vendredi 23 août 2019

Jurassic Bartt

- Vous qui aimez Yves Robert, vous vous souvenez du Grand Blond avec une chaussure noire ?
-  Le film avec Pierre Richard, alias François Perrin ?
-  Oui. Eh bien, je l'ai revu tout récemment, Nunki Bartt m'ayant passé le dvd. Vous vous rappelez de l'argument : Toulouse (Jean Rochefort), un chef du Renseignement cherche à confondre son adjoint Milan (Bernard Blier) qui complote contre lui, en lui faisant croire qu'un espion redoutable débarque à Paris pour le percer à jour. En fait, c'est un homme choisi au hasard dans la foule à la descente d'un avion à Orly.
- Pas tout à fait au hasard. Je me souviens bien maintenant que vous le dites, Perrache (Paul Le Person) choisit Perrin, qui est violoniste, parce qu'il porte deux chaussures de couleur différente, dont une noire.


- Il y voit un signe : c'est lui qu'il faut choisir. La lecture des signes, c'est tout le propos et le comique du film. L'aéroport est truffé d'hommes de la bande à Milan, Perrin est photographié, suivi, écouté, pisté sans relâche. Son comportement étrange, dû uniquement à sa distraction et son étourderie suprême, pose une énigme aux barbouzes. "Qu'est-ce que c'est que ce gugusse ?" répète l'un d'eux. Pourtant, à aucun moment, la croyance en son identité d'agent secret n'est remise en question.
- Exact, mais je sens que vous faites là un détour pour mieux me confondre moi aussi.
- Bien vu l'ami. Oui, vous me faites l'effet, avec vos propres histoires, d'être un autre Blier, empêtré dans la croyance que les agissements de ce quidam ont du sens en tant qu'espion. Comme lui, vous cherchez du sens là où il n'y en a pas. Mais tout a l'air de confirmer la croyance : Perrin trouve le micro caché en renversant le pot de fleurs, il élimine deux tueurs à sa poursuite sans même s'en apercevoir. "Il est très fort", dit Blier plusieurs fois. De même, vous ne cessez de trouver des indices qui semblent corroborer votre hypothèse d'un hasard créateur.
- Bien vu vous aussi, mais vous oubliez que Blier ne parvient pas en définitive à savoir ce que le gars "a dans le ventre", et il veut le faire supprimer. Intéressante cette métaphore du ventre. Blier est une sorte d'haruspice moderne. L'haruspice, vous savez, c'était celui qui lisait dans les entrailles des bêtes sacrifiées pour livrer des présages. Sauf que lui en est incapable, "on tourne en rond" ne cesse-t-il de répéter, et il finit par se contenter d'une simple mise à mort. Heureusement Perrin est protégé à son insu par deux anges gardiens, Poucet et Chaperon (on est en plein conte), deux agents de Toulouse, et c'est Milan qui va mourir (ce qui embêtera bien Blier qui ne pourra pas tourner de ce fait Le Retour du Grand Blond).
- Hum, je crois bien que vous noyez le poisson, et que vous tenez ferme à votre propre croyance. Bref, que vouliez-vous me dire hier au sujet des 7 : 07 du film ?
- Oui, revenons-en aux 7 : 07 (mais vous avouerez que ce n'est pas moi qui, ici, a digressé). 7 : 07, qui, si j'enlève les deux points, me donne 707, en système décimal donc.
- Vous allez me resservir l'hypothèse de Meillassoux sur Le coup de dés de Mallarmé. 707 serait le nombre clé du Poème.
- 707 serait aussi un nombre important pour l’exégèse biblique, comme en témoigne par exemple l' article de Rémi Schulz, Les pendus bizarres.
- Permettez-moi à mon tour une petite digression : je fais très attention depuis quelques mois  aux plaques d'immatriculation, essentiellement aux trois chiffres du milieu. Une attention qui a peut-être son origine dans l'épisode d'août 2017, avec l'immatriculation 777 (épisode lié ici encore à un billet de Rémi Schulz). J'ai ainsi relevé dans la très proche rue Fontaine Saint-Germain, que j'emprunte chaque jour, un 222, un 444, un 888 et un 333. Ces voitures sont souvent stationnées dans cette rue, une telle abondance de triplets de même chiffre me semble défier les probabilités.
- L'administration a peut-être un faible pour ces triplets nnn, et les attribue-t-elle plus souvent que les autres nombres ?
- Votre conjecture est douteuse, mais admettons. Toujours est-il que lorsque 707 est apparu dans toute sa munificence, je me suis dit aussitôt que le nombre allait un beau jour se signaler avec une plaque d'immatriculation idoine.
- Et alors ?
- Alors, j'ai attendu longtemps. 707 s'impose le 4 juillet, et je ne verrai mon premier 707 que le 26 juillet, à Saint-Germain de Confolens, où habite ma petite soeur Marie et sa famille. Et c'était juste devant leur maison.
- Et entre temps, vous avez traqué les 707 ?
- Pas du tout. Ce n'est pas comme ça que ça marche. Il ne sert à rien de traquer méthodiquement. Bien sûr, il est difficile parfois de ne pas céder à l'obsession. Mais ça n'aboutit à rien de toute façon, alors on lâche prise. Non, le signe s'impose de lui-même, il faut en revenir à Picasso : "Je ne cherche pas, je trouve." Le nombre surgit devant vos yeux. Il vient quand il veut. Ceci est d'ailleurs vrai de manière générale, une coïncidence n'a pas à être cherchée, elle doit émerger d'elle-même, dans son évidence première.
- Vous vous rendez compte que nous sommes en pleine pensée magique ?
- Bien sûr. Et je le revendique. Et en même temps, je revendique le rationnel, il ne faut jamais oublier le rationnel. C'est ce que disait Jacques Ravatin: "Quand on quitte le rationnel, il faut emporter le rationnel avec soi." Et garder l'humour aussi. Garde-fou indispensable.
- Garde-fou, le mot est juste. A prendre au sens littéral. Là-dessus, je suis bien d'accord avec vous.
- Donc un 707 fin juillet, et depuis plus rien. Nouvelle période vide. Et puis mercredi, je me rends avec Nunki Bartt au causse de Pouligny Saint-Pierre.
- Le causse de Pouligny ? Dans l'Indre, il y a un causse ?
- Eh oui, c'est peut-être le causse le plus septentrional de France, et le plus petit, quelques hectares dans la vallée du Suin, un ruisseau qui disparaît complètement en été. Un paysage extraordinaire, invisible de la route la plus proche, et qui vous transporte dans un autre univers, c'est le Larzac en miniature. Tenez, en voici la description dans ce livre retrouvé chez mes parents, le guide des Merveilles naturelles de la France, édité en 1973 par la Sélection du Reader's digest. On pourrait presque croire à une blague, mais non, c'est très sérieux, d'ailleurs toutes les notices sont rédigées par de grands professeurs de Muséum d'histoire naturelle, des agrégés de géographie, des ingénieurs de l'ONF, rien que des pointures scientifiques. Jugez-en vous-même.


