Aux yeux du grand public, la disparition de
Pierre Ryckmans, de son nom de plume Simon Leys, passera bien sûr inaperçue. Qu'importe, cela ne nous empêchera pas de saluer (et quand je dis nous, ce n'est pas pluriel de majesté, mais le nous de la communauté informelle de tous ceux qui se sentent redevables à l'écrivain), de saluer celui qui courageusement, solitairement, rendit compte de ce qu'il en était vraiment de la réalité du communisme chinois, à l'époque où de brillants intellectuels français versaient au contraire dans le maoïsme le plus aveugle. Il eut la lucidité de montrer que l'Empereur, alias le Grand Timonier, était tout nu (la citation de Andersen était d'ailleurs en exergue de son livre chronique de la Révolution culturelle,
Les habits neufs du Président Mao). Ce qui lui valut anathèmes et dénonciations calomnieuses. Il n'en eut cure et persista.
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{Pierre Ryckmans, alias Simon Leys, chez lui à Canberra en 2002(WILLIAM WEST / AFP)} |
On peut lire quelques bons articles sur l'homme et son œuvre, riche aussi en analyses littéraires subtiles et diverses. Chez
Pierre Assouline,
Victor Kirtov par exemple. Dans la chronique de celui-ci, on trouve un bel hommage de Yann Moix. Je n'ai jamais lu Yann Moix, je sais que l'homme est controversé, que ses romans sont adulés ou voués aux gémonies, c'est selon. Je m'en fous, du moins à cet instant, j'aime beaucoup en tout cas la fin de son billet, (circonstance aggravante, il écrit dans
Le Figaro) que j'ai plaisir à citer ici :
[...] Leys ne se laisse pas impressionner : ni par les vivants ni par les
morts. Ni par les nains ni par les géants. C’est un homme pour qui
Segalen est aussi vital que la vie : pour qui Segalen est la vie. Leys
crée son monde intime à partir de celui des autres - admirations,
détestations. Il a inventé quelque chose d’inouï : l’imagination
critique. Par la critique, il crée des univers. Il sait que le génie est
l’art de travailler à partir, non de ses dons, mais de ses
défaillances, de ses tares, de ses incapacités, de ses handicaps. Le
culot de bâtir un cosmos sur sa propre insuffisance, sur ses limites,
sur ses faiblesses : là se situe l’universel de l’intime, là se situe
l’intime de l’universel. Avoir le courage d’être soi et rien que soi.
Celui qui est réduit à sa place, minuscule, et se satisfait de se
confondre avec elle : c’est lui, le créateur.
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