qui n'atteignent jamais la mer.
Encore uen fois, à suivre.