Cette aventure courlandaise ne fut guère une réussite pour le jeune Maurice. Nommé Duc le 26 juin 1726, il doit plier bagages l'année suivante devant les troupes russes et rentrer en France. L'écrivain et diplomate Henri Blaze de Bury, qui traduisit le Faust de Goethe, rapporte en 1852 dans La Revue des Deux Mondes le rêve déchu de sa mère :
"Au terme de son aventureuse existence, comme si elle eût craint que les agitations ne lui fissent défaut, la noble dame avait rêvé le trône de Courlande pour son fils le comte de Saxe. A nourrir cette chimère, elle consacra les derniers débris échappés au naufrage des biens de sa famille. En dépit de ses incessantes démarches, de ses brigues nombreuses toujours accompagnées de nouveaux sacrifices d’argent, Aurore eut le chagrin de voir échouer tous ses projets. Atteinte à la fois dans son orgueil de femme et dans ses sentimens de mère, son pauvre cœur ne s’en releva pas. Elle comprit que l’heure était venue de quitter un monde où son crédit avait cessé de compter, et ne songea plus qu’à faire une mort digne d’une personne de son mérite et de sa naissance. La comtesse Aurore de Kœnigsmark mourut le 14 février 1728."
Les extraits du récit de Kauffmann consignés dans mon cahier bleu semblent en écho au malheur d'Aurore (ce prénom qui survivra avec la fille - encore une fois naturelle - de Maurice de Saxe, fruit d'une liaison avec la comédienne Marie Rinteau : Marie-Aurore de Saxe, puis avec la petite-fille de celle-ci, Amantine-Aurore-Lucile Dupin, plus tard George Sand).
" Je retardais mon retour en France. Un moment j'envisageai même de rester au Canada - une seule chose me rebutait dans ce pays : la durée interminable de l'hiver et la présence obsédante de la neige. Ce blanc qui gomme toutes les formes et immobilise l'espace, est pour moi la couleur de la désolation." (p. 35, c'est moi qui souligne)
"Ce voyage risque de tourner au fiasco. Je suis face à un blanc, un immense blanc pareil à cette côte courlandaise vide et venteuse, sans la moindre empreinte qui puisse fixer le regard. Me revient à l'esprit une image d'Ingmar Bergman, les cheveux en désordre, arpentant sombrement le rivage désert de l'île de Faro, située sur la Baltique. Dans Le Silence, il a choisi un pays Balte comme représentation de l'inintelligible." (p. 59, c'est moi qui souligne)
On se rappellera qu'en ce mois de janvier le thème du blanc était devenu pour moi omniprésent, que ce soit à travers la porcelaine ou Moby Dick. Je réalise par ailleurs qu'Ingmar Bergman apparaissait déjà ici avec son île de Faro, alors que je ne devais découvrir Persona, tourné sur cette île, qu'un mois plus tard (et je ne me souvins pas alors de cette première apparition dans Courlande). Me renseignant maintenant sur Le Silence (que je n'ai jamais visionné), je note plusieurs choses. Tout d'abord que, contrairement à ce qu'affirme Kauffmann, le film ne se déroule pas dans un pays Balte, mais dans un pays étranger qui reste indéfini (sa langue est incompréhensible pour les personnages du film, c'est tout ce que l'on sait). D'autre part, le film présente de forts points communs avec Persona. Le petit garçon, Johan, est interprété par le même acteur, Jorgen Lindstrom, qui joue le petit garçon au début de Persona, l'un
et l'autre lisant en outre le même livre : Un héros de notre temps,
de Lermontov. Le plan de Johan posant sa main sur la vitre du train se répète dans un plan de Persona déjà présenté dans la chronique Un vieux truc polack.
Les deux femmes du film, deux soeurs, Anna et Ester, préfigurent Elisabet et Alma dans Persona - ce qu'expriment sans détour les deux plans suivants :
Une affiche du film rassemble même le portrait des deux femmes et le geste de l'enfant :
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