samedi 23 novembre 2019

Retour sur le désert

Au sujet du chemin du désert, j'ai écrit un peu vite que c'était une énigme dont tout le monde se foutra : c'était sans compter sur l'ami Jean-Claude, le Doc des expéditions Baxter. Qui, dans un mail, me précise qu'en "bas berrichon les "d'serts" ne sont pas un désert à proprement parler. Cela avait pour nous plutôt le sens de friche, de terrain délaissé mais possédant  de la végétation, pas un terrain nu."

Il a  vérifié chez Gendron :

DÉSERT • Du fr. désert, adj. “abandonné, inculte”, et n.m. “endroit vide, solitude” (FEW 3, 52b : desertus). Dans la toponymie le mot a d’abord désigné un défrichement, une clairière dans un bois. Voir également la forme désert “terrain vague”(ALCe 1, 171 pt 38).
 
J'aurais dû me souvenir aussi de ce que Robin Plackert écrivait sur Robert d'Arbrissel, le fondateur de l'ordre de Fontevraud :
"Il ne faudrait pas croire que ce site fut choisi un peu au hasard de ses pérégrinations inlassables, parce que brusquement le concile de Poitiers, en 1100, l'a sommé de fixer sa troupe errante où - péché majeur aux yeux des légats du pape - se mêlent les hommes et les femmes. Il est patent que le choix du site est mûrement réfléchi : ce « désert » où il s'est retiré, ce « lieu inculte et âpre, plein d'épines et de buissons », ce vallon isolé de Fontevraud n'est rien moins qu'à la croisée de trois provinces, à la limite de l'évêché d'Angers et de l'archevêché de Tours, à l'extrême pointe septentrionale du diocèse de Poitiers. Offert par le seigneur Gauthier de Monsoreau, dont la fille a rejoint la communauté, il est aussi à une lieue de Candes Saint-Martin, au confluent de la Loire et de la Vienne, où le célèbre saint a rendu l'âme à Dieu."[C'est moi qui souligne]

Dans un autre article, Le cloître et le bief, il montrait que la recherche du "désert" chez les cisterciens n'était pas aussi dénuée d'arrières-pensées qu'on aurait pu l'imaginer :
"Plus j'avance dans cette étude, plus je suis amené à modifier l'image que j'avais du mouvement cistercien. Je l'associais à un élan de spiritualité conjuguant idéal de pureté, austérité, pauvreté, rejet du monde, exaltation du travail manuel et de la sainte ignorance. Cîteaux comme recherche du désert. Or, quand on y regarde d'un peu plus près, on s'aperçoit que les visées cisterciennes n'étaient pas exemptes de calcul, que le désert qu'on revendiquait était le plus souvent judicieusement choisi, que l'autarcie du monastère était tout relatif et que les arts et les techniques les plus pointus de l'époque étaient loin d'être négligés.
L'exemple même de Clairvaux est tout à fait significatif. On a beau le décrire comme un endroit « d'horreur et de vaste solitude », ce site est élu par Saint Bernard pour des raisons qui ne ressortent pas du seul spirituel, comme l'explique J.F. Leroux-Dhuys :

« Le site de Clairvaux est (...) plus étonnant encore. Bernard ne le choisit pas seulement parce qu'il représente l'opportunité foncière d'une donation par son cousin Josbert le Roux, vicomte de la Ferté. Sa famille possède bien d'autres terrains susceptibles de convenir à une abbaye cistercienne ! Certes, la terre de Clairvaux posée dans un vallon perpendiculaire à l'Aube, entre deux collines très boisées, est riche des alluvions de la rivière et l'orientation est-ouest ne peut la priver de soleil. Mais la vraie raison du choix de l'emplacement de Clairvaux est sa situation par rapport aux routes. L'ancienne voie d'Agrippa de Lyon à Reims, la grande liaison entre l'Italie et l'Angleterre, passe à moins d'un kilomètre. Les comtes de Champagne protègent cette route, redevenue l'axe majeur de l'Europe marchande car elle dessert les foires de Champagne. A quatorze kilomètres, Bar-sur-Aube, l'une des quatre villes de foire, ouvre ses portes chaque année aux voyageurs de tous les pas chrétiens d'Occident. Clairvaux a une maison de ville à Bar-sur-Aube. Bernard de Clairvaux y est au cœur de l'Europe. » "

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