jeudi 2 juin 2022

7.2.2 - Of Mice and Men (and Lamplighters)

 Seconde dérive de 7.2 - La rue de l'Odéon ne va pas jusqu'à la mer

Le 25 mai, incursion dans la zone commerciale de Cap Sud, quelques vêtements à acheter, avant de me rendre à la centrale de Saint-Maur pour visiter un détenu. Il me reste un peu de temps à tuer, je passe à Cultura. Au rayon des nouveautés, deux livres se trouvent côte à côte, qui n'ont a priori rien à voir.


A ma droite, Les gardiens du phare, d'Emma Stonex. Le premier roman d'une Anglaise qui s'inspire d'un fait divers réel, l'extinction des feux, le 12 décembre 1900, du phare d’Eilean Mòr, en Écosse, et la disparition toujours inexpliquée à ce jour des trois gardiens. Emma Stonex transpose cette histoire en 1972, à Maiden Rocks, au large de la Cornouailles. Vingt ans plus tard, un célèbre écrivain, Dan Sharp, essaie à son tour de résoudre l'énigme et pour cela va interroger les veuves des trois disparus.

La résonance avec ma thématique actuelle des phares prend d'autant plus d'ampleur que le phare d'Eilean Mòr a été conçu par l'ingénieur civil David Alan Stevenson, l'oncle de Robert Stevenson, évoqué dans le dernier article.

A ma gauche, la nouvelle traduction de Of Mice and Men, de John Steinbeck, par Agnès Desarthe. Je l'ai dit, a priori rien à voir. 

Sauf que l'avant-propos d'Agnès Desarthe par trois fois va faire référence à ce roman important de Virginia Woolf, To the Lighthouse, publié en 1927 (alors que le titre original du roman de Stonex est  The Lamplighters). Que l'on traduit diversement par La promenade au Phare, Le voyage au Phare ou Vers le Phare.

To the Lighthouse, édition originale

Voyons donc ces trois occurrences :

1/ "À quoi rime la re-traduction d’un chef-d’œuvre ? Pourquoi s’y prendre à deux fois, quand ce n’est pas davantage ?

Je collectionne, pour ma part, les traductions françaises de To the Lighthouse de Virginia Woolf, et j’attends la prochaine avec patience et ferveur."

2/ "C’est ce qu’on dit, d’un air parfois un peu gêné: «La traduction a vieilli », pour justifier de remettre l’ouvrage sur le métier. Ce n’est pas la seule ni la véritable raison.

En plus des différentes versions de To the Lighthouse, il se trouve que je collectionne aussi les anciennes traductions de plusieurs autres romans. Et je les aime. Je ne pense pas qu’elles sont vieilles. Je pense qu’elles sont belles quand elles sont belles, ratées quand elles sont maladroites ou trop lisses."

3/ "Un dernier mot concernant le titre. C’est sur la couverture, la souveraine, la très désirée, que les traducteurs souhaiteraient voir figurer leur nom. À défaut, ils aiment parfois y inscrire le nouveau titre qu’ils donnent à l’œuvre, marquant ainsi de leur sceau un moment de l’histoire du texte. To the Lighthouse de Virginia Woolf compte (au moins) quatre titres différents en français."

La triple inscription du roman de Woolf sont comme les trois coups donnés à l'entrée d'une pièce de théâtre, le triple son de cloche d'une alerte, appel à la vigilance.

Merci à Nunki Bartt

Il reste une chose encore, que ce soit sur Des souris et des hommes* que ce jeu de références s'exerce n'est pas anodin. Déjà j'ai signalé à l'article précédent que c'est Gaëlle, ma compagne, qui m'avait en somme aiguillé sur Le rôdeur des confins, de l'écossais Kenneth White. Or, John Steinbeck se trouve être aussi l'un de ses écrivains préférés (elle a presque tout lu de son oeuvre traduite en français). La preuve de cette prédilection en est aussi qu'elle a adopté voici quelques années deux chats, deux frères qu'elle a nommés Lennie et George. Hélas George a succombé depuis, mais Lennie est encore bien vivant, adorable chat noir, paisible et terriblement câlin.

Lennie en pleine action


Et je ne redirai jamais assez que c'est avec Of Mice and Men que j'ai véritablement ouvert ce blog le 28 décembre 2006. J'écrivais alors : "Je ne vais pas ici résumer l'histoire, juste en relever un aspect : cette tragédie, qui se noue dans un ranch de Californie, s'ouvre et se referme sur une rive sablonneuse de la Salinas : "A quelques milles au sud de Soledad, la Salinas descend tout contre le flanc de la colline et coule, profonde et verte." Au septième et dernier chapitre, où le sacrifice est accompli, Steinbeck commence ainsi : "Dans cette fin d'après-midi, l'eau de la Salinas dormait, profonde, tranquille et verte."**

On peut comparer le début avec la nouvelle traduction d'Agnès Desarthe : "À quelques miles au sud de Soledad, la Salinas vient longer le pied de la colline et coule, profonde et verte."

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* J'en profite pour signaler aussi la magnifique édition illustrée par Rebecca Dautremer.



** Je rectifie une erreur, vieille de seize ans : il n'y a que six parties dans le livre.


2 commentaires:

Nils Blanchard a dit…

John Steinbeck ramène étrangement à la guerre, et la Scandinavie avec l'étrange (et fin) Lune noire - The Moon is down, de 1942. (J'en ai lu la traduction de Jean Pavans, au livre de poche). Sorte de syndrome de Stockholm à l'envers: les Allemands occupent la Norvège pendant la Seconde Guerre mondiale, complètement rejetés, coupés de la population qui leur résiste et les méprise...
Et merci pour toutes ces pistes!

Patrick Bléron a dit…

Je n'ai pas lu ce Steinbeck (ma compagne, si). Je plongerai dans cette Lune noire un de ces jours.
Merci pour l'ajout sur votre site !