- Hola ! jurassique, rauracien , séquanien, entre 180 et 135 millions d'années, époque des calcaires jaunâtres récifaux riches en polypiers et solénopores...
- Arrêtez de consulter Wikipedia en douce pour jouer au savant, ça ne prend pas.
- Ok, mais cela a-t-il un rapport avec le 707 ?
- Je n'en sais rien, je place le contexte. Je vous signale aussi que ce n'est pas la première fois que je parle du causse sur ce site. Il est au cœur d'un article qui remonte au 19 février 2007: En vallée du Suin. Il m'avait inspiré un petit poème :


- Vous n'y étiez pas retourné depuis 2007 ?
- Je crois bien que non. Ou bien une fois, je ne sais plus très bien. Mais le souvenir en était intact. J'ai tout retrouvé, avec la même exaltation. Nunki Bartt était pareillement ravi, et il ne pense plus qu'à y retourner pour l'arpenter encore plus profondément.
- Assez digressé. Venez-en au fait.
- J'y arrive. Donc au retour, en fin d'après-midi, je traverse Châteauroux pour gagner Déols où habite Nunki. A l'entrée de Déols, je suis comme mis en alerte par les voitures devant moi, qui exhibent des 44 sur leurs plaques. Mais je ne devrais peut-être entrer dans tous ces détails...
- Trop tard. Mais pourquoi focaliser sur 44 ?
- C'est la faute de la plaque 444 trouvée à la brocante des Marins. J'en ai donné chronique le 9 décembre 2017, avec Panicum plicatum.


Une découverte qui avait confirmé la relation au Quaternité de Rémi Schulz, encore lui, et m'avait conduit vers la Melancolia de Dürer. Mais je ne développe pas, ce serait trop long. En tout cas, 444 reste bien inscrit au top four des nombres pour moi magiques. Alors, revenant du causse, voir ces plaques bâtardes juste devant moi, 440 ou le 44 de Loire-Atlantique, leur succession rapide dans le temps de cette circulation, me met oui en alerte, et soudain, merveille, un 707. J'aurais dû photographier, mais bon, je n'en fais rien. Je ne dis rien à Nunki, je ne veux pas lui imposer cette nouvelle élucubration...
- Le pauvre, j'ai l'impression que vous l'avez un peu contaminé...
- C'est un grand sensitif, un artiste, je n'ai rien touché en lui qui n'était déjà présent. Il me prête ce jour-là, après m'avoir montré sa superbe dernière toile, La Grande Berce et les petites caucasiennes, le fac-similé de la collection du Grand Jeu, que Jean-Michel Place avait édité en 1977. Ainsi que le volume 1 de Prospectus et tous écrits suivants, de Dubuffet, publié en 67. Des livres qu'il a chez lui depuis belle lurette. Vous imaginez bien que tout cela résonne fort avec mes derniers articles.
- 77, 67, on est revenu dans les 7...
-  Je repars vers dix-huit heures. Et voilà que juste en sortant de la rue Bertrand, je me retrouve derrière une caisse qui porte la plaque 707. Et que je suis jusqu'au rond-point de l'avenue de Paris. Là, je photographie, j'ai des preuves :


- Deux 707, à l'entrée et à la sortie de Déols, c'est du bonheur...
- N'exagérons pas, mais c'est une drôle de sensation, c'est comme si le monde, la plupart du temps muet, se mettait à parler, envoyant des signes pour une fois clairs. Je vous passe les plaques 044 et 440 aperçues dans le même temps sur le côté, comme s'il y avait eu une symétrie en miroir avec mon arrivée à Déols.
- Déols me fait penser à Sogol, le Père Sogol, professeur d'alpinisme en plein Paris, qui contacte le narrateur au début du Mont Analogue de René Daumal. Sogol qu'il faut lire comme l'envers de Logos, bien sûr.
- Attention, c'est vous qui êtes contaminé... Nunki m'avait aussi sorti son volume du Mont Analogue.
- Daumal qui meurt le 21 mai 44...
- Alors que trois jours avant, le 18 mai 44, naît W.G. Sebald.
- De retour chez moi, l'affaire continue, justement avec Sebald, mais pas seulement. Mais là, c'est moi qui crie grâce, on reprendra demain cette petite conversation. Vous avez où est la sortie ?
- Oui, par la petite fenêtre, avec la corde de rappel...



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