dimanche 31 juillet 2016

il regrettera alors de ne plus avoir quelques marines à fourguer

Dans le précédent billet, je hasardai l'hypothèse d'un tirage comportant la Maison-Dieu, seizième lame du Tarot. Tirage opéré à Riva, sur les bords du lac de Garde, en septembre 1913, au cours d'un séjour en sanatorium de Franz Kafka (Dr K. de Sebald).

Cette carte est aussi appelée la Tour, La Torre sur certains tarots italiens.



Or, continuant mes recherches sur internet, à propos du séjour du Dr K. et de son aventure avec la jeune Génoise Gerti Wasner, je découvre sur le site du peintre Christiane Moreau  (qui n'oublie pas d'évoquer le passage de Kafka), que la petite ville de Riva est "surveillée" par la torre Apollonale, datée du XIIIè siècle.

Riva - Photo Christiane Moreau
Cette tour, disjointe de tout autre bâtiment militaire ou religieux,  plantée sur la place comme un obélisque, m'apparut soudain comme une transposition réelle de la Maison-Dieu.
Je la retrouvai un peu plus tard sur une carte postale que Kafka envoya à sa sœur Ottla en septembre 1913.

Source : Bodleian Library

Et je me souvins aussi, mais ça n'a plus rien à voir avec la Torre, que dans ma série 1913 de Fictions brèves du dimanche, à la date du 15 septembre 1913 (fiction publiée donc le 15 septembre 2013, cent ans plus tard exactement), je basai mon histoire sur une prétendue coïncidence  entre une missive de Kafka adressée à Felice Bauer et un pli incendiaire de Laurent Revêches au marchand d'art Félix Baudet :


"Par une singulière coïncidence, le jour même où Franz Kafka  écrivait une énième lettre à Felice Bauer, de l'hôtel Gabrielli Sandwirth de Venise où il avait pris pension, le peintre Laurent Revêches expédiait un pli incendiaire au marchand d'art Félix Baudet, sis au 28 rue Gabrielle, à Paris. La comparaison s'arrête là néanmoins, car si la missive de l'illustre écrivain a été conservée, il n'en fut pas de même pour celle du peintre : Baudet, exaspéré, s'en servit pour allumer la pipe en écume de mer qu'il venait juste de s'offrir.
Comment, s'exclamait Revêches, comment, Monsieur, pouvez-vous me faire parvenir un montant inférieur de deux tiers à celui prévu pour la vente de mes deux Diane au bain de l'hiver dernier ? Je vous avertis que, sans rectificatif express de votre part, je serai dans l'obligation de confier la vente de mes marines charentaises à un marchand plus scrupuleux.
C'est ça, confie, confie, mon gars, ironisait tout haut Baudet. De toute façon, tes marines, il n'y a plus guère que les petits ronds-de-cuir des ministères pour aimer encore en défigurer leur salon. Et tes Diane au bain, pauvre pomme, tu n'as pas encore compris que c'est dépassé, ta mythologie sent le rance, le faisandé, et dis-moi, combien de fois tu l'as fait ce tableau, et à l'identique par-dessus le marché ? Non, les grands amateurs d'art veulent de l'impressionnisme, du cubisme, tout ce qui te fait horreur, et qui tu es bien incapable de comprendre.
Il ne lui répondra même pas. Et quand Revêches le provoquera en duel un mois plus tard, en lui laissant le choix des armes, il lui enverra par la poste un polochon. Une bagarre au polochon, oui, ce serait bien, lui écrira-t-il sur le petit billet parfumé qui accompagnera l'envoi.
Et puis on retrouvera le corps du peintre sur une berge de l'Ile Robinson à Asnières, noyé depuis plusieurs jours. La police interrogera le marchand d'art. Suicide, meurtre, accident ? Impossible à dire, selon les experts de la préfecture. Mort, sa cote va remonter, songera Baudet. Et il regrettera alors de ne plus avoir quelques marines à fourguer."

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