mardi 7 mars 2023

Des lumières et des ombres

Courrier de rappel de la médiathèque : il me faut rendre Le Célibataire absolu, que j'ai à la maison depuis plus de trois semaines. Je n'ai pas vu le temps passer, dommage je l'aurais bien gardé encore un peu. Bon, je remplis mon sac à dos (ce n'est pas le seul ouvrage que je dois rendre) et je file à Equinoxe. Je restitue le Bordas mais bien sûr je ne repars pas la besace vide : un beau livre d'Henri Alekan me fait signe, Des lumières et des ombres, des éditions de la Table Ronde. Henri Alekan, directeur de la photographie de nombreux films, de La Belle et la Bête de Jean Cocteau aux Ailes du désir de Wim Wenders. C'est sur ce dernier film que j'ai découvert son existence le 28 septembre 1992. C'était la première de la chaîne Arte, qui récupérait ce jour-là le cinquième réseau hertzien terrestre français. Un petit cirque français y était de passage à Berlin, et Wenders avait tenu à ce qu'il soit nommé du nom de son maître ès lumières. 

Henri Alekan devant le cirque du film qui porte son nom

Henri Alekan (1909 - 2001) apparaît ainsi dans trois articles de 2021 consacrés à Sebald et à Wenders. Son livre, véritable somme sur la lumière au cinéma, est paru à l'origine en 1984, aux éditions du Collectionneur. C'est donc une réédition que je trouve ce samedi-là, bellement illustrée.

Avant de repartir, je passe au rayon désherbage, on ne sait jamais ce qu'on peut y trouver. Et justement, j'y vois un livre que je n'ai jamais lu, dont je ne savais même pas qu'il était à la médiathèque, et dont le titre est Vers la nuit, sous-titré Un journal de John Hull. Ce qui me retient, c'est le souvenir de ce documentaire vu en 2016, Notes on blindness, de Peter Middleton et James Spinney, qui racontait le lent voyage vers la cécité de cet universitaire australien, John Hull, qui, après avoir lutté pendant trente-six ans contre des disques noirs qui envahissaient sa vue et subi plusieurs interventions chirurgicales, est devenu complètement aveugle en 1983. J'avais vu ce film alors que je venais juste de découvrir l'oeuvre d'un autre aveugle, Jacques Lusseyran, dont Jérôme Garcin avait donné une excellente biographie, Le Voyant, en 2014. Lusseyran, né en 1924, aveugle à l'âge de huit ans, était entré dans la Résistance. Arrêté en 1943 par la Gestapo, il fut incarcéré à Fresnes puis déporté à Buchenwald. Revenu de captivité, il écrivit Et la lumière fut et partit enseigner la littérature aux États-Unis. Il mourut en 1971 dans un accident de voiture. 

Je tenais cette année-là, en 2016, une sorte de journal où je collais, écrivais (et dessinais parfois), autour des thèmes qui me tenaient à coeur. Je l'ai nommé le cahier Paul Klee, car le peintre en avait été l'impulsion initiale. Il a été numérisé et il est visible en ligne ici. En voici la page 9, en deux parties pour des raisons de lisibilité. 





Ce n'est que revenu chez moi que je m'avisai qu'entre le livre d'Alekan et le livre désherbé de John Hull,  il y avait non seulement des similitudes de fond (il y est semblablement question de lumières et d'obscurité), mais aussi un jeu visuel assez étonnant : le vaste cercle noir qui recouvre en grande partie le visage de Hull (et qui évoque bien sûr les disques noirs qui encombraient sa vue) fait écho à la bille blanche de l'appareil de mesure qu'Alekan tient devant son oeil droit (la photo est par ailleurs prise sur le tournage des Ailes du désir).









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