mardi 31 mai 2022

7.2.1 - Le rôdeur des confins

Dérive de 7.2 - La rue de l'Odéon ne va pas jusqu'à la mer

Dans le même temps où j'écrivais l'article ci-dessus, Gaëlle lisait Le rôdeur des confins, de Kenneth White, un livre que j'avais déniché il y a peu de temps à Emmaüs. 

                                 

Un tampon vert figurait sur la page de titre : Bibliothèque Saint-Nicolas de Véroce. Avait-il été volé ? emprunté et jamais rendu ? désherbé implacablement (malgré son bon état) ? Impossible de le savoir. Je me suis piqué de curiosité pour ce Saint-Nicolas de Véroce qui m'était parfaitement inconnu. Il s'avère que c'est une ancienne commune de Haute-Savoie rattachée à Saint-Gervais en 1973. Véroce est le nom vernaculaire de l'aulne vert, Alnus viridis, qui aime à coloniser les zones de montagne soumises régulièrement à des avalanches.


Dans son avant-propos, Kenneth White écrit qu'il est né aux confins de l'Europe, dans un fragment de la planète  (l'Ecosse) qui, dans le lointain passé, avait plus à voir avec le Groenland et le Canada qu'avec sa voisine actuelle, l'Angleterre, et il ajoute qu'il a longtemps vécu aussi dans ce qu'une carte des "Monts Pyrénées" du XVIIIè siècle appelle les "Confins de France", avant de signaler que c'est dans les finesterres armoricaines qu'il avait depuis un certain temps établi sa demeure : "J'ai sans doute les notions de "confins, marges, limites" et de "passage, itinéraire, chemin" inscrites dans la matière grise de mon cerveau, peut-être même dans la moelle de mes os."

Si c'est le cas, que son livre ait été enregistré à Saint-Nicolas-de-Véroce n'est pas sans cohérence : la paroisse est en effet située à quelques encablures de la frontière italienne. Je lis sur Wikipedia que l'écrivain et académicien Jean-Christophe Rufin y "réside les deux tiers de l'année dans une ancienne grange abandonnée du village entièrement démontée et remontée dans les années 1980, achetée au début des années 2000, où il s'enferme pour écrire durant l'hiver avant d'y revenir de juin à septembre". Ce qui me conduit à formuler l'hypothèse, sachant que Rufin est d'origine berrichonne (il est né à Bourges en 1952), que l'écrivain a emprunté le bouquin, a oublié de le rendre, l'a rapporté en Berry, où il a atterri à Emmaüs (bon, j'admets que c'est fragile et Rufin risque de crier à la diffamation : je retire l'hypothèse immédiatement).


Si j'évoque maintenant ce livre, c'est qu'au-delà de sa provenance, il a été le lieu d'une synchronicité : je parlais des phares qui émaillaient mon article sur le livre d'Olivier Rolin, Vider les lieux, au moment même où ma compagne parvenait à la page 316 où White, voyageant en Polynésie, évoque la pointe Vénus, sur la côte nord de Tahiti, où le 3 juin 1769, le navire The Endeavour, commandé par le futur capitaine Cook, missionné pour trouver dans les îles du Pacifique un lieu favorable à l'observation du passage de Vénus devant le Soleil, procède à cet endroit à l'observation du phénomène.
"La première chose que l'on voit en arrivant sur la pointe, c'est un phare blanc et trapu, l'un des nombreux phares construits autour du monde par la Northern Lighthouse Company of Scotland. Quand Robert Louis Stevenson vint en cet endroit en 1888, au cours de sa croisière dans le Pacifique sur le Casco, il pensa à ses jeunes années à Edimbourg : "Mon émotion était grande alors que je me tenais, ma mère à mes côtés, et que nous contemplions l'édifice conçu par mon père alors que j'avis seize ans."

Robert Louis Stevenson, le génial écrivain de l'Ile au trésor ou de Voyage avec un âne dans les Cévennes, a dérogé à la tradition familiale qui donnait dans la construction de phares. R.G. Grant, l'auteur de Phares du monde, signale que son grand-père Robert Stevenson était le gendre de l'ingénieur Thomas Smith (1752-1814), un fabricant de lampes qui s'était forgé une réputation en éclairant les rues d'Edimbourg avec des lampes à huile dotés de miroirs en cuivre poli, et constructeur de quatre phares. Robert devint un héros national après avoir construit avec succès un phare à Bell Rock en 1810, le plus vieux phare encore en activité après celui de Cordouan. 

À la fin du xviiie siècle, il a été estimé que le rocher est responsable du naufrage de six navires chaque hiver. En une seule tempête, 70 navires ont été perdus au large de la côte est de l'Écosse. L'ingénieur écossais Robert Stevenson avait proposé la construction du phare de Bell Rock en 1799, mais le coût et la nature relativement radicale de sa proposition, en ont causé l'abandon. Toutefois, la perte du navire de guerre HMS York (1796) (en) et tout son équipage, en 1804 entraîna un scandale au Parlement, qui conduit à l'adoption en 1806 de la loi autorisant le lancement de la construction.

Le phare a été construit par Stevenson entre 1807 et 1810 et il a été allumé le pour la première fois.


Gravure de William Miller montrant les étapes de la construction du phare de Bell Rock (1824)
 

Trois des fils de Robert Stevenson furent aussi des bâtisseurs de phares. David (1815-1886) et Thomas (1818-1887), le père de l'écrivain, édifièrent ensemble une trentaine de phares. On doit à Thomas une amélioration de la lentille de Fresnel qui fut la première à adapter l'intensité à la portée désirée sur un azimut donné par prismes à réflexion totale. Le second fils, Alan (1807-1865), est le plus méritant aux yeux de Grant, "pour avoir réussi à construire un phare sur le relief escarpé de Skerryvore en 1844 et pour ses progrès prodigieux en matière d'optique pour les phares."

Phare de Skerryvore


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