dimanche 18 décembre 2011

Vous aimez le gaz, vous ?

Avant-hier, je titrais "C'est foutu" pour parler un peu du Tampographe Sardon et montrer ses délicieuses gaufrettes déprimantes. Les productions et les écrits de Sardon sur son blog produisent en moi le même genre d'effet que la prose de Cioran, dont j'avais découvert à l'adolescence les Syllogismes de l'amertume. J'avais adoré. C'était d'une noirceur quasi absolue, mais l'humour et la verve, le bonheur de langue et le ciselé des formules emportait tout, et finalement vous détournait de ce à quoi on aurait pu penser que ce genre de textes ne pouvait que vous entraîner : le suicide. Cioran lui-même aimait à dire que certaines personnes l'avaient remercié d'être tombées sur un de ses livres à un moment difficile de leur vie  : elles en avaient trouvé contre toute attente des ressources pour continuer à vivre.
Aujourd'hui, après passage à la médiathèque, j'ai lu le dernier roman, court (120 pages), de Philip Roth, Le rabaissement. Le titre augure bien du propos : cette histoire d'un acteur flamboyant qui du jour au lendemain perd toute sa magie, et ne parvient plus à jouer, devient lamentable et ridicule (une prémisse que j'ai de la peine à avaler, car un grand acteur, même s'il perd son génie, sa fraîcheur, sa capacité d'invention, s'en sort toujours plus ou moins par son métier, mais passons), cette histoire est une descente dans les ténèbres, expression de la quatrième de couverture qui d'ailleurs, faisant fi du suspense, raconte presque tout. La solitude au bout du compte, et le suicide quand il finit par se faire larguer par l'ex-lesbienne avec qui il jouait les Pygmalion. C'est sec, vigoureux, nettoyé à l'Ajax. Pas de tendresse pour le personnage, on ne peut pas accuser Roth de tomber dans le sentimentalisme. Mais l'absence de toute poésie me gêne (il me semble que je n'avais pas ressenti un tel malaise dans l'autre petit roman de lui que j'ai lu l'an dernier, Un homme, et pourtant ce n'était pas non plus la joie ce bouquin-là).
J'ai lu les critiques de Télérama et des Inrocks. Elogieuses, forcément, mais elles ne m'ont pas vraiment convaincu. Il s'y déploie une sorte de rhétorique un peu creuse. Nelly Kapriélan finit par ces mots :
On ne lit pas Philip Roth pour sa joie de vivre - on le lit parce que ses livres sont sexuels, car, comme le sexe, tiraillés entre plaisir et inquiétude, purs moments où l'on se confronte à l'éclat jouissif, blessant, de la vérité alors que l'on tentait de se perdre.
Je veux bien qu'on m'explique l'éclat jouissif, blessant, de la vérité alors que l'on tentait de se perdre. Faut-il comprendre que le sexe, en libérant un flux de plaisir masochiste, nous dépouille de nos illusions ?


Bon, toujours est-il qu'à propos de suicide, je trouve dans une chronique de Rue89 sur la mort de Roland Dubillard (évoquée dans Les Misérables 62), cet extrait jubilatoire d'un des Diablogues : le suicide de Georges.

« UN –Vous aimez le gaz, vous ?
DEUX- Oui, j'aime bien. A chaque fois que je veux me suicider, j'ouvre le gaz en grand.
UN- Et ça vous réussit ?
DEUX –Assez bien, oui. Mais ma femme ne peut pas supporter l'odeur du gaz, alors elle le referme tout de suite. Et puis elle me dit : toi, tu t'en fiches , mais qui c'est qui qui paiera la note du gaz ?
UN- C'est vrai qu'un suicide au gaz ça doit revenir cher. »

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