vendredi 10 mars 2023

Je veux saisir Monet

C'est un tout petit livre. Long et mince, trente pages. Le titre : L'instant précis où Monet entre dans l'atelier. L'auteur : Jean-Philippe Toussaint. Et ça commence comme ça : "Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il pousse la porte de l'atelier  dans le jour naissant encore gris." Nous sommes à l'été 1916, et la bataille de Verdun est encore loin d'être terminée, et Monet travaille sur les grands panneaux des Nymphéas dans le grand atelier qu'il s'est fait construire en haut de son jardin : "Pendant la guerre, plus que jamais, c'est dans l'art que Monet va se réfugier pour se tenir à l'écart du boucan du monde."

Le leitmotiv revient : "Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il entre dans l'atelier." L'instant est le même et en même temps tout autre, car nous sommes en 1918, et bientôt en 1921. Monet a décidé d'offrir les Nymphéas à l'Etat pour célébrer la paix. A l'origine il pensait seulement à deux panneaux, puis son ami Clémenceau l'a convaincu de donner l'ensemble. Et pourtant, il ne verra jamais les Nymphéas quitter Giverny pour l'Orangerie, car jamais il ne consentira de son vivant à déclarer l'oeuvre achevée : "Même s'il n'en a pas conscience, c'est bien à l'inachèvement des Nymphéas que Monet consacre les dernières années de sa vie. Ce sera l'éternelle toile de Pénélope qu'il tissera et détissera jusqu'à son dernier souffle."

Claude Monet,
Reflets d'arbres,
entre 1914 et 1926, 
deux "panneaux" à l'huile accolés sur toile marouflée sur le mur, 
H. 200 ; L. 850 cm, 
© 
RMN-Grand Palais (Musée de l'Orangerie)
Michel Urtado

Ce qui m'a frappé par surcroît dans cette évocation c'est la résonance avec l'article précédent, avec la cruelle histoire de la progression inexorable de la cécité chez John Hull. Monet vit le même calvaire :

"Quelques mois plus tôt, croyant devenir aveugle, voyant le monde disparaître dans une brume brunâtre, Monet, brisé, arrêté dans son élan, doit cesser de peindre. Il demeure de longues heures assis dans un fauteuil au rez-de-chaussée de la maison de Giverny, désoeuvré, et l'idée de la mort resurgit dans son esprit, qui accompagne chaque heure de l'inaction forcée. [...] Les derniers examens ophtalmologiques sont désastreux. Vision quasi-nulle à droite et 1/10 à gauche. Monet doit se résoudre à accepter une intervention chirurgicale."

Je n'avais plus alors que quelques pages à lire dans l'essai d'Henri Alekan, Des lumières et des ombres, lorsque, dans la section "La lumière et la couleur", je vis la reproduction, sur la marge de la page, d'un fragment des Nymphéas. Le texte ne mentionnait pas Monet, et la vignette était suivie d'une note sur la loi des contrastes simultanés, établie par le chimiste Chevreul dans un mémoire présenté à l'Académie des sciences en 1828 (mais le peintre n'y était pas plus cité).

Le petit livre de Toussaint s'achève, lui, par un remerciement à Ange Leccia, son ami qui lui aurait donné envie d'écrire sur Monet. Et il est précisé que l'oeuvre (D')Après Monet d'Ange Leccia est présentée au musée de l'Orangerie du 2 mars au 5 septembre 2022. Bon, trop tard pour la voir (il s'agissait d'un arrangement vidéo, ainsi Leccia nomme-t-il ses créations).

Ange Leccia
(D') Après Monet, 2020
© ADAGP, Paris 2022

Ange Leccia est par ailleurs le co-réalisateur du film qui sort actuellement, Christophe... définitivement. La co-réalisatrice n'étant autre que Dominique Gonzalez-Foerster, sur qui j'ai écrit ici quelques articles.


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