jeudi 14 décembre 2017

# 298/313 - Etoilement

J'ai ouvert ce nouvel article et je sèche. Je l'avoue volontiers, je sèche. Non pas parce que soudain je n'aurais plus rien à dire, et que je voudrais néanmoins me plier par routine au devoir d'écrire un nouveau billet. Non, bien au contraire, c'est plutôt l'abondance des thèmes potentiellement abordables qui me gêne. Je ne sais par où commencer.
Ma préoccupation ici n'est pas seulement de relever des coïncidences, qu'on jugera troublantes, amusantes ou insignifiantes, au choix de chacun. J'ai l'impression, et même la certitude, que j'en produirais dix mille que cela ne changerait rien à l'affaire : l'intérêt des uns contrasterait toujours avec le désintérêt des autres. Inutile donc de chercher à convaincre.* Ce qui m'intéresse, au-delà d'une recension de synchronicités et de résonances, de ce fourmillement de faits insolites, c'est d'en esquisser une catégorisation, de décrire les formes de manifestation, les types d'émergence - et de les relier à la matière même de nos vies. Si la métaphore de l'Attracteur étrange me séduit, c'est qu'elle relie visuellement des phénomènes disjoints, qu'elle donne forme au chaos.
Dans #250, j'ai commencé ce travail, en opposant deux formes, la constellation et les lucioles, le réseau de correspondances et les bulles synchroniques isolées. Ce sont là encore des images : "Ainsi sur le théâtre nocturne de nos existences se donneraient donc à voir aussi bien les lumières venues du plus lointain du cosmos que les étincelles fragiles palpitant dans les buissons que nous pourrions effleurer et explorer de nos dix doigts."
Une troisième forme me semble s'imposer, que je nommerai étoilement. Pour filer la métaphore astronomique, je dirai qu'elle est analogue à une supernova. Soudain le ciel flamboie, une étoile a explosé, la luminosité d'un bout d'univers augmente extraordinairement. Au plan symbolique, cela correspond à une prolifération de circuits associatifs. Dans toutes les directions semblent partir des fils interprétatifs, qu'il est malaisé de suivre et encore plus de rendre compte, car nous ne pouvons le faire que linéairement, successivement, laborieusement.
Et en ce mois terminal de décembre, c'est bien à un étoilement que je suis confronté. Je suis comme pris dans un scénario qui multiplierait les intrigues secondaires (et ce n'est sans doute pas un hasard là encore si je suis actuellement dans la découverte de la série Lost, chère à Pacôme Thiellement, qui entremêle les parcours biographiques de plus d'une dizaine de personnages, en alternant savamment les flashbacks et les aventures dans l'Ile.)

Ce scénario, je ne sais pas où il me conduit, je le transcris au fur et à mesure. En voici donc, en vrac, les derniers éléments.


Donna Tartt, Le chardonneret - J'ai dit déjà comment ce livre s'était glissé dans l'histoire, et comment je n'avais pas tardé, dès les premières pages, à y trouver un lien fort avec ce qui s'était manifesté ici (en l'occurrence, la mort, les miroirs, Jean Cocteau**). Fort bien. Je ne m'arrêtai pas là, je me fis un devoir de poursuivre la lecture de l'ouvrage. Or, bien que certains critiques en réfèrent à Dickens, Dostoïevski, Tolstoï et autres auteurs de haut prestige, je ne parviens pas à ne pas éprouver quelque ennui dans ce pavé de presque huit cents pages. Alors qu'il me semble par exemple n'avoir trouvé dans Guerre et Paix que des pages nécessaires, je suis souvent tenté de lire en diagonale des scènes qui me paraissaient inutilement s'éterniser. Malgré l'argument tout à fait intéressant du récit, je ronge mon frein, un peu apeuré par la perspective d'une lecture à vide. Il me fallut atteindre la page 145 pour me rasséréner (une méduse rejoignit la collection), puis la page 242 où j'eus le plaisir de lire ces lignes :
"Le garçon aux cheveux foncés s'est renfrogné et renfoncé plus profondément sur sa chaise. Il me rappelait les gamins à l'air de SDF plantés sur St. Mark's Place à New York qui faisaient circuler des cigarettes et comparaient leurs cicatrices - c'étaient les mêmes habits déchirés et les mêmes bras maigres, les mêmes bracelets en cuir noir emmêlés autour des poignets. Leur complexité à de multiples niveaux était un signe que je ne savais pas déchiffrer, bien que le sens général soit assez clair : On n'est pas de la même tribu, oublie-moi, je suis trop cool pour toi, n'essaie même pas de me parler. Telle fut ma première impression erronée du seul ami que je me sois fait à Vegas, et - ainsi que cela devait se vérifier par la suite - de l'un des grand amis de ma vie."
St. Mark's Place à New York (qui n'est d'ailleurs pas une place, mais une partie de la 8ème rue), c'est bien sûr la localisation des immeubles de Physical Graffiti, le double album de Led Zeppelin. Le héros, Theo Decker, vit au début du roman à Manhattan, mais c'est seulement à ce moment où il rencontre son ami Boris à Las Vegas que Donna Tartt évoque St Mark's Place. Je note que ceci, qui fait donc signe pour moi, est associé à un signe qu'il ne savait pas déchiffrer. Bon, il me reste ceci dit encore bien des pages.

111 - Les poètes aiment décidément ce nombre. Après Antoine Emaz, c'est Laurent Albaraccin qui publie Plein vent, 111 haïku, aux éditions Pierre Mainard.  Information glanée dans le Poezibao de Florence Trocmé du 8 décembre.


7777 -  Le 1, le 4 et le 7 sont les nombres fétiches de cette fin d'année. Dans les statistiques du 6 décembre, je surprends ceci :


Soit dit en passant, 49 c'est le plus petit nombre de pages vues enregistré depuis longtemps (là c'est sûr, il n'y a plus à douter, j'ai épuisé le lecteur), mais 49 c'est aussi 7 x 7 (ça console), qui résonne donc avec 7777. J'ajouterai que j'ai arrosé ce même jour d'un excellent champagne l'anniversaire d'un ami qui fêtait ses 49 ans (ça aussi ça console).

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* Dans un de ses billets sur sa page Facebook, le grand traducteur André Markowitz a parfaitement exprimé mon sentiment actuel sur cette question : " Ce qui a changé, c’est que je n’essaie plus de convaincre. Je n’ai plus besoin de convaincre. Je ne pense plus que j’ai raison. Je pense que ça n’a pas d’importance, que j’aie raison ou tort. Parce que, même si j’ai tort de sentir ce que je sens, je le sens — et c’est ça qui me fait vivre. J’ai juste besoin de continuer, d’une façon ou d’une autre. De vivre avec le temps de mon travail, qui est un temps que je ne connais pas. Dans un espace, aussi, qui est le mien — d’où, par exemple, ces chroniques. Ça, pour l’espace, comment dirais-je ?... ça se resserre au fil des ans. Et il y a tellement de choses que je voudrais encore faire."

** Il est tentant de mettre en parallèle les deux morts récentes (Jean d'Ormesson et Johnny Halliday) avec les deux morts plus anciennes (Edith Piaf et Jean Cocteau justement). La chanteuse et le poète étaient morts le même jour, le 11 octobre 1963, et bien sûr la ferveur populaire mit complètement sous l'éteignoir le décès du second.

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