jeudi 22 août 2019

Ornithology

- Avez-vous visionné la vidéo de Louis Quail dans mon dernier article, Big Brother ?
- Pas plus tard que ce matin. J'ai même relevé un détail que vous ne mentionnez pas, et qui irait bien dans votre sens.
- Dites.
- C'est au tout début du film. Justin, le big brother, commence par raconter qu'il y avait cet oiseau qui chantait dans un arbre, sur la route du mont Ararat. Il demande à son père quel est cet oiseau qui chante dans l'arbre, et ajoute que c'était un chardonneret, et que c'était en 67 ou 68. 67, ça va bien avec votre avalanche de 7. Vous voyez que je suis attentif.
- Je vous félicite. Justin dit que c'est le souvenir le plus ancien qu'il ait de la vue d'un oiseau.
- Ce schizophrène paraît tout à fait sensé sur cette vidéo. C'est comme vous, vous avez l'air tout à fait sensé, mais je ne suis pas certain que la schizophrénie ne vous guette pas aussi, avec toutes vos histoires de coïncidences et d'intrications.


- Heureusement que j'ai de bons amis comme vous pour me remettre les pieds sur terre. Dites donc, vous n'avez pas été intrigué par cette histoire de mont Ararat ?
- Il est vrai que c'est un peu étrange. Le mont Ararat est en Turquie, pas en Angleterre. Dans la légende, c'est là que l'arche de Noé s'est échouée après le Déluge.
- Et vous savez qui a fait la première ascension complète du mont Ararat, 5165 mètres quand même, le 9 octobre 1829 ? Un médecin allemand, Friedrich Parrot, qui recherchait justement l'arche de Noé.
- N'en dites pas plus, je vous vois venir. Parrot, c'est le perroquet en anglais. Encore une histoire de piaf. Justin le dit dans le film : l'ornithologie c'est une religion.
- Et un perroquet pour monter sur l'ara(rat), c'est cohérent, non ? Ne vous fâchez pas, je rigole...Par ailleurs, le chardonneret est un thème fréquent dans l'iconographie chrétienne. Dans de nombreuses Vierge à l'Enfant de la Renaissance Jésus tient dans sa main un chardonneret élégant, annonçant ainsi son sacrifice : le chardon épineux dont il se nourrit, et qui lui donne son nom, préfigure la couronne d'épines, tandis que les taches rouges de sa tête renvoient au sang versé.

Vierge au chardonneret, Raphaël, vers 1506, Musée des Offices, Florence.
 - Je vous arrête. Pensez-vous sérieusement que Justin Quail, ou son frère photographe, aient tout ça en tête quand ils réalisent cette vidéo ?
- Sans doute pas. Mais cette vidéo n'est-elle pas une œuvre d'art ? C'est à ceux qui la regardent de lui donner aussi du sens. C'est encore une fois le propos de Julien Gracq quand il affirme que Suzanne Lilar "sait et dit admirablement que dans l'idée que nous nous faisons aujourd'hui de la poésie, c'est à celui qu'elle vient combler de faire la moitié du chemin. La poésie n'est pas un don qui nous est tendu, n'est pas un prêt-à-consommer qui nous trouverait passifs. Elle n'est qu'une proposition dont il dépend du génie de chacun de nous qu'elle se matérialise." Relisez l'article du 31 mai de cette année,
Phénix des hôtes de ces bois (dormants).
- Hum... le phénix, je m'en souviens. Encore un zozio soit dit en passant. Un drôle de zozio. Pourquoi vous souriez bêtement ?
- Là, lisez.
- "Jésus flagellé, décrit dans les évangiles comme couronné d'épines, recouvert du manteau écarlate par les soldats romains, marche ici sur des ronces, mais "sans les courber", marche magique comme celle du prince qui voit devant lui les ronces s'écarter. Le rouge de son manteau a passé dans les ronces, à moins que ce ne soit là la pourpre de son sang.
Il ressuscitera comme le phénix sur son bûcher, son nid de flammes. Significativement, le mot grec φοῖνιξ /
phoînix, avant de désigner l'oiseau fabuleux, nommait la pourpre, tirée d'un petit coquillage (Murex brandaris)." Vous voulez que je vous dise, vous êtes épuisant. Cet article, vous êtes allé le chercher exprès parce qu'il résonne avec votre truc du chardonneret.
- Pas du tout. J'ai songé à Suzanne Lilar, je suis allé chercher, c'est vrai, l'article où je la citais, elle et Gracq, et ce n'est qu'ensuite que je me suis aperçu de la présence concomitante du phénix. Et la légende, vous avez vu ?

Phénix par Friedrich Justin Bertuch, 1790-1830.
 - Quoi la légende ? Friedrich Justin Bertuch, 1790-1830 ? Ça va, j'ai compris : Friedrich comme l'autre Friedrich l'escaladeur de l'Ararat ; 1830, à un an près la date de l'ascension. Et Justin, tiens aussi, comme le big brother. Bertuch, désolé, ça ne me dit rien.
- A moi non plus. Mais je n'en ai pas fini avec le chardonneret. Vous savez que j'en ai beaucoup parlé déjà ? Et ce n'était pas dans une oeuvre religieuse.
- Vous me pardonnerez d'avoir oublié votre chardonneret. Non, ça ne me revient pas cette fois-ci.
- Un indice : Donna... 
- ...Tartt. J'y suis. Oui, bien sûr, Le chardonneret. Le tableau de Carel Fabritius.


-  Ceci dit, quand je vous ai demandé si vous aviez regardé Big Brother, ce n'est pas d'oiseaux dont je voulais vous entretenir. Non, je voulais vous parler de ce nombre de 7:07 qui en fixait la durée. Figurez-vous...
-  Puis-je vous interrompre ? Pouvez-vous m'accorder sept heures et sept minutes de repos ? Vos pépiements me donnent le tournis.
- Le vertige ?
- Pas un mot de plus. Et à demain. Enfin peut-être...

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