Qu'un fil relie ce livre à la constellation symbolique surgie de la rencontre du film de Jean-Claude Rousseau avec l'ouvrage sur Fabienne Verdier, n'avait rien de gagné. Je ne présumais d'ailleurs rien de pareil ; seule avait été décisive l'attirance de toujours pour l'écriture précise de Jean Rolin, ondoyante et comme chargée d'un désenchantement non dépourvu de drôlerie. Et pourtant, dès le premier chapitre, qui ne se présente pas comme tel (pas de numérotation chapitrale chez lui), le motif de la fenêtre se présentait avec évidence. Fenêtre de la chambre de l'hôtel Atilar, à Bandar Abbas, où le narrateur s'est introduit après la disparition de Wax "afin d'y inventorier ses affaires".
"Et maintenant, si vous le voulez bien, nous allons nous approcher de la fenêtre, masquée jusqu'à présent par une double épaisseur de rideaux, à travers lesquels la fournaise du dehors parvient à irradier dans un rayon de plusieurs mètres à l'intérieur de la pièce climatisée. Si je les écarte ces rideaux, une fois surmonté le choc - chaleur et lumière également implacables - causé par la mise à nu de la fenêtre, je découvre peu à peu, au fur et à mesure que mes yeux s'accoutument à cette lumière, une vue assez vaste sur la partie de la ville qui s'étend le long du rivage.(...) Sur la droite, la jetée de l'embarcadère - embarcadère d'où émanent, ou vers lequel convergent, à intervalles irréguliers, des vedettes assurant le transport des passagers entre Bandar Abbas et les îles de Qeshm ou d'Hormoz -, la jetée se divise en plusieurs branches dont la plus longue s'avance loin en mer. Celle-ci, presque toujours brillant d'un éclat qui fatigue la vue, est couverte de navires au mouillage, désarmés pour la plupart, le nez au vent, parmi lesquels un observateur averti pourrait s'étonner de découvrir deux cargos de marchandises diverses immatriculés respectivement à La Paz et à Oulan-Bator, deux capitales dont les ressources maritimes ou portuaires sont généralement ignorées. A l'horizon, quand les conditions météorologiques le permettent, la vue que l'on embrasse depuis cette chambre de l'hôtel Atilar est bornée par les reliefs peu élevés et inégalement accidentés de l'île d'Hormoz, sur la gauche, de l'île de Qeshm sur la droite, et, au milieu, de la plus lointaine (qui de ce fait est aussi la plus souvent masquée par la brume), l'île de Larak : de celle-ci, plus que que des deux autres, on peut dire qu'elle contrôle le détroit d'Ormuz, de telle sorte que ce dernier aurait pu tout aussi bien être nommé d'après elle." (pp. 11-13)
On pourra vérifier sur la carte que la description est parfaitement exacte (Jean Rolin a effectué plusieurs mois de repérage dans cette région, en Iran et dans les Émirats). Je me suis d'ailleurs arrêté plusieurs fois au cours de ma lecture du livre pour aller explorer sur Google Earth les lieux mentionnés par le narrateur (et somme toute, je songe que voilà encore une résonance supplémentaire avec le motif vermeerien, une autre étant cette forte présence de la lumière, qu'un livre de Sylvie Germain, qui échoua récemment ici après avoir échappé de justesse au pilon de la médiathèque, porte en son titre même*).
La douce ironie qui s'exprime ici dans la notation des cargos immatriculés dans deux capitales que ne baigne aucune mer ne se donne-t-elle pas aussi à voir dans le nom même de Wax (bien appréciable au Scrabble) qui, emprunté à l'anglais, désigne une cire, voire un vinyle, mais aussi, venu d'Afrique, un tissu réalisé avec des cires hydrophobes ? Pour un nageur prétendant accomplir un exploit, ce n'était pas mal vu.
La Vierge du Chancelier Rolin (Jan Van Eyck, v. 1435) |
Comment ne pas mentionner pour finir que ce nom même de Rolin est intimement lié à l'un des peintres flamands étudiés par Fabienne Verdier, Jan Van Eyck, dont le portrait de la femme, Margareta, fait la couverture du livre L'esprit de la peinture.
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* Patience et songe de lumière, Vermeer, Flohic éditions, 1993.
